vendredi 28 janvier 2022

BLACK HAMMER : REBORN #8, de Jeff Lemire, Malachi Ward et Matthew Sheean


Ce huitième épisode de Black Hammer : Reborn est encore plus fou que ceux qui l'ont précédé. Si, si, c'est possible ! Jeff Lemire nous entraîne dans le sillage de son héros le plus bizarre, le très dérangé colonel Randall Weird, en compagnie duquel nous allons découvrir de nouveaux aspects du Para-Vers. Ce numéro est également le dernier illustré par le tandem Malachi Ward-Matthew Sheean, qui ont livré une prestation éblouissante.


A plusieurs reprises, le colonel Weird est en train de flotter en apesanteur dans une des coursives de son vaisseau explorant la Para-Zone. A chaque fois, il voit un reflet différent de lui dans un hublot puis gagne la cabine de pilotage où le robot Ralky Walky cartographie la zone. Puis il sort du vaisseau.


Une anomalie l'attire à l'extérieur et progressivement il en comprend la nature : l'Anti-Dieu, que les super-héros de Spiral City pensaient avoir tué, sommeille au coeur des dimensions parallèles et quand il se réveillera, un grand danger menace à nouveau.


Weird doit empêcher cela et traverse littéralement le miroir pour accéder à une solution. Il entre alors dans un espace blanc où se trouve une station spatiale inconnue. Il y entre et pénètre dans une grande salle où l'attend le Parlement des Weird, composé de tous ses doubles de réalités alternatives.


Pour éviter que sa réalité soit réécrite, Weird doit reprendre contact avec Lucy Weber/Black Hammer, dont il a tué la famille et qui a juré sa mort. Libérée de la cellule de prison où elle croupit, celle-ci retrouve Skulldigger avec lequel elle doit sauver le Dr. Andromeda...

Il y a quelque chose de proprement vertigineux à lire cet épisode, encore plus barré que tout ce que Jeff Lemire nous a racontés jusque-là. Black Hammer : Reborn confirme son statut de série hors normes, apogée d'une mythologie conçue par le scénariste canadien et relecture commentée des comics produits par les "Big Two" (Marvel et DC).

En vérité, en terminant cet épisode, un nom s'est imposé à moi : celui de Stanley Kubrick. Le cinéaste américain, grand formaliste, obsédé par la symétrie des choses et qui adaptait les oeuvres de romanciers pour communiquer ses motifs narratifs et esthétiques, partageait avec Lemire le goût des histoires qui vous retournent le cerveau avec une précision chirurgicale.

Contrairement à un Grant Morrison, qui est travaillé par les écrits de Alan Moore dans un mélange amour/haine, mais qui n'a qu'occasionnellement réussi à convertir cette relation en récits aussi aboutis que son illustre devancier, Lemire lui ne se cache pas de recycler ce qui l'a intellectuellement nourri mais pour produire quelque chose de plus fou et néanmoins accessible.

La grande référence de ce Black Hammer : Reborn #8 est à trouver du côté de 2001 : L'odyssée de l'espace et d'ailleurs, les magnifiques planches de Malachi Ward et Matthew Sheean s'en inspirent directement, comme quand Randall Weird parcourt les coursives de son vaisseau pour effectuer une sortie extra-véhiculaire dans la Para-Zone. Plus loin, quand le colonel azimuté accède à l'espace blanc, sorte de dimension-relais entre toutes les réalités parallèles du Para-Vers, il s'agit d'une adresse assumée à la scène du film de Kubrick quand l'astronaute David Bowman est aspiré dans un tunnel au-delà de Jupiter.

L'autre référence est Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll puisque, dans une scène iconique, Randall Weird passe littéralement à travers le miroir en "phasant" via un des hublots de son vaisseau. Ce même hublot où il a vu différents reflets de lui-même. Tel Alice, le voici qui accède donc à l'espace blanc, le nexus de tous les possibles, en l'occurrence la base en forme de station spatiale du Parlement des Weird.

Késako ? Il s'agit de l'assemblée de tous les "variants" du colonel Weird, issus de dimensions alternatives. Lemire concrétise l'idée suggérée dans le précédent numéro : le Para-Vers est l'ensemble de plusieurs Para-Zones, et il est donc logique qu'il existe plusieurs versions du colonel Weird. Randall apprend ce qu'en fait il soupçonnait : il existe plusieurs lui-même, comme il existe plusieurs Para-Zones, plusieurs Terres, et au centre de ce Para-Vers dort l'Anti-Dieu, qui, lorsqu'il se réveillera (ce n'est plus une éventualité, mais une certitude) réécrira le continuum espace-temps dans lequel se trouve Randall Weird.

Cela explique qu'une deuxième Spiral City soit apparu dans notre dimension et plane au-dessus de la première, qu'une collision mutliverselle soit sur le point de se produire. Tout n'est pas que double, mais multiple. Et, comme une boucle brillamment bouclée, c'est en retrouvant et en convaincant Lucy Weber de l'aider que Randall Weird peut espérer éviter le pire. Lucy est, rappelons-le, détenue dans une prison de Spiral City 2 où Skulldigger l'a persuadée de se laisser enfermer avec lui parce que le James Robinson/Dr. Andromeda y est captif et que ce dernier pourrait sauvait leur univers.

Jeff Lemire a mis en place un quatuor de héros improbable pour sauver le monde : le colonel Weird, qui a assassiné la famille de Lucy Weber, qui veut désormais lui faire la peau comme Skulldigger, lui-même partenaire du Dr. Andromeda. "Traduit" en comics mainstream, c'est un peu comme si nous allions assister à un event où les garants de la victoire seraient Adam Strange (mais complétement à l'Ouest), Thor, le Punisher et Starman. Vous avez dit bizarre ? 

Et pourtant, nul doute que Jeff Lemire, avec Caitlin Yarsky dès le mois prochain, va encore nous surprendre car cet homme-là va plus loin, voit plus grand, imagine plus imprévisible que tous les autres scénaristes-architectes. Black Hammer : Reborn, c'est n'importe quel comic super-héroïque que vous lisez en cent fois plus fou. Attachez vos ceintures !    

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