vendredi 7 janvier 2022

INFERNO #4, de Jonathan Hickman, Valerio Schiti et Stefano Caselli (Critique avec spoilers !)

 

Je voulais d'abord écrire cette critique en contournant les spoilers, mais je me suis rendu compte de la difficulté de l'exercice. Aussi, je vais divulgâcher des éléments clés de l'intrigue pour parler librement de la fin de Inferno, qui est aussi la fin du run de Jonathan Hickman sur la franchise mutante. Une conclusion attendue, à la fois terrible et frustrante, superbement mise en image par Valerio Schiti et (un peu) Stefano Caselli.

Donc, attention, à partir de maintenant, soit vous continuez la lecture de cet article. Soit vous renoncez pour vous préserver.




Terra Verde. Charles Xavier Magneto font face aux hommes armés d'Orchis, la Sentinelle Oméga et Nimrod. Ces deux derniers exécutent froidement les hommes pour affronter les deux mutants dans un duel à mort. Xavier ouvre les hostilités en pensant que les adversaires détiennent Moira X.


Krakoa. Moira est privée de son pouvoir par Mystique grâce au pistolet autrefois mis au point par Forge. Elle explique ensuite quel était son plan depuis le début : supprimer le gène mutant dès la naissance de telle sorte qu'un mutant n'aurait jamais su de quoi il aurait été privé mais qui aurait survécu à la persécution. 


Cet aveu ne fait que renforcer le désir de Mystique de tuer Moira mais Cypher intervient alors pour l'en dissuader, en rappelant que les lois de Krakoa interdisent le meurtre d'un humain. Avec le renfort de Bei, Warlock et Krakoa, il convainc Destinée de laisser filer Moira, désormais bannie de l'île.
 

Tués par Nimrod et la Sentinelle Oméga, Xavier et Magneto sont ressucités une semaine après. Emma Frost leur explique en présence des membres du conseil de Krakoa qu'elle les a mis au courant de ce qu'ils avaient dissimulé. Plus de secrets mais un même fardeau à partager désormais.
 

Le Conseil se réunit, entre les fondateurs (Xavier, Magneto), les fidèles (Diablo, Tornade), le digne de confiance (Colossus), l'enfant innocent (Cypher), la gardienne trahie (Emma Frostà, les héros et vilains (Kitty Pryde, Sebastian Shaw), les tueurs (Mystique, Destinée), le menteur (Mr. Sinistre) et le vrai croyant (Exodus).

La question que tout le monde se posera après la lecture de ce dernier chapitre de Inferno, qui marque aussi la fin du run de Jonathan Hickman dans la franchise mutante, c'est : est-ce une fin à la hauteur des espérances placées en elle ?

Disons tout net que oui. Mais que ce terminus est ausi terriblement frustrant. Mais aussi prometteur, si les autres scénaristes désormais aux commandes exploitent les idées laissées en friche par Hickman. Car, en vérité, Inferno, c'est surtout ça : plus qu'une conclusion définitive, c'est un réservoir excitant pour le futur des mutants et de "l'âge de Krakoa".

A la fois lettre d'adieu, chant du cygne et legs, Inferno s'apprécie non pas comme un épisode terminal, mais une promesse. Si ceux qui succéderont à Hickman (du staff éditorial aux auteurs et aux artistes) savent exploiter ce qu'il laisse derrière lui, alors il y aura encore de quoi alimenter de longues heures de lecture jubilatoire. Sinon, tout ce qui a été entrepris par Hickman depuis House of X/Powers of X ne sera qu'une belle parenthèse inaboutie, un jardin mal entretenu.

Inferno #4 se divise en trois actes : le premier montre la confrontation terrifiante entre Xavier, Magneto et la Sentinelle Oméga et Nimrod ; le deuxième concerne le face-à-face entre Mystique, Destinée et Moira X ; et le troisième établit ne nouveau statu quo mutant, préface à Destiny of X. Détaillons ça.

Nous avions laissé Charles Xavier et Magneto face aux troupes armées de Orchis assistées de la Sentinelle Oméga et Nimrod dans une base dévastée en Terra Verde. Hickman nous fige sur place quand la Sentinelle Oméga et Nimrod commencent par exterminer les hommes de Orchis pour révéler que l'explication se jouera "entre titans", robots contre mutants. Cette idée a alimenté House of X et surtout Powers of X, quand dans la neuvième vie de Moira, ne restait plus qu'un bastion de mutants affrontant Nimrod et de la Sentinelle Oméga. Il était donc dit que tout finirait entre les machines et les homo superior dans un duel à mort, dont les machines sortiraient vainqueurs... Sauf dans la dixième vie de Moira où les mutants trouvaient la parade définitive contre les machines jusqu'aux Phalanx.

C'est, curieusement, la partie la plus frustrante et en même temps la plus spectaculaire. Valerio Schiti traduit en images toute la puissance et l'intensité de ce combat, avec des déchaînements de forces impressionnants comme lorsque Xavier démembre psychiquement Nimrod (qui se reconstitue vite) ou que Magneto manque de peu de pulvériser Nimrod et la Sentinelle Oméga. Le dessinateur italien déploie tout son talent dans des planches vraiment soufflantes, auxquelles les couleurs de David Curiel donne encore plus d'éclat en jouant sur des teintes opposées (bleu contre orange).

Mais le frisson que procure cette bataille épique, ce baroud plein de panache et de désespoir, ne comble pas complètement la frustration de la lecture. Parce qu'on devine bien que cette oppostion machine-mutant était une piste narrative que Hickman aurait voulu/pu/dû développer s'il avait prolongé son run. Là, il ne fait que la réitérer et nous laisse sur la promesse, par Magneto, d'un match retour. A voir donc si un scénariste l'écrira un jour, quand, comment. Mais le résultat est dramatique à souhait puisque Xavier et Magneto tombent sous les coups ennemis. 

Schiti dessine en particulier Nimrod avec une stature effrayante comme peu d'artistes l'ont fait avant et Hickman place dans la bouche de la Sentinelle Oméga exactement les mêmes mots que ceux que Cyclope adressait à Sue Storm dans House of X #1 ("Vous pensiez vraiment que nous allions rester éternellement sans rien faire, la tête baissée ?"). Pour la Sentinelle Oméga, qui auparavant a tué des humains, homo sapiens et superior sont identiques, des obstacles à éliminer pour assurer le règne des machines, de Nimrod.

Pris entre deux scènes de bataille, la confrontation tant attendue entre Mystique, Destinée et Moira est finalement beaucoup plus forte et accomplie. On sent que Hickman a, là, à coeur de terminer le travail pour clore son run. C'est comme si tout ce qu'il avait entrepris devait mener à ce moment. Et le résultat est époustouflant, même s'il clivera autant que la décision initiale, dans House of X #2, d'avoir fait de Moira une mutante.

Souvenez-vous du dialogue entre Emma Frost, Mystique et Destinée où la première révélait aux deux autres l'existence de Moira et sa condition. Il était ensuite question d'un cadeau, d'un présent offert par le Reine Blanche aux deux autres mutantes pour règler le problème Moira. Mais quel était-il ?

C'est le pistolet conçu par Forge autrefois (apparu dans Uncanny X-Men #184, par Chris Claremont et John Romita Jr, en 1984), le "neutraliseur", capable d'ôter son pouvoir à un mutant et qui priva Tornade des siens. Hickman connaît ses classiques et le lecteur, qui a lu cet épisode, est pétrifié en voyant réapparaître cette arme terrible.

Mystique tire sur Moira. Elle redevient une simple humaine - il n'y aura donc pas de onzième vie pour elle. Mais une vérité bien plus crue, dérangeante, va se faire jour et la séquence va complètement basculer. Pour Mystique et Destinée, Moira était l'ennemie parce que son pouvoir a influé sur le choix de Xavier et Magneto de ne pas ressuciter Destinée plus tôt. Pour Destinée, Moira constituait un trouble car elle l'empêchait de lire l'avenir, brouillant le futur. En la tuant, elles faisaient d'une pierre, deux coups : supprimer la responsable de leur séparation et redonner la vue à Destinée.

Pourtant, au moment de sa dernière heure, Moira ne tremble toujours pas, elle se moque même des deux mutantes qui lui en veulent. Une bravade ? Pire. Parce qu'elle a expérimenté toutes les issues possibles du devenir mutant et que toutes aboutissent à un échec, la tuer ne règlera rien. L'Histoire est écrite, la "mutanité" échouera, périra. Donc son plan, à travers Krakoa, était autre que celui que les deux tueuses et le lecteur pensaient.

Destinée en a l'intuition : il s'agissait toujours de trouver une cure pour les mutants. Moira le reconnaît mais nuance : elle voulait éliminer le gène mutant avant qu'il ne se manifeste (à l'adolescence donc). Ainsi un mutant aurait grandit sans savoir de quoi il avait été privé. Mais surtout elle a la conviction que c'était le seul moyen d'épargner aux mutants la persécution, l'extinction. Moira apparaît soudain non pas comme la sauveuse de la race mutante, mais comme une des (sinon la) plus grande méchante qu'aient connue les mutants. Un twist radicale et stupéfiant.

Qui va donc cliver, diviser autant (peut-être même plus) que lorsque Hickman a fait de Moira une mutante. Il n'empêche, pour ma part, je considère que Hickman a fait, durant les deux dernières années, de Moira un des personnages les plus passionnants qui soit. Auparavant, elle était l'alliée des mutants, la maîtresse de Xavier, la mère de Proteus (enfant né d'un viol), finalement pas grand-chose puisqu'elle n'existait que par rapport aux mutant qu'elle côtoyait. Si elle était restée telle quelle, elle n'aurait même pas eu droit de citer dans "l'âge de Krakoa" puisque les humains n'y ont pas accès (à part le mari de Vega). Mais en en faisant une mutante, s'étant réincarnée dix fois, et une des stratèges en coulisses de la révolution mutante, puis in fine une manipulatrice effrayante, Hickman lui a donné une épaisseur, une importance énormes. Et, même à nouveau humaine, dépossédée de son pouvoir (comme elle voulait que tous les mutants le soient finalement), elle reste un personnage déterminant.

Car que va-t-elle devenir ? Elle est en cavale, et ce qu'elle voulait faire ne restera pas un secret gardé par quelques krakoans. Elle sera traquée. Ou peut-être va-t-elle devenir une alliée d'Orchis, pour qui elle serait un atout considérable. Là encore, le destin de Moira appartient désomais aux scénaristes de la franchise et à celui (ceux) qui aura l'idée de son futur.

Cypher sera aussi un personnage à qui Hickman aura donné une dimension inédite. Il l'aimait beaucoup et a eu à coeur, jusqu'au bout, de le prouver. C'est grâce à lui que Moira s'en tire à bon compte en pouvant quitter Krakoa indemne (ou presque) car il dissuade, intelligemment, habilement, Mystique et Destinée de l'achever. Il a "sa" grande scène, après la révélation de son rôle dans l'épisode précédent. Le gentil blondinet, polyglotte, s'affirme comme un brillant joueur d'échecs, un marionnettiste très malin, avec des alliés peu nombreux mais efficaces (sa femme Bei, Warlock, et Krakoa elle-même). La manière dont Hickman, via Destinée, expose les trois choix qui s'offrent à elle et Mystique vis-à-vis de Moira et Doug est une démonstration de dialoguiste, (qui rappelle un moment similaire de Le Livre des Crânes de Robert Silverberg...). Rien que pour ces pages, la conclusion d'Inferno mérite des applaudissements tellement c'est implacable.

Enfin, et alors que Schiti signe ses dernières planches pour laisser à Stefano Caselli le soin de fermer le ban, en beauté, pour deux scènes (l'une une fois encore superbement dialoguée, l'autre muette), nous retrouvons Xavier et Magneto. Tout juste ressucités, Emma Frost, coiffée du casque Cérébro, leur rend leur âme. Une semaine s'est écoulée depuis leur mort et le départ de Moira. Une semaine où tout a changé.

Même si Hickman n'a, semble-t-il, pas voulu/osé complètement renverser la table (en faisant d'Emma la nouvelle présidente de Krakoa), il laisse le gouvernement mutant et le lecteur hébétés. Plus de secrets entre eux, mais un fardeau commun. Et des tensions vives, des fractures béantes, des cicatrices vives, et une bonne part d'incertitudes.

Deux points : le premier, c'est la qualité de chacun des treize membres du conseil, énumérée avec une sorte d'ironie mordante (les fondateurs, héros, vilains, tueurs, menteurs, croyants, fidèles, innocents...) ; et le second, encore plus lugubre. Les mutants ont bâti leur nation sur une île avec de hauts murs, comme une forteresse. Mais aujourd'hui, ces murs si hauts les protègent moins qu'ils ne les enferment. Et ils sont tous dans la même cellule. Comme le criait Rorschach aux détenus de la prison où il en avait envoyé beaucoup : "Je ne suis pas enfermé avec vous. Vous êtes enfermés avec moi.". C'est exactement ce à quoi j'ai pensé à la dernière image : les bons mutants sont enfermés avec les méchants, et les méchants avec les bons, ils sont tous prisonniers de ce qu'ils croyaient être leur refuge, leur terre promise. Inferno ressemble alors à un requiem, une marche funèbre, où il n'y a même plus besoin d'humains anti-mutant, de machines tueuses. Les dirigeants mutants se sont condamnés à cohabiter et à gouverner sans avoir plus aucune confiance les uns envers les autres.

Alors, oui, au moment de clore cette critique, de refermer la porte sur l'ère Hickman chez les mutants, je suis saisi par une certaine nostalgie. Ces deux années passées, sous la conduite du scénariste, la franchise a été exceptionnelle à lire, même si tout n'a pas été bon, que toutes les séries ne se valaient pas, que la pandémie a changé les plans, etc. Et aussi parce que, jusqu'à présent, les annonces concernant Destiny of X ne m'ont pas emballé. Mais si c'était à refaire, et s'il fallait en rester là, alors pas de regret. C'est ce que j'ai lu de meilleur pour les mutants depuis longtemps, c'était chouette d'en avoir profité en direct. Merci, M. Hickman.

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