LE PERE GORIOT d'Honoré de Balzac est l'adaptation du roman écrite par Thierry Lamy, Philippe Thiraud et dessinée par Bruno Duhamel, publié en 2009-2010 par Delcourt.
*
(Couverture et extrait du tome 1.
Textes de Thierry Lamy et Philippe Thiraud,
d'après Honoré de Balzac. Dessins de Bruno Duhamel.)
(Couverture et extrait du tome 2.)
Paris, XIXème siècle. Eugène de Rastignac, un ambitieux provincial, est ébloui par la haute société parisienne dans laquelle il compte bien se faire une place. Pour cela, il profite de l'entregent de sa cousine, la vicomtesse de Beauséant, qui l'invite à un bal où il rencontre Anastasie de Restaud. Il tente de la séduire en lui rendant visite ensuite chez elle mais se fait éconduire après avoir révélé qu'il habite à la pension Vauquer où réside aussi le père de la jeune femme, M. Goriot.
Peu après, Rastignac est présenté à Delphine de Nuncigen, la soeur d'Anastasie, négligée par son mari. Elle regrette de ne plus voir son père, écarté par son époux, alors qu'il les avait généreusement aidés financièrement.
Mais à l'époque, six ans auparavant, celui qu'on appelle désormais le père Goriot était un tout autre homme, ex-négociant prospère dont on croyait qu'il entretenait deux jeunes femmes sans savoir qu'il s'agissait de ses filles. Aujourd'hui, il doit subir les humiliations de sa logeuse et d'un de ses pensionnaires, Vautrin, un rustre au passé trouble, cynique envers les bourgeois et préparant sa revanche.
Lorsque Rastignac vient à manquer d'argent, à cause de dettes de jeu et de frais engagés dans ses mondanités, Vautrin le pousse à épouser Mlle de Taillefer, dont il arrangera le meurtre de son frère afin qu'elle perçoive l'héritage de son père qui l'a rejetée - magot que Rastignac et Vautrin se partageraient.
Mais Eugène refuse ce marché et continue de courtiser Delphine. La police arrête Vautrin, alias Jean Collin, ex-bagnard comme le prouve sa marque au fer rouge. Le père Goriot espère alors pouvoir quitter la pension Vauquer avec Rastignac et renouer avec sa fille mais il meurt, d'une crise d'apoplexie (diagnostiquée par Bianchon, un ami d'Eugène), en apprenant la situation financière désastreuse de Delphine.
Ni cette dernière ni sa soeur ne se rendront aux obsèques de leur père. Rastignac rompt avec Delphine, plus résolu que jamais à conquérir la capitale à qui il lance : "A nous deux maintenant !"
Il y a presque deux ans de cela, j'avais déjà écrit une critique sur un album, Carmen de Prosper Merimée, paru dans la même collection "Ex-Libris" chez Delcourt : une jolie réussite. Entretemps, j'ai découvert quelques prestations du dessinateur Bruno Duhamel et quand j'ai découvert qu'il avait illustré cette adaptation du Père Goriot d'Honoré de Balzac, j'ai feuilleté les deux tomes et, épaté, je les ai empruntés.
Pourtant mes souvenirs de l'oeuvre de Balzac n'étaient guère motivants : comme beaucoup d'écrivains classiques enseignés au collège et au lycée, il me rappelle davantage de pénibles devoirs de Français (ah, ces damnées fiches de lecture et études de textes !) que de bons moments. Mais, désormais, tout cela est bien loin et le prix de l'effort moins terrible.
Je dois donc reconnaître que j'ai aimé redécouvrir cette histoire et apprécié la manière dont Thierry Lamy et Philippe Thiraud en ont tiré une bande dessinée. L'intrigue offre des personnages mémorables et des péripéties à la cruauté étonnante. Le destin du père Goriot est effectivement terrible et annonce dès les premières scènes son pathétique dénouement : sa logeuse, flattée d'accueillir un résident si honorable au début, ne tarde pas à le juger avec mépris en croyant qu'il entretient deux jeunes maîtresses qui sont, en vérité, ses deux filles. Six ans après, l'ancien riche négociant n'est plus que l'ombre de lui-même comme peut e témoigner Eugène de Rastignac, le héros emblématique de la Comédie Humaine de Balzac, archétype de l'arriviste (dont le nom désigne désormais tout ceux qui veulent se faire une place dans la bourgeoisie en profitant de leurs relations). Renié par ses filles, écarté par des gendres peu scrupuleux, il doit en plus composer avec l'ignoble Vautrin, un malfaisant habitant dans la même pension que lui.
L'ambition de Rastignac est aussi obscène que la déchéance de Goriot est affligeante, mais les deux hommes se lient quand le premier se rapproche d'une des filles du second. Pourtant, ce mouvement précipitera la fin du père tout en soulignant le caractère indélicat du provincial. Pour Goriot, au soir de sa vie, simplement voir ses filles, les savoir heureuses, suffit. Pour Rastignac, les femmes riches socialement sont des moyens de s'établir socialement (même s'il semble sincèrement attaché à Delphine).
Entre les deux protagonistes, Vautrin se dresse comme une figure inquiétante, aux activités criminelles et au passé trouble, et terriblement définie, car il considère avec un cynisme total la société des nantis. En un sens, il incarne la version sans fard ni manière de la vicomtesse de Beauséant, la cousine de Rastignac, introduisant ce dernier dans son milieu bourgeois, le guidant, l'incitant à manoeuvrer habilement. Alors que l'ex-bandit surnommé "Trompe-la-mort" propose d'arriver plus brutalement à ses fins à Eugène en épousant Mlle de Taillefer et en supprimant le frère de celle-ci, à qui est promis l'héritage paternel.
Lamy et Thiraud ont su habilement tirer du roman de Balzac la matière pour une BD dense et palpitante à la fois, conservant la description impitoyable des deux cadres principaux de l'action (la sordide pension Vauquer, les salons luxueux des riches notables parisiens). Le résultat fait penser à un mélange efficace de série noire (avec la présence de Vautrin) et d'étude de moeurs implacable. Le récit ne souffre pas d'être développé sur deux tomes (un peu moins de 100 pages au total).
Mais surtout cette adaptation est formidablement mise en image. Bruno Duhamel n'a pas la reconnaissance qu'il mérite, même si avec la série Les Brigades du temps (écrite par Kris, trois tomes parus chez Dupuis - mais plombés par des changements de titre) il tenait une occasion idéale.
Son style, semi-réaliste, évoque à la fois Jean Giraud et Jean-Claude Mézières : du premier, il a le goût des détails, des plans fournis, une capacité à composer franchement impressionnante (il suffit de voir la double page, dans le tome 1, quand Rastignac arrive dans la salle du bal donné par sa cousine) ; du second, il a le trait énergique, très expressif, le soin apporté aux ambiances.
Ses personnages sont bien campés, ses décors d'un réalisme irréprochable, et, assurant lui-même la colorisation, il met parfaitement valeur chaque case, chaque planche, avec une palette très nuancée. De quoi attendre avec impatience et confiance son premier récit complet écrit et dessiné par lui seul, prévu en 2017 et qui s'appellera... Le Titre (un bon gros volume de près de 200 pages).
Aussi bien pour réviser ses classiques que pour faire connaissance avec un artiste de haute volée, ce Père Goriot en BD mérite qu'on s'y arrête.
Pourtant mes souvenirs de l'oeuvre de Balzac n'étaient guère motivants : comme beaucoup d'écrivains classiques enseignés au collège et au lycée, il me rappelle davantage de pénibles devoirs de Français (ah, ces damnées fiches de lecture et études de textes !) que de bons moments. Mais, désormais, tout cela est bien loin et le prix de l'effort moins terrible.
Je dois donc reconnaître que j'ai aimé redécouvrir cette histoire et apprécié la manière dont Thierry Lamy et Philippe Thiraud en ont tiré une bande dessinée. L'intrigue offre des personnages mémorables et des péripéties à la cruauté étonnante. Le destin du père Goriot est effectivement terrible et annonce dès les premières scènes son pathétique dénouement : sa logeuse, flattée d'accueillir un résident si honorable au début, ne tarde pas à le juger avec mépris en croyant qu'il entretient deux jeunes maîtresses qui sont, en vérité, ses deux filles. Six ans après, l'ancien riche négociant n'est plus que l'ombre de lui-même comme peut e témoigner Eugène de Rastignac, le héros emblématique de la Comédie Humaine de Balzac, archétype de l'arriviste (dont le nom désigne désormais tout ceux qui veulent se faire une place dans la bourgeoisie en profitant de leurs relations). Renié par ses filles, écarté par des gendres peu scrupuleux, il doit en plus composer avec l'ignoble Vautrin, un malfaisant habitant dans la même pension que lui.
L'ambition de Rastignac est aussi obscène que la déchéance de Goriot est affligeante, mais les deux hommes se lient quand le premier se rapproche d'une des filles du second. Pourtant, ce mouvement précipitera la fin du père tout en soulignant le caractère indélicat du provincial. Pour Goriot, au soir de sa vie, simplement voir ses filles, les savoir heureuses, suffit. Pour Rastignac, les femmes riches socialement sont des moyens de s'établir socialement (même s'il semble sincèrement attaché à Delphine).
Entre les deux protagonistes, Vautrin se dresse comme une figure inquiétante, aux activités criminelles et au passé trouble, et terriblement définie, car il considère avec un cynisme total la société des nantis. En un sens, il incarne la version sans fard ni manière de la vicomtesse de Beauséant, la cousine de Rastignac, introduisant ce dernier dans son milieu bourgeois, le guidant, l'incitant à manoeuvrer habilement. Alors que l'ex-bandit surnommé "Trompe-la-mort" propose d'arriver plus brutalement à ses fins à Eugène en épousant Mlle de Taillefer et en supprimant le frère de celle-ci, à qui est promis l'héritage paternel.
Lamy et Thiraud ont su habilement tirer du roman de Balzac la matière pour une BD dense et palpitante à la fois, conservant la description impitoyable des deux cadres principaux de l'action (la sordide pension Vauquer, les salons luxueux des riches notables parisiens). Le résultat fait penser à un mélange efficace de série noire (avec la présence de Vautrin) et d'étude de moeurs implacable. Le récit ne souffre pas d'être développé sur deux tomes (un peu moins de 100 pages au total).
Mais surtout cette adaptation est formidablement mise en image. Bruno Duhamel n'a pas la reconnaissance qu'il mérite, même si avec la série Les Brigades du temps (écrite par Kris, trois tomes parus chez Dupuis - mais plombés par des changements de titre) il tenait une occasion idéale.
Son style, semi-réaliste, évoque à la fois Jean Giraud et Jean-Claude Mézières : du premier, il a le goût des détails, des plans fournis, une capacité à composer franchement impressionnante (il suffit de voir la double page, dans le tome 1, quand Rastignac arrive dans la salle du bal donné par sa cousine) ; du second, il a le trait énergique, très expressif, le soin apporté aux ambiances.
Ses personnages sont bien campés, ses décors d'un réalisme irréprochable, et, assurant lui-même la colorisation, il met parfaitement valeur chaque case, chaque planche, avec une palette très nuancée. De quoi attendre avec impatience et confiance son premier récit complet écrit et dessiné par lui seul, prévu en 2017 et qui s'appellera... Le Titre (un bon gros volume de près de 200 pages).
Aussi bien pour réviser ses classiques que pour faire connaissance avec un artiste de haute volée, ce Père Goriot en BD mérite qu'on s'y arrête.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire