The Nice House on the Lake entre dans son dernier quart avec ce huitième épisode. Le récit de James Tynion IV évolue tranquillement, sur un rythme de sénateur, et on lit tout ça avec parfois un ennui poli, comme si la machine était grippée après le hiatus de la série. Néanmoins, grâce notamment au dessin extraordinaire d'Alvaro Martinez, on se laisse porter jusqu'à un cliffhanger qui nous réveille opportunément.
Et cette découverte, bien entendu, je vais m'abstenir de vous la révéler mais, soyez-en sûr, elle va avoir des conséquences sur la suite et fin de la série. James Tynion IV sait soigner ses sorties et rien que pour cela on sera indulgent avec ce qui a précédé dans cet épisode.
Car, avouons-le, on s'ennuie un peu. Cette impression diffuse depuis la reprise de la série, après son break éditorial, se confirme ici : la machine semble grippée, comme si le scénariste cherchait un deuxième souffle pour accrocher à nouveau le lecteur. C'est le piège, inévitable, d'une série qui mise beaucoup sur l'ambiance. Et où le lecteur en sait (un peu) plus que les protagonistes.
La narration choisie par Tynion est casse-gueule car quand on décide de donner au lecteur des éléments qu'ignorent les héros de l'histoire, le risque réside dans le fait qu'on a le sentiment que lesdits héros ne comprennent pas assez vite la situation. Ou que le scénariste gagne du temps.
Puisqu'on sait que The Nice House on the Lake comptera douze numéros, forcément on s'interroge sur la capacité de l'auteur à tenir sur la durée. Que prépare-t-il dans la dernière ligne droite ? Il est acquis, vu les premières pages de chaque épisode, se déroulant après le coeur du récit, que ça ne s'est pas bien terminé. On voit à chaque fois un membre du groupe des amis de Walter évoluer dans un cadre flou mais apocalyptique, vêtu de haillons, parfois armé, et monologuant sur sa rencontre avec Walter, l'impression première qu'il lui a fait, et le bilant de tout ce qui s'est passé ensuite.
Si à chaque fois l'épisode s'ouvre sur un personnage isolé, ça signifie que l'histoire a vu le groupe éclater et que le projet de Walter a échoué. Dans cet épisode, on suit Sarah Radnitz, qui, dans la vie d'avant, officiait en qualité de consultante - un terme assez vague mais qui l'identifie comme quelqu'un dont l'avis compte pour des décisionnaires. C'est aussi un poste qui engage l'individu qui l'exerce puisqu'il est payé pour sonder, avoir une opinion, qualifier qualités et défauts.
A cet égard, Sarah témoigne avec une acuité intéressante puisqu'elle explique n'avoir pas apprécié Walter de prime abord. Elle le trouvait condescendant, comme s'il jugeait, jaugeait, toisait les autres. Puis elle a baissé la garde, comme les autres. Au coeur de l'épisode, les deux personnages ont un échange instructif : Walter évoque son envie de satisfaire ses amis même dans la situation extraordinaire et tragique dans laquelle ils sont désormais, et pour cela il les encourage dans divers projets (constructions d'un hangar, d'un spa, d'un observatoire - même si ce dernier semble embarrasser Walter -, d'une ferme). Mais Sarah le reprend, en douceur, car, estime-t-elle, en voulant trop bien faire, l'attitude de Walter peut paraître plus dirigiste qu'encourageante. Or, un leader se doit de rester à l'écoute de chacun, quitte à laisser faire.
Plus tard, Walter rejoint Norah dans la seconde maison où il la retient et elle complète le discours de Sarah en pointant l'hypocrisie de son hôte. Forcément qu'un jour, et peut-être arrivera-t-il plus vite qu'il ne le pense, le groupe découvrira ce qu'il a fait. Toutes ses bonnes intentions ne péseront pas lourd face à l'incompréhension et à la colère que cela suscitera alors. Walter s'emporte, perdant, comme c'est l'usage, son apparence humaine, persuadé de ne manipuler les autres que pour leur bien. Mais c'est justement là son hypocrisie (son aveuglement même) : il ne fait rien pour le bien des autres, il fait tout pour son bien à lui, depuis le début de cette aventure où il a piégé ses amis en détruisant le monde et en les cloitrant dans cette villa paradisiaque.
Un troisième grain de sable va encore plus enrayer la machine de Walter et c'est Ryan qui l'incarne. Ella a remarqué, sans comprendre pourquoi, que Walter l'évitait désormais. En voyant cela, elle s'est rendu compte de manière blessante de sa position dans le groupe dont elle est la benjamine et la dernière recrue. Elle se confie à Reg qui ne trouve pas les mots pour la rassurer, aussi sort-elle prendre l'air. Ses pas la conduisent, inconsciemment, jusqu'à la seconde maison où, donc, elle va découvrir quelque chose de bouleversant.
Tout cela mériterait d'être plus dynamique, et même si l'épisode est ponctué de splash-pages avec les plans des futures installations, on a l'impression que Tynion avance avec le frein à main, comme s'il se retenait pour ne pas aller trop vite. C'est dommage, et peut-être (mais, pour le savoir, il faudra attendre le dernier épisode) en vérité sa série est-elle un peu trop longue ou manque-t-elle de matière pour douze épisodes. Mais bon, ça devrait quand même bouger davantage le mois prochain.
En revanche, si le déroulement de l'action pêche un peu par manque de tonus, la série reste incontournable par sa qualité graphique. Alvaro Martinez éblouit à chaque fois et ce numéro ne fait pas exception à la règle.
Il y a une forme d'expressionnisme fascinant dans le traitement du dessin, quelque chose de brut, mais aussi de finement ouvragé. L'image est souvent sombre, avec des à-plats noirs profonds, et les sources lumineuses dans chaque plan sont précieuses. Mais ça ne signifie pas que c'est pénible à lire car c'est toujours étonnamment clair. Tout ce qui ressort est comme dégagé à l'acide, ainsi qu'on procède en verrerie.
Par ailleurs, le soin apporté aux expressions des visages, aux attitudes, à tout le body language est épatant. On sent que Martinez a eu à coeur de donner à chacun des protagonistes une véritable identité à ce niveau-là, sans doute pour compenser le fait que ce casting fourni pouvait parfois égarer le lecteur qui a plus l'habitude d'identifier les héros sur des bases plus simples comme les visages ou les costumes. Moi-même, parfois, je ne sais plus trop qui est qui, et en fait, c'est le groupe tout entier qui devient une entité, avec un narrateur différent à chaque épisode, comme une balise pour se repérer.
Ajoutez à cela que la colorisation de Jordie Bellaire épouse cette exigence graphique, avec des jeux de teintes anti-naturalistes, qui brouillent les cartes encore davantage. Il est certain qu'une fois qu'on pourra (re)lire The Nice House on the Lake d'un trait, ce sera certainement plus facile (et pour ma part, j'attends la vf, en un seul volume, chez Urban Comics, même si ça risque de ne paraître qu'en 2023 à ce rythme - car la série va faire un nouveau break après le #9... Et on ne sait toujours pas quand sortira le #10 !).
Bref, pour résumer, un épisode un peu cahin-caha. Si le titre mérite qu'on persévère, il faut tout de même reconnaître que c'est un cran en dessous du premier acte.
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