Interlude raconte la vie entière de Selina Kyle, depuis sa découverte, encore bébé, dans une poubelle par un clochard jusqu'à sa mort dans une ruelle, assassinée par un voleur. Entretemps, elle sera recueillie dans l'orphelinat financé par la famille Wayne, dont elle finira par fuguer, devenant voleuse à la tire, prostituée, vilaine costumée, amante et adveersaire de Batman, femme de Bruce Wayne, mère de leur fille Helena (qui deviendra justicière sous le pseudonyme de Batwoman), veuve, administratrice de l'orphelinat Wayne.
C'est récit complet qui ne nécessite pas d'avoir lu Batman/Catwoman avant. Tom King dresse un portrait exhaustif de Selina Kyle/Catwoman à travers des scènes courtes et frappantes. Le scénariste lie le destin de l'héroïne à celui de Bruce Wayne dès l'enfance puisque dans l'orphelinat où elle grandit se trouve un tableau de la famille Wayne. La fillette ambitionne d'être l'ami de Bruce sans jamais le rencontrer, recueille un chat errant, puis suite à des maltraitances (de la part d'autres orphelines et d'une des éducatrices) elle fugue. C'est alors qu'elle devient une voleuse à la tire, puis se prostitue (et continue de détrousser ses clients). Elle revêt le costume de Catwoman et s'acoquine avec le Joker. Sa route croise celle de Batman avec lequel elle entretient une relation complexe avant qu'ils ne deviennent amants puis époux et parents. La mort de Bruce les séparera mais Selina est une mère attentionnée pour leur fille, Helena, qui embrassera la carrière de justicière. L'existence de Selina trouve un terme sordide quand un voleur l'abat dans une ruelle.
King n'a jamais fait mystère de son attachement, voire de sa passion pour Catwoman, et il avait conçu tout son run sur Batman comme l'histoire du couple qu'il formait avec la féline fatale. Dans les six premiers épisodes de Batman/Catwoman que j'ai lus (avant de laisser tomber, trop déçu par le résultat et le fait que Clay Mann ait été incapable de continuer à produire la suite) tout comme dans Batman :Annual #2, King s'est consacré à détailler ce couple extraordinaire en montrant Batman fasciné par Catwoman.
Influence majeure de King, Batman : Year One de Fran Miller et David Mazzucchelli est la collection d'épisodes autour de laquelle il ne cesse de tourner quand il s'agit de définir à quand a eu lieu la première rencontre entre Batman et Catwoman. Ici, on voit, d'une certaine manière, qu'elle est bien antérieure à la rue ou au bateau (selon les origines qu'on donne au dark knight et à sa belle). Et bien qu'il ait longtemps insisté sur le fait que Batman/Catwoman s'inscrivait dans la continuité, aujourd'hui King, sans doute pour arrondir les angles avec son éditeur et faciliter les choses avec les scénaristes qui lui ont succédé sur Batman (mais aussi sur Catwoman), consent à dire que c'est une histoire possiblement dans la continuité, à la manière de The Killing Joke d'Alan Moore et Brian Bolland, longtemps considéré comme hors continuité avant d'y être intégré.
En vérité King garde le réflexe d'un auteur plus à son avantage dans les mini-séries, avec un début, un milieu et une fin - et la fin de Batman et Catwoman, il aimerait en être le seul auteur, par fierté mais aussi par amour pour ces deux personnages. Toutefois, on sait bien que cela ne fonctionne pas ainsi dans les comics mainstream, particulièrement quand cela touche à un héros aussi important stratégiquement que Batman pour DC Comics.
S'il y a des passages formidables, touchants, poignants même, drôles aussi, King lance des pistes passionnantes qui risquent fort de ne jamais être explorées (par exemple quand Helena demande à sa mère pourquoi Batman, le plus grand détective du monde, n'a jamais retrouvé les parents de son épouse et que Selina lui répond qu'elle n'a simplement jamais pensé à lui demander - pourtant, voilà une histoire qui serait intéressante à imaginer). Et puis, parfois, aussi, King ne sait pas s'arrêter, ou fait des choix déplorables, comme la mort sordide qu'il inflige à Selina, une vraie faute de goût.
Visuellement, les treize planches entièrement réalisées par John Paul Leon ne ressemblent pas du tout à celles d'un homme déjà très malade (et vraisemblablement condamné) : l'artiste y est au sommet de son art, tout entier à son art, avec ce trait épuré, sous influence Toth, avec un sens de la composition et du clair-obscur fabuleux. On trouve dans les bonus de l'épisode ses crayonnés (pour ces planches et pour une couverture alternative non retenue, mais magnifique) et franchement, c'est bouleversant. Il en avait encore sous le pied. Il avait encore tant à donner. Mais la mort se fiche du talent, du génie, elle est injuste et cruelle.
Bernard Chang et Shawn Crystal étaient les deux meilleurs amis de Leon dans le métier et se sont chargés d'encrer ses crayonnés pour les pages 14 à 20. Chang opte pour un encrage très fidèle, soucieux d'imiter au mieux le style de Leon, et le résultat est parfait, très soigné, impeccable. Crystal prend un peu plus de liberté, héritant aussi de breakdowns moins précis qu'il lui a fallu compléter. Mais l'ensemble est d'une remarquable tenue. Evidemment, on peut aussi penser qu'en publiant uniquement les breakdowns et en sortant le numéro inachevé, ça aurait été mieux, plus intègre. Mais c'est un choix éditorial et personnel aussi car Chang et Crystal n'ont évidemment pas été payés pour leur travail, ils ont voulu terminer le travail de leur ami, pensant honnêtement lui rendre hommage, offrir aux lecteurs un produit fini. Pour ma part, comme je l'ai écrit plus haut, critiquer ce choix me paraît dérisoire.
Enfin, Tom King a demandé à son ami Mitch Gerads, qui admirait Leon, de réaliser les 17 pages restantes. Pour la peine, Gerads s'est astreint à un dessin à l'ancienne alors qu'il utilise normalement la tablette graphique, et un encrage traditionnel. On sent qu'il s'est investi et si parfois il y a quelques maladresses (des visages pas très réussis notamment ou des attitudes un peu alambiquées), la majorité de ses planches sont formidables, dans l'esprit, grâce aussi aux couleurs de Dave Stewart qui a unifié cet ensemble hétéroclite.
Pin-up de Tula Lotay
DC a fait le choses bien puisque, après Interlude, Michael Davis, éditeur du label Milestone et co-créateur de la série et du personnage Static sur lequel JP Leon a débuté sa carrière, a rédigé un texte absolument poignant, célébrant à la fois le génie du dessin qu'il était mais aussi l'individu incroyablement humble, généreux et sensible. Plus loin, Kurt Busiek, scénariste de Batman : Creature of the Night qu'a dessiné Leon, écrit aussi un éloge posthume superbe, mettant en avant le courage mais aussi la clairvoyance de son collaborateur. Connaître et travailler avec lui a considérablement marqué tous ceux qui l'ont côtoyé.
Une galerie de pin-ups permet d'apprécier ce que plusieurs dessinateurs ont retenu de Leon : Lee Bermejo, Denys Cowan, Becky Cloonan (ci-dessous), Klaus Janson, Rick Leonardi, Chris Batista, Dani, Ibrahim Moustafa, Clay Mann (ci-dessus), Vanesa del Rey, Dave Johnson, Joelle Jones, Shawn Martinbrough, Khary Randolph, Tula Lotay, Walter Simonson et Jon Bogdanove. Seul le dessin de Dave Gibbons fait tâche (un portrait de... Rorschach exprimant son respect pour le refus des compromissions de Leon ?!).
Enfin, deux récits illustrés par JP Leon complètent le programme : le premier est issu de l'anthologie Batman Black & White, sur un scénario de Walt Simonson, sidérant de beauté ; et le second, plus récent, sur un texte de Ram V, mettant en scène The Question, magistral.
Pin-up de Dani
Ce tribute to John Paul Leon est un indispensable pour tous ses admirateurs. Mais si vous méconnaissiez cet immense artiste, achetez-le aussi : après l'avoir lu, vous ne pourrez qu'avoir envie de lire plus de comics dessinés par JP Leon. Et c'est ainsi qu'il demeurera vivant. Eternel.
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