Cela faisait un moment que je n'avais pas écrit de critique sur un film - en dehors du genre super-héroïque. Mais j'ai eu un tel plaisir, une telle émotion en voyant En Corps, le nouveau long métrage réalisé par Cédric Klapisch que je voualais les partager avec vous, en espérant vous donner envie d'aller le voir.
Elise est une première danseuse dans le corps de ballet de l'Opéra de Paris. Un soit, avant d'entrer en scène, elle aperçoit dans la coulisse son amant, également son partenaire pour cette représentation, embrasser une autre danseuse. L'événement la trouble tant qu'elle se reçoit mal lors d'une figure et se blesse sérieusement. La femme médecin qui l'examine est réservée sur son avenir dans la troupe.
Entre les mains de son kinésathérapeute, Yann, Elise tente de faire face mais apprend que la danseuse avec qui son amant l'a trompée était la compagne du praticien. Tous deux conviennent de la nécessité de tirer une leçon de cette trahison en faisant une pause pour réflechir à l'avenir. Elise renoue avec Sabrina, une ancienne amie du conservatoire, qui lui propose de les accompagner, elle et Loïc, son compagnon, en Bretagne, où ils font la cuisine pour une femme qui accueille en résidence des artistes.
Elise fait la connaissance de cette femme, Josiane, qui, elle aussi, a subi une grave blessure dans sa jeunesse mais soutient tous ceux qui partagent leur don. Bientôt une compagnie de danse contemporaine dirigée par le chorégraphe Hofesh Shechter s'établit dans la maison et cela motive Elise à se rétablir au plus vite. Mais la peur d'aggraver sa blessure la freine dans un premier temps.
Pourtant lorsque Shechter l'invite à participer aux répétitions, Elise ne résiste pas longtemps et oublie ses craintes, renouant avec le plaisir de pratiquer la danse et de s'essayer à un nouveau registre. Elle se rapproche de Medhi, un membre de la troupe. Moralement et physiquement, elle récupère de manière spectaculaire. Même si Yann, qui vient la retrouver en espérant lui révéler ses sentiments pour elle, doit oublier ses plans...
Shechter et ses danseurs repartent pour Paris où ils se produisent prochainement et le chorégraphe invite Elise dans la troupe si elle se sent prête. Peu après, c'est au tour de Loïc et Sabrina de s'en aller. Josiane fait promettre à Elise de danser à nouveau et de le faire avec joie pour permettre aux autres de profiter de la beauté de son art.
A Paris, Elise revoit son père et l'invite aux ultimes répétitions avec la troupe de Shechter qu'elle a intégrée. D'abord étonné par la voie choisie par sa fille, ce dernier lui avouera sa fierté et son amour le soir de la première du spectacle. Elise, aux côtés de Medhi et ses nouveaux partenaires, entame sa deuxième vie, telle qu'elle l'avairt promise à sa défunte mère puis à Josiane...
Le plus curieux, c'est que je ne suis même pas très friand de danse, qu'elle soit classique, moderne ou de salon. Quand j'allais aux boums (hé oui, j'ai l'âge d'avoir été aux boums...), j'étais trop maladroit et timide pour oser même inviter une fille à partager un slow avec moi, et je n'ai même jamais mis les pieds ni dans une boîte ni à l'opéra !
Mais... Mais Cédric Klapisch. Oh, je sais bien que pour certains cinéphiles, ce cinéaste n'est pas digne de considération : trop gentil, des films trop sages, que sais-je encore. Mais j'aime son cinéma qui sonde ma génération en fait, depuis trente ans tout juste. J'ai grandi avec ses longs métrages et ils ne m'ont jamais assez déçu pour que je lui tourne le dos. Oui, c'est un cinéma gentil, bienveillant, mais pourquoi serait-ce un défaut, une tare ?
Parce que je ne comprends pas ce procès et que, à vrai dire, je m'en moque, j'avais coché la date de la sortie de En Corps en espérant pouvoir aller le voir. Ce fut chose faite ce dimanche d'élection présidentielle.
En Corps est un film sur la résilience, une notion à la mode mais qui trouve du sens en ces temps troubles. Théorisée par Boris Cyrulnik, la résilience est la capacité à surmonter un choc traumatique. Qui n'en a pas vécu ? Celui que subit Elise, l'héroïne de cette histoire, la force à se remettre en question brutalement. Un soir de représentation, elle découvre que son partenaire sur scène et dans la vie la trompe. Peu après, elle se blesse en faisant une mauvaise réception. La femme médecin qui la recevra pour examiner ses radios après qu'on l'a platrée à l'hôpital ne sera pas rassurante en évoquant une liaison l'empêchant peut-être de danser à nouveau.
Ce diagnostic est nuancé par Yann, son kiné, mais il est aussi chamboulé qu'elle car sa fiancée est précisément la danseuse avec laquelle l'ex d'Elise l'a trompée. En partageant cette épreuve, tous deux conviennent qu'il faut savoir en tirer parti, en s'autorisant une pause pour réfléchir sur leur avenir, leurs envies. Peu après, Elise revoit une ancienne amie du conservatoire de danse qui lui offre un boulot en Bretagne dans une résidence d'artistes.
Là-bas, Elise fait plusieurs rencontres qui vont être déterminantes, comme autant d'étapes dans sa reconstruction. Cédric Klapisch et son co-scénariste, Santiago Amigorena, se servent de personnages secondaires pour mettre en mouvement cette remontée à la surface pour leur héroïne. Un procédé simple, convenu, certes, mais efficace, et qui fonctionne car on s'attache de plus en plus à Elise mais aussi aux gens qui l'entourent. Un flashback nous la montre enfant puis adolescente suivant sa mère à des cours de danse, puis, de manière plus allusive, nous renseigne sur le décès de cette maman et la vie avec un père et deux soeurs plus âgées. Des petits cailloux qui nous guident sur l'existence de cette jeune femme fragilisée mais déterminée, ouverte à la vie mais dans l'incertitude comme jamais.
L'arrivée à la résidence tenue par Josiane, qui traîne sa claudication comme un mystérieux vestige mais apporte aussi son soutien inconditionnel aux artistes, transmetteurs du Beau et donc d'espoir, d'une troupe de danse contemporaine donne un coup d'accélérateur à l'intrigue. Elise s'éprend de Medhi, membre de la compagnie, est encouragée à participer aux répétitions par le chorégraphe. Le film ne brûle pas les étapes pour autant, soulignant l'appréhension face à la blessure, puis la différence entre danses classique et contemporaine (l'une aérienne et fondée sur un exercice strict, l'autre plus terrienne et fondée sur le lâcher-prise).
Des subplots viennent ponctuer la renaissance d'Elise avec le couple chamailleur de Loïc et Sabrina, le retour dans l'image de Yann (qui s'est épris d'Elise mais trop tard - et qui retrouvera l'amour auprès d'une autre fille avec le même prénom). Le cadre de la Bretagne, avec le vent qui vous emporte et vous fait tomber, ses falaises qui donnent le vertige, servent de décor au film d'un cinéaste qui est pourtant attaché à Paris, qu'il filme toujours sans cliché : c'est une parenthèse opportune qui signifie que c'est loin de ses bases qu'on peut prendre du recul. Tout comme elle s'éloigne de la capitale et s'essaye à une autre forme de danse, Elise comprend qu'une autre vie est possible.
Reste le "dossier" du père. Personnage un peu sacrifié, il trouve une consistance émouvante dans la dernière partie grâce à des échanges et des moments bien sentis. Ce papa qui a élevé seul ses filles et rêvait de métiers tranquilles pour elles, sans qu'elles doivent dépendre de leur physique, a un rapport particulier forcément avec la danse, qui lui rappelle sa femme et ses appréhensions devenues réalité avec la blessure de sa benjamine. Pour cette raison, il n'a jamais dit à sa progéniture la fierté qu'elle lui inspirait ni l'amour qu'il lui portait, par pudeur, par peur. Mais quand il assiste à la première du spectacle de la troupe et que celui-ci le bouleverse quand Elise, seule sur scène, interprète une femme brisée comme une poupée mais qui renaît, il ne retient pas ses larmes et ne tait plus ses sentiments. Une scène poignante et belle, là encore tout simplement.
Klapisch photographie de manière sublime toutes les scènes de danse, qu'il a appris à cadrer après un documentaire consacré à la danseuse étoile Aurélie Dupont (L'espace d'un instant, 2010). Amoureux de cet art et de l'effort physique allié à la grace (comme il l'a aussi prouvé en filmant le perchiste Renaud Lavillenie (les docs L'élévation et Jusqu'au bout du haut, 2014 et 2016), le réalisateur signe une sorte d'anti-Black Swan (Daren Aronofsky, 2011) en montrant que la danse n'est pas qu'une affaire de torture mentale et physique, mais aussi une source de plaisir, de joie, d'accomplissement.
Cela, il le peut aussi grâce à Marion Barbeau, danseuse à l'Opéra de Paris, à qui il donne le premier rôle et qui s'impose avec l'évidence des actrices-nés. Bien entendu, aucune comédienne n'aurait pu se produire comme elle dans cette discipline, avec tant de naturel. Mais elle joue réellement avec la même facilité, une présence folle et pourtant discrète. C'est elle le coeur vibrant du film, qui nous gagne à cette histoire et nous fait aimer aussi bien le ballet que le contemporain, même sans être un fan. J'ai été totalement subjugué, je l'avoue, par cette jeune femme gracile, au visage d'ange, et qui entraîne tout le film à des hauteurs insoupçonnées.
Elle est bien entourée, sans être éclipsée, et pourtant avec des partenaires aguerris comme Pio Marmaï, François Civil ou Denis Podalydès, ce n'était pas gagné. Il faut aussi mentionner Souheila Yacoub, solaire et irrésistible Sabrina, et Muriel Robin, dont je me méfiais un peu mais qui est parfaite dans ce rôle d'hôte et de coach. Hofesh Shechter joue son propre rôle de chorégraphe et co-signe la bande originale avec Thomas Bangalter (ex-moitié de Daft Punk) - la musique est évidemment essentielle, très présente, et puissante.
Après avoir suivi la jeunesse insouciante, Klapisch a depuis quelque temps infléchi son regard pour accompagner les doutes de ses héros en devenir. De ce point de vue, après Deux Moi, En Corps prouve qu'il n'a rien perdu de son acuité. C'est un film galvanisant et d'une beauté inouïe.
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