Avec un retard conséquent, le pénultième épisode de Catwoman : Lonely City est enfin sorti - et il faudra encore patienter jusqu'en Août pour découvrir la fin de cette histoire. Mais on pardonnera volontiers à Cliff Chiang parce qu'il faut se rappeler qu'il fait absolument tout sur cette série (scénarion dessin, couleurs, lettrage, couverture et variant cover !) mais surtout parce que le résultat est excellent. Et ce numéro le prouve amplement une nouvelle fois !
Catwoman et son gang infiltrent l'asile d'Arkham pour y prélever un échantillon de Gueule d'argile. Mais l'opération ne passe pas incognito et en fuyant, Killer Croc se sacrifie pour sauver ses amis.
Dévastée par la mort de son ami, Selina trouve du réconfort dans les bras d'Edward Nygma à qui elle demande de l'aider à résoudre ce que signifie "Orphée". Et il lui vient une idée...
En ville, la tension monte encore d'un cran quand Harvey Dent veut déloger des manifestants soutenus par Barbara Gordon. L'irruption de Catwoman au milieu de la scène provoque une émeute.
Catwoman réduit encore ses effectifs par crainte de nouvelles pertes. Avec Poison Ivy et Jason Blood, elle trouve l'entrée de la Batcave. Jason Blood invoque alors le démon Etrigan...
Prévue pour être bimestrielle, la mini-série écrite, dessinée, colorisée et lettrée par Cliff Chiang a éprouvé la patience de ses fans puisque ce troisième épisode sort quatre mois après le deuxième. Comme je le disais en préambule, il sera beaucoup pardonné à l'auteur considérant la masse de travail qu'il assume mais aussi, surtout, parce qu'il ne déçoit pas pour son retour. Au contraire !
La première satisfaction vient en vérité du fait que l'histoire reste fraîche : je n'ai pas eu besoin de me replonger dans le précédent numéro pour me souvenir de là où Chiang en était resté. C'est bien la preuve de l'efficacité de son récit dont l'intrigue est mémorable et dont la narration est fluide.
Ensuite, Chiang enchaîne avec la même inspiration : le début de cet épisode est imparable et culmine avec une scène dramatique et poignante qui voit la mort d'un des protagonistes. Killer Croc, auquel on s'était attaché pour sa caractérisation touchante de partenaire à la ramasse, se sacrifie héroïquement lors d'une cavale dans les souterrains de l'asile d'Arkham et Chiang réussit admirablement à traduire tout le désarroi de Catwoman au moment d'achever son ami (comme il le lui demande).
Ce moment fort fonctionne comme une bascule pour Selina Kyle qui assiste à une veillée funèbre en hommage à Waylon Jones. Elle ne peut supporter le poids de sa culpabilité et fuit la salle. Edward Nygman la rattrape. Ils s'embrassent et finissent au lit. La scène n'a rien de gratuit, elle est traitée avec pudeur, de façon très élégante. Et ça ne tombe pas comme un cheveu dans la soupe. On peut même y voir comme un étonnant écho à Batman : Killing Time de Tom King, qui paraît actuellement, et dans lequel on voit Catwoman et le Sphinx former une sorte de couple déjà (puisque l'histoire de King se situe avant les débuts de la romance entre Cat et Batman). C'est le zeitgest en quelque sorte.
Mais par ailleurs, donc, la mort de Croc va iprofondément affecter l'attitude de Catwoman car elle prend douloureusement conscience que l'affaire dans laquelle elle a embarqué ses complices peut leur coûter la vie. La sienne lui importe peu, c'est une femme qui veut résoudre un dernier mystère comme on espère tourner une page d'un passé tragique. Mais c'est une autre chose que d'envisager la perte de proches qui n'ont pas à payer pour ses erreurs.
En quête d'un allié solide, Selina et le Sphinx jettent leur dévolu sur le plus inattendu d'entre eux : Jason Blood alias Etrigan le démon. Ils achètent son aide avec une statue volée cachant une relique non moin surprenante : le casque du Dr. Fate ! Ces éléments surnaturels - Blood/Etrigan, Fate - entraînent la série dans une nouvelle dimension tout à fait excitante car imprévisible. ils induisent un danger peut-être encore plus grand car Blood précise qu'il n'a plus laissé son alter ego resurgir depuis très longtemps et qu'il en conçoit certainement une forte rancoeur. Au moment de l'invoquer, ce sera donc risqué.
Chiang n'oublie pas cependant l'autre versant de l'intrigue qui met en scène l'élection municipale de Gotham et la rivalité entre Harvey Dent (qu'on voit en difficulté tant sur le plan des sondages que dans sa volonté de ne pas céder à nouveau à ses pulsions homicides) et Barbara Gordon. Ce duel culmine dans un face-à-face très intense entre la police surarmée du maire sortant et des manifestants qu'est venue soutenir Babs. Une étincelle suffirait à provoquer le chaos et bien entendu, il va éclater quand Catwoman surgit au milieu de tout ça, après avoir dérobé la statue précédemment mentionnée. La scène est spectaculaire et parfaitement mise en scène, restituant tout le désordre, la confusion qui peut se produire en pareille occasion.
Tout cet ensemble de séquences mises bout à bout soulignent aussi la sensation que l'histoire file vers un dénouement épineux. Catwoman fait encore davantage le vide autour d'elle, au point d'écarter le Sphinx (et sa fille), qu'elle soupçonne de la trahir pour l'empêcher d'aller au bout de sa quête obsessionnelle. En fait, on voit surtout Selina perdre pied, tenter de se raccrocher à ce qu'elle peut, et pour cela, elle préfère couper les ponts. Au fond, ses années de détention, le deuil de Batman, le souvenir de la "Nuit des Fous", tout remonte à la surface et la submerge. Elle ne tient plus debout que mue par son objectif : percer le secret que représente "Orphée" en explorant la Batcave. En dehors de ça, rien n'est certain, tout est précaire, et elle ne peut se permettre d'être fragilisée, donc elle fait le vide autour d'elle - à l'exception d'Ivy (que Chiang écrit merveilleusement, dans cette incarnation exceptionnelle).
Visuellement, les efforts de Chiang sont phénoménaux. Qu'il occupe tous les postes montrent bien à quel point ce projet lui tient à coeur et on peut faire un parallèle évident entre l'artiste et sa muse, tous deux littéralement portés apr ce qu'ils ont à faire.
Mais on apprécie surtout, avant tout, l'expérience de Chiang. C'est un artiste aguerri, au style mûri, accompli. Et un narrateur fabuleux. On ne pense pas immédiatement à Chiang quand il s'agit de pointer les dessinateurs les plus costauds, et pourtant ce qu'il réalise avec Catwoman : Lonely City prouve à quel point il maîtrise son art.
Le découpage, en particulier, est une leçon dans ce domaine. Chaque épisode se lit avec une facilité déconcertante, le flux de lecture est limpide, évident. Rien n'est en trop, ce qui est un petit exploit quand on s'astreint à des épisodes de 40 pages, où il faut doser différemment qu'avec le format traditionnel de 20 pages. Et pourtant, on ne voit pas la différence tant le rythme est impeccable, tant les scènes sont bien montées, avec des variétés dans la manière d'enchaîner les plans tout à fait remarquables (je pense en particulier, j'y reviens, à la scène de la mort de Croc, où pas un plan n'est redondant, trop appuyé...).
La gestion des couleurs est également superbe car Chiang opte pour la sobriété. Souvent, la scène baigne dans des tons très simples, en rapport avec l'ambiance ou l'heure. Ainsi, la nuit, tout est bleu. C'esr tout bête, mais ça fonctionne car l'essentiel est ailleurs, dans la vérité des sentiments exprimés, dans la justesse des expressions, des postures. On n'est pas distrait pas les couleurs, mais les couleurs valorisent la scène.
Enfin, Chiang soigne les décors. Il le peut, il prend son temps pour le faire. N'empêche, c'est appréciable, et ça prouve là aussi qu'il ne se fiche pas de nous. Quand on suit le cambriolage dans le musée, quand on entre chez Jason Blood, quand on assiste au duel entre Dent et les manifestants, tout ça est intense parce que puissamment situé. Que ceux qui croient qu'un comic-book peut faire l'économie de bons décors lisent Catwoman : Lonely City, et ils verront que ce "détail" fait la différence entre une histoire pouvant se passer n'importe où et une autre où le cadre de l'action est essentiel à sa qualité.
Le cliffhanger qui clôt l'épisode rend l'attente qui s'annonce insoutenable. Mais parti comme c'est, peu de risque que Chiang foire la fin de sa mini-série, d'ores et déjà bien placée pour figurer dans le top des comics du Black Label de DC cette année.
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