Après un mois d'interruption, prévue dès le départ par le scénariste qui voulait marquer une pause entre les deux actes de la série, mais aussi à la paternité récente du dessinateur, et la publication entre temps d'une version "director's cut" du #1 (un numéro 1 en noir et blanc, avec l'intégralité du script, plus les origines revisitées du héros dessinées par Mike Norton), le retour de Mister Miracle était d'autan plus attendu que Tom King et Mitch Gerads avait laissé Scott Free et le lecteur à la porte de la chambre d'Orion en prévision d'une explication qui s'annonçait musclée. Qu'en a-t-il été ? On ne le saura pas encore ici... Même si le programme est aussi renversant.
Barda est sur le point d'accoucher et Scott la conduit à l'hôpital où elle est immédiatement prise en charge. Les contractions sont encore espacées et les futurs parents sont donc obligés d'être patients. Scott commence à proposer à sa compagne des prénoms possibles - Ironbreaker (comme un de ses oncles) ? - sans succès.
Des visiteuses attendues font leur entrée dans l'hôpital : il s'agit des Females Furies de Darkseid, les "soeurs" de guerre avec lesquelles a été élevée Barda sous la tutelle de Granny Goddess. Elles ne sont pourtant pas venues semer la zizanie mais s'enquérir de la bonne santé de Barda et Scott les remercie pour cette attention.
Comme l'enfant à venir est le premier conçu par une native d'Apokolopis et un originaire de New Genesis, il se peut que sa naissance soit difficile. Bernadeth, une des Furies, a donc emmené la Farenth Knife, taillée dans la peau même de Darkseid, et la confie à Scott afin qu'il l'utilise lorsqu'il faudra trancher le cordon ombilical.
Barda apprend à Scott que cet outil a cependant plus de chance de la tuer car elle brûle de l'intérieur ceux qu'elle coupe. Le bébé bouge, les contractions se rapprochent, et de nouveaux prénoms sont soumis à l'approbation de la mère - Axeblow ? Thunderdeath ? Thronekiller ? Puis c'est l'accouchement.
Le travail est rapide mais le bébé se présente par la tête et il a le cordon ombilical noué autour du cou. Aucune paire de ciseaux ne peut le couper alors Scott emploie la Farenth Knife, avec succès. Le nourrisson pousse son premier cri et la mère va bien. Scott annonce aux Furies que son fils se prénommera Jacob et il rend la lame à Bernadeth qui promet de le tuer avec quand il reviendra guerroyer.
Scott rejoint Barda, tous deux attendris par leur enfant... Qui sera le salut de leurs deux planètes... Ou le destructeur du Quatrième Monde ?
Si la gestation d'une native d'Apokolopis comme Barda équivaut à celle d'une terrienne, alors il s'est écoulé neuf mois entre cet épisode et le précédent. Tom King ose donc une ellipse d'autant plus culottée qu'il ne dit rien sur la discussion qu'a eu Mister Miracle avec Orion (qu'il devait avoir quand on l'a quitté à la fin du n°6) et les conséquences qu'elle eue. Tout juste apprendra-t-on, fugacement, durant l'épisode, que la guerre entre New Genesis et Apokolopis fait toujours rage (avec, apparemment, de grosses difficultés rencontrées par la première), mais Scott Free ne rejoint pas le théâtre des combats pour rester avec Big Barda à l'hôpital.
Ce parti pris, de zapper un tel intervalle (pour mieux le relater plus tard), désarçonnera, c'est certains, il frustrera, et à n'en pas douter provoquera des cris d'orfraie (j'entends déjà des : "Tom King nous prend pour des jambons !" - version polie...). Mais la série, depuis le début, s'est bâtie sur le principe de surprendre, et de jouer avec le lecteur sur sa capacité à encaisser les transitions improbables, les rebondissements spectaculaires, les ruptures de ton, etc. Cette fois-ci n'est en définitive pas plus déconcertante que les précédentes. Après tout, on évolue dans la mythologie du Quatrième Monde de Jack Kirby, Darkseid est régulièrement invoqué et si l'on a un peu vu New Genesis, on n'a pas mis le pied sur Apokolips ni vu son leader.
Ce septième épisode rappelle le cinquième où nous suivions pendant toute une journée Barda et Scott alors que celui-ci devait retourner à New Genesis pour y être exécuté. Une collection de saynètes nous montrait le couple profitant du dernier jour d'un condamné et la banalité de ces heures passées ensemble rendait encore plus poignante le destin qui attendait Scott Free. Rarement un dieu parut si humain à l'aube de sa mort annoncée...
Finalement, Mister Miracle a refusé la sentence prononcée contre lui et s'est rebellé avec et grâce à Big Barda. En affrontant le destin tout tracé, il est littéralement passé de la mort programmée à la vie. Et aujourd'hui, après avoir appris dans son aventure précédente que sa compagne était enceinte, il s'apprête à être père. De quoi mesurer le chemin parcouru depuis sa tentative de suicide, sa condamnation à mort, et enfin sa renaissance, le bonheur reconquis.
L'épisode abonde en clins d'oeil, souvent discrets, donc ouvrez bien les yeux et examinez chaque case. ici, vous verrez un panneau dans la chambre d'hôpital de Barda avec un slogan "Be a Wonder Woman" ; là, vous remarquerez que les courbes de son électrocardiogramme représente les deux "W" de l'amazone ; ou encore vous noterez que, comme à chaque chapitre, Scott arbore un tee-shirt avec le logo d'un héros DC, présentement le plus iconique de tous, celui de Superman - et Scott n'est-il pas devenu le Superman de sa propre existence en en niant la fatalité et le Superman de Barda à ses côtés dans cette chambre d'hôpital où leur enfant va naître ?
Mister Miracle n'a pas toujours été, loin s'en faut, une BD légère, avec ses réflexions sur le suicide, le destin, la culpabilité, la manipulation, les troubles mentaux, la perception altérée de la réalité, la guerre... Mais ce septième épisode est d'une drôlerie irrésistible.
Le flegme dont fait preuve Scott durant cette journée souligne l'absurdité de certaines situations et contraste avec celle traversée par Barda. Lorsque les Female Furies débarquent, il les accueille poliment et les dialogues échangés avec elles sont si décalés qu'on ne peut qu'en savourer le comique (notamment quand on constate qu'elles se disputent entre elles, en particulier à cause de l'une qui est complètement folle comme en témoigne ses propos délirants ; ou, surtout, avec la sinistre Bernadeth remet la Farneth Knife à Scott - qui permettra de couper le cordon ombilical - avec laquelle elle promet ensuite de le tuer quand ils s'affronteront à nouveau - ce qui n'empêche pas Scott de la remercier de lui avoir procurer ce redoutable scalpel...).
Autres grands moments, qui ponctuent toutes les scènes entre Scott et Barda : le choix du prénom du bébé. Les Néo-Dieux ne s'appellent pas exactement Pierre, Paul ou Jacques, et donc Scott propose des titres pour le moins désopilants, mais avec toute la bonne volonté du (quatrième) monde, espérant autant coller à la tradition que plaire à Barda. On a ainsi droit à Ironbreaker (d'après un des oncles de Mister Miracle, mort durant une bataille épique), Axeblow, Thunderdeath, Thronekiller : un vrai festival, vraiment hilarant. Rassurez-vous, le petit héritera d'un blase plus commun (mais pas moins connoté) : Jacob (soit, en hébreu, Ya'aqov, "il talonnera" et, en arabe, Ya'qûb ou Ya'qob, "Dieu a soutenu" ou "protégé". La Bible le connaît également sous le nom d’Israël et il est, après son père Isaac et son grand-père Abraham, l’un des trois patriarches avec lesquels Dieu contracte une alliance, lui promettant la terre qui portera désormais son nom.).
Mitch Gerads a récemment donné sa première grande interview au site spécialisé CBR pour détailler sa méthode de travail, sa collaboration avec Tom King, et leur utilisation si poussée du "gaufrier" à neuf cases - qui séduit, mais aussi déplaît ou lasse, les lecteurs de la série. Sur ce dernier point, il explique que l'origine de ce découpage se trouve en fait dans les comics strips avec trois cases par bandes, qui dans le format traditionnel forment donc trois bandes de trois cases, donc une grille de neuf panneaux ("nine panels grid").
Et on peut encore une fois apprécier la radicalité du dispositif dans le registre comique que propose cet épisode puisque nombre de titres humoristiques ont utilisé des strips en trois cases pour articuler l'exposition de la situation, le gag, et la chute. Développé sur une page en trois fois trois cases, on a en quelque sorte affaire à une sorte de super strip, dont l'effet comique est encore plus puissant.
Mais, bien entendu, il faut d'abord être sensible à cet humour pratiqué par King et Gerads, une comédie à retardement, où Scott Free est l'éternel clown blanc face à un ou des interlocuteurs/partenaires plus volubiles, expressifs, délirants. Là encore, le flegme du personnage est la clé pour apprécier l'effet : plus ce à quoi il fait face est absurde, grotesque, "hénaurme", plus son impassibilité rend le gag efficace et provoque le rire chez le lecteur, sidéré par l'attitude placide, philosophe, imparable de Mister Miracle.
Souvent comparé à Watchmen de Moore et Gibbons, la série continue de creuser sa filiation avec l'oeuvre du mage anglais : les citations dissimulées font penser à l'inachevé Big Numbers (qu'illustra Bill Sienkiewicz en 1990), la scène très crue mais sans effet gratuitement racoleur de l'accouchement renvoie à celui de Liz Moran dans Miracleman. Mais le moment le plus beau, le plus simple, le plus émouvant, lui, ne doit rien à personne quand nous voyons les deux parents attendris devant leur enfant... Même s'il est suggéré, habilement, que celui-ci sera le sauveur de deux mondes ou son destructeur (pas de demi-mesure possible pour le premier bébé issu de l'union d'une femme d'Apokolips et un homme de New Genesis).
Il s'agit, quoi qu'il en soit, encore et toujours d'évasion(s) : celle que procure, au premier degré, la lecture de l'histoire, mais aussi celle du bébé du ventre de sa mère, de la sortie de l'âge de compagnon et de l'entrée dans celui du rôle de père pour Scott, de l'issue que suppose ce nourrisson dans le conflit du Quatrième Monde... Tant de pistes encore, toujours. Mister Miracle et ses deux auteurs, au sommet de leur art, n'ont pas fini de fasciner, intriguer, transporter.
On assiste en quelque sorte aussi là à la naissance d'un futur classique.
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