Ce Samedi, je suspends mes critiques sur les single issues récemment sorties pour vous parler d'un recueil que j'ai adoré : le premier volume de Black Hammer, le nouveau creator-owned écrit par Jeff Lemire pour Dark Horse Comics. On m'en avait dit beaucoup de bien mais j'hésitai à cause du style graphique, puis j'ai surmonté ce dernier point... Pour être vraiment absorbé par cette lecture jubilatoire. Assurément un de mes coups de coeur actuels (même si la série a démarré en 2016).
Comment et pourquoi cinq anciens super-héros ont atterri dans la ferme Black Hammer, située dans un coin de campagne des Etats-Unis, après avoir sauvé Spiral City de l'Anti-Dieu ? C'est que les cinq habitants ne sont pas commun puisqu'on y trouve une fillette, Gail Gibbons alias Golden Gail "la fiancée de l'Amérique" ; Mark Markz alias Barbalien "le seigneur de guerre de Mars" ; le colonel Randall Weird "l'aventurier interstellaire" et son robot intelligent Talky-Walky ; Mme Dragonfly "la maîtresse du macabre" ; et enfin Abraham "Slam" Slamovski - le seul du lot à n'avoir aucun pouvoir et à se sentir heureux ici (sa liaison avec Tammy, l'ex-femme du shérif Redd True heart, n'y étant pas pour rien.
Talky-Walky ne se résigne pas à cette situation et cherche un moyen de faire rentrer le groupe à sa base, malgré ses échecs répétés. Gail est celle qui souhaite le plus quitter cet endroit pour recouvrer ses pouvoirs que lui confia, avant de mourir, le sorcier Zafram et qui la transformaient en Golden Gail, éternelle fillette capable de voler et dotée d'une force surhumaine. Aujourd'hui coincée dans le corps d'une enfant de neuf ans alors qu'elle en a 55, elle mène la vie dure à Abraham, qui se fait passer pour son grand-père auprès de l'institutrice Mme Roundtree, menaçant de l'exclure de l'école.
Barbalien provient de Mars où son père unifia les tribus jusqu'à ce qu'une fusée terrienne ne s'écrase sur la planète rouge. Envoyé sur notre monde pour estimer si nous étions une menace, il usurpe l'identité d'un policier tué par des gangsters grâce à ses talents de métamorphe. Pendant six ans, il s'intègre parfaitement aux terriens jusqu'à ce qu'il avoue son attirance à son collègue, qui le rejette. Aujourd'hui, il se rapproche du Père Quinn qui réveille sa foi et ses sentiments amoureux.
Abraham Slamkovski était un jeune homme juif et chétif quand éclata la seconde guerre mondiale. Recalé par l'armée à cause de sa condition physique, il est pris sous l'aîle de "Punch" Socklingham, un ancien champion de boxe, qui l'entraîne et en fait un athlète. Mais des gangsters tue le coach endetté et motive Slam à devenir un justicier masqué. Les années passant, il devient dépassé par l'émergence de nouveaux héros, dont le mystérieux Black Hammer. C'est avec appréhension qu'il cède à la requête de Tammy Trueheart de l'inviter à dîner à la ferme - mais le repas se passe bien avec la complicité des autres.
Randall Reid était astronaute pour la NASA entre 1956 et 1964 et amoureux d'Eve Argo quand il découvrit un portail dimensionnel qui devait l'éloigner d'elle jusqu'à aujourd'hui. Continuant depuis à explorer la Para-Zone, il a l'esprit de plus en plus confus. Il ne se doute pas que Lucy Weber a entrepris de retrouver les héros disparus, avec l'aide du Dr. Jimmy Robinson alias Dr. Star qui a récupéré une sonde envoyée par Talky-Walky.
Enfin, il y a Mme Dragonfly, qui vit à l'écart de l'équipe, dans une cabane maudite ayant fait le voyage avec eux. C'est dans celle-ci qu'il y a très longtemps elle rencontra un sorcier susceptible de sauver son nourrisson mais qui la trompa en la liant à son refuge. Importunée par des chasseurs, elle en tua un puis jeta un sort à l'autre, transformé en monstre dont elle s'éprit. Après la bataille de Spiral City, elle se découvrit enceinte mais l'enfant mourut à la naissance. Elle surveille le shérif Trueheart, qui veut punir Slam et Tammy d'être amants, mais surtout accueille Lucy Weber quand elle apparaît, affolée, près de la ferme. Slam la reconnaît aussitôt comme étant la fille de Black Hammer !
Sur la couverture de l'album, une accroche prestigieuse attire le regard : Mike Mignola, le créateur de Hellboy, déclare qu'il ne lit pas beaucoup de BD de super-héros mais qu'il adore Black Hammer. Ainsi adoubée, l'oeuvre de Jeff Lemire profite d'une parrainage enviable mais aussi d'une pression terrible, celle de ne pas décevoir ceux qui accordent du crédit à l'opinion d'un auteur aussi respecté. Mais s'agit-il vraiment d'un comic-book de super-héros ?
Dans les faits, on répondra spontanément par l'affirmative puisque les protagonistes sont tous d'anciens justiciers costumés, pourvus pour la plupart de super-pouvoirs, et aux états de service glorieux. Jusqu'à cette épique et dramatique bataille contre l'Anti-Dieu à Spiral City dont la victoire a causé un incident incompréhensible les ayant transporté dans une ferme au milieu de nulle part dans la campagne américaine. Certains ont perdu leurs talents dans l'affaire, d'autres la raison, d'autres s'emploient à trouver un moyen de renouer avec leur ancienne vie, un dernier a trouvé son bonheur inespéré dans ce contexte.
Lemire anime des personnages comme il les affectionne, des freaks, des loners unis par le hasard ou les circonstances, cohabitant tant bien que (plutôt) mal, que leurs origines distinguent du commun des mortels. Mais ces origines secrètes ne le définissent pas/plus seulement en tant que héros, elles nous instruisent sur les individus qu'ils sont.
Et c'est là que Black Hammer devient un régal car le scénariste s'amuse avec les clichés du genre, sans chercher à s'en cacher, mais en dessinant ses créatures de manière singulière par rapport à leurs modèles. Slam est une copie de Captain America sans le sérum du super-soldat, Golden Gail renvoie à Mary Marvel (alliée de Shazam), Barbalien reproduit le Martian Manhunter de la JLA, le colonel Weird est une version des aventuriers cosmiques comme Adam Strange assorti d'u robot intelligent (mais à l'aspect digne de ceux des films de SF des années 50, comme Pneuman dans Tom Strong), et Mme Dragonfly est une sorcière qui fait penser à Enchantress (dans Shadowpact). Seul Black Hammer reste plus flou, décrit comme le "champion des rues" mais armé d'un marteau noir énorme et capable de voler comme Thor : nimbé de mystère, il n'en est que plus charismatique et on se demande ce qui lui est arrivé (seul son marteau a été téléporté) - ce qui motive le subplot avec sa fille, Lucy Weber, à la recherche des héros.
On peut voir, dans cette démarche (composer un casting à partir d'avatars de héros connus), selon son humeur, une parodie, un plagiat, ou, et c'est ce qui me semble, un hommage. On n'est pas si loin de ce que le même Lemire vient d'opérer avec The Terrifics, réinterprétation tonique et malicieuse des Fantastic Four chez DC. Mais, au-delà des questions de ressemblances et d'intention, le vrai propos tient à la manière de le traiter.
Que faire quand on a été ? Chacun des protagonistes s'arrange comme il peut avec la situation : Talky-Walky veut absolument rentrer à la maison, le colonel Weird s'évade dans la Para-Zone (une issue pour le retour mais présentant, comme en témoigne son état mental et physique, de graves dangers), Barbalien s'accommode (visiblement amoureux du Père Quinn et apaisé par le catholicisme), Mme Dragonfly veille sur le shérif jaloux et menaçant et semble conspirer de son côté, Gail supporte le plus mal sa condition (femme âgé piégée dans un corps de fillette mais privée de ses pouvoirs). Sans surprise, c'est Slam, seul des héros à n'avoir jamais eu de pouvoirs et invité à prendre sa retraite par Black Hammer avant la bataille contre l'Anti-Dieu, qui a trouvé après l'incident le bonheur (avec Tammy) et la tranquillité.
L'émotion et l'humour cohabitent merveilleusement dans le récit dont les dessins de Dean Ormston, qui me rebutait au départ, sont en définitive un atout supplémentaire inattendu. On apprend dans les bonus de l'album que l'artiste a été victime, durant la préparation du projet, d'une hémorragie cérébrale, le laissant handicapé. Il y a survécu et entrepris une longue et pénible rééducation, conservant des séquelles au bras et à la main droite : en élaborant des layouts, il a retrouvé ses sensations lentement tout en constatant qu'il avait perdu en endurance et en stabilité.
Son trait s'en ressent encore (mais pas sa productivité, car, étonnamment, il livre ses épisodes sans retard !). Pour cette raison, on peut trouver son style peu esthétique, le design de ses personnages fragile. Et pourtant, il suffit de voir la première page de l'épisode 2 (une vue plongeante sur Spiral City) pour être épaté par la précision fabuleuse du décor de cette cité fictive : quel exploit de produire cela en étant amoindri comme il l'est !
Mieux encore : dans ces lignes malhabiles, tremblantes, se trouve la vérité indispensable au sujet et à ses acteurs. En effet, en dessinant pour ainsi dire difficilement, Ormston atteint la justesse adéquate pour camper ces créatures bizarres prises dans ce curieux piège. Il échappe aux clichés de leur caractérisation en leur donnant une singularité poignante : Barbalien devient ce martien gay dépassé par ses sentiments (et par ceux des autres, comme lorsque Gail pense, par erreur, qu'ils peuvent être amants), le colonel Weird nous émeut comme seule une épave arraché davantage à son amour qu'à ses aventures sidérales peut le faire, Mme Dragonfly compense son allure inquiétante par son bouleversant passé, Talky-Walky même nous touche par sa pugnacité mal récompensé, et Slam a cette bienveillance propre aux vrais honnêtes hommes quand, malgré les soucis qu'elle lui cause, Gail craque en échouant à invoquer le sorcier Zafram.
Montrer l'humanité des super-humains, c'est là le défi de Black Hammer, avec en prime, à la fin de ces six premiers épisodes (un deuxième volume est paru depuis, j'ai hâte de le lire), un cliffhanger irrésistible. Comme Mike Mignola, on n'a pas fini de lire et d'aimer cette histoire (qui commence même à se décliner avec la série Sherlock Frankenstein, sur un des ennemis du groupe visité par Lucy Weber au cours de son enquête).
1 commentaire:
Belle découverte pour moi.
J'adore le style.
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