vendredi 10 septembre 2021

THE NICE HOUSE ON THE LAKE #4, de James Tynion IV et Alvaro Martinez


Avec ce quatrième épisode (ou Book), The Nice House on the Lake atteint son premier tiers. Dans deux mois, la série marquera une pause de cinq mois, le temps pour ses auteurs, James Tynion IV et Alvaro Martinez de conclure aussi soigneusement le second acte de leur histoire que ce premier. En attendant, ce nouveau chapitre est encore une fois exceptionnel, par la qualité de son écriture et ses fantastiques dessins.


David Daye est comédien. Abordé par Walter dans un bar alors qu'il se lamentait sur l'échec d'une liaison amoureuse, il est devenu un gars nonchalant et blagueur qui tente, malgré le drame que vit la bande, de détendre l'atmosphère. Cela fait bientôt un mois qu'ils cohabitent tous dans la maison.


Comme David l'avait prédit, Walter, quoique toujours invisible, ne les laisse pas mourir de faim. Mieux : chacun peut déposer une liste de courses et au matin, ils la trouvent réalisée sur le perron de la maison. David procéde ensuite à la distribution des commandes passées par les résidents.
 

Il remarque ainsi que Molly Reynolds, la comptable, ne va pas bien, supportant de plus en plus mal cette réclusion forcée. Elle tente de se procurer de quoi en finir mais ne reçoit jamais ce qu'elle attend. David ruse alors en passant une commande pour elle : un rasoir.


Mais avant de laisser se suicider, il lui confie un secret... Naya Radia a préparé un gueuleton pour la bande. David et Molly rejoignent les autres. David se tranche la gorge avec le rasoir...

Vous n'êtes pas prêts ! Croyez-moi, vous n'êtes pas prêts pour ce qui est à la fois un cliffhanger et un twist narratif à la fin de cet épisode. Un nouveau retournement de situation qui va rendre encore plus cauchemardesque ce récit, qui l'était déjà avant. Mais justement, s'il nous surprend tellement, c'est qu'il a été habilement préparé.

James Tynion IV est vraiment un auteur étonnant : je n'ai jamais caché qu'il m'a longtemps déçu, laissé sur ma faim. Assistant, voire ghostwriter de Scott Snyder, il semblait n'avoir retenu que les défauts, les tics agaçants de son mentor : commencer fort, s'enliser, mal finir. Mais ça, comme qui dirait, c'était avant...

Avant Batman : Joker War, avant 2021, où, pour moi, il s'est non seulement révélé comme un scénariste passionnant, puissant, mais surtout capable de s'affranchir de son modèle, jusqu'à prendre son indépendance (en annonçant quitter DC). Comme si, soudain, il lâchait les chevaux et donnait tout, sans retenue. D'un côté, l'entertainment ébouriffant avec Batman. De l'autre, le récit d'auteur horrifique avec The Nice House on the Lake.

The Nice House... joue une toute autre partition que celle de Batman, déjà car il ne s'agit pas d'une histoire de super-héros. Tynion évolue dans un registre qu'il affectionne, l'épouvante, comme dans son creator-owned à succès, Something is killing the children. Mais encore différemment de ce dernier titre. Là, il se concentre sur des personnages ordinaires dans une situation extraordinaire, ce qui fait qu'on n'a pas/plus cette distance, on peut s'identifier à eux, on est captivé par leurs relations, par la dynamique d'un groupe, et la machination dont ils deviennent les pantins.

La première réussite de The Nice House... tient sans doute à la permanence de la sidération. Le postulat est tellement ahurissant, énorme, qu'on reste pantois même après quatre mois de lecture. Ensuite, il y a la construction du récit : James Tynion IV décline les épisodes à travers un personnage différent à chaque fois, et à chaque fois il parvient à nous étonner, à nous passionner. Ce mois-ci était peut-être le plus risqué puisqu'on suit un des invités de Walter qui était a priori le moins intéressant, le comédien David Daye, un peu l'idiot de la bande, le glandeur, le cancre, celui qui prenait tout ça le plus à la légère.

Mais il faut se méfier de l'eau qui dort. D'abord parce que, d'entrée de jeu, on est informé que l'histoire a commencé depuis presque un mois. Vivre dans une superbe maison peut donner l'impression que le temps s'y déroule de manière plus confortable. En vérité, on sait que, lorsqu'on est les derniers survivants de l'humanité, cette perception du temps est altérée profondément : on compte les jours depuis la catastrophe en pensant déjà à quand on pourra quitter la belle maison pour être à nouveau libre, même dans un monde détruit, sans plus personne à part les autres occupants de la demeure.

On a vu précédemment que Sarah Radnitz et Norah Jacobs ont déniché une planque pleine d'armes et d'explosifs derrière la bibliothèque, que Rick MacEwan et Naya Radia conspiraient pour prendre en douceur la tête du groupe (mais Naya ignore que Rick agit suivant les instructions de Walter), puis que Sam Nguyen a exploré les environs de la maison pour découvrir d'autres étranges statues et un bâtiment mystérieux (dans lequel Walter retient Reg). En procédant à la livraison de vivres et accessoires commandés par ses co-locataires, David découvre ces secrets accidentellement.

Car, c'est le premier rebondissement de l'épisode, comme David l'avait prédit, Walter ne laisse pas ses invités dépérir dans la maison. Mieux même : chacun peut commander ce dont il a envie (nourriture, équipements, vêtements, accessoires...) et, pendant leur sommeil, tout est livré sur le pas de porte (pourvu néanmoins que quelqu'un y reste, quitte à s'y endormir). Et David distribue les colis. Ce faisant, il passe dans les chambres de tous ses amis et aperçoit parfois ce qu'il ne savait pas - le cahier de notes de Sam, une conversation entre Norah et Sarah, des chuchotements entre Rick et Naya. Ou la dépression grandissante de Molly Reynolds.

Celle-ci passe ses journées au lit, et n'en sort que pour traîner en pyjama. Elle attend désespérement une commande qui n'arrive jamais, mais que finit par découvrir David : Molly veut en finir, se suicider, elle demande à avoir des comprimés, une arme, un rasoir... Mais Walter les lui refuse. Alors David ruse pour soulager son amie. Mais en ayant deviné quelque chose... A laquelle vous n'êtes pas prêts. Car Walter a vraiment, littéralement, décidé de ne pas laisser mourir ses invités, au sens le plus strict du terme. La révélation finale est bouleversante et très cruelle, complètement inhumaine même. Non, vous n'êtes pas prêts pour ce twist.

Alvaro Martinez s'est, je l'ai déjà écrit, complètement réinventé pour cette série. Plus d'encreur, un trait plus charbonneux, un réalisme expressionniste, des détails confondants, un découpage d'orfèvre : lire The Nice House..., c'est se plonger dans des planches tellement fabuleuses qu'on reste souvent bouche bée, qu'on est obligé de s'arrêter pour en apprécier la richesse, la densité. On cherche à en décrypter tous les élements, car le dessinateur espagnol a glissé une tonne de références et s'amuse sur Twiter à tester les fans pour savoir ceux qu'on a repérés (il y a vraiment de quoi rendre fou le plus attentif des lecteurs !).

Rien que la première page de l'épisode (voir ci-dessus), une splash dans la chambre-capharnaüm de David, donne un aperçu de la somme d'efforts déployés par Martinez pour ne serait-ce que montrer tout ce que le personnage a commandé d'incongru à Walter pour tromper son ennui et éprouver les largesses de son hôte. Pourtant, ce trop-plein ne masque pas l'incrédulité de David quand, un matin, alors qu'il ramasse les colis, il voit Walter devant la maison, toujours silencieux, la gueule encore fracassée, et lui disant, finalement, très naturellement, qu'il aurait quand même pu leur communiquer les règles de son jeu.

Dans ces petits instants, Martinez déploie un talent peut-être encore plus impressionnant que lorsqu'il illustre des pages à l'abondance roborative : l'expression qu'il réussit à donner au visage de David, c'est celle que nous aurions tout devant sa vision - la surprise, la consternation, le dépit, la résignation. Tout cela en un éclair.

Une autre fois, c'est quand il met en images le dialogue entre David et Molly à laquelle il donne l'étui avec le rasoir. Les larmes de désespoir absolu et de soulagement sur le visage de la jeune femme contraste avec la gravité inattendu sur celui de son ami, sur le point de lui révéler ce qu'il vient de comprendre à force d'observations.

Une dernière fois, c'est lorsque Molly et David rejoignent leurs amis à la table où ils dînent copieusement. David tient dans une main le rasoir et s'est entaillé un avant-bras sur lequel coule du sang. En un claquement de doigts, le plaisir de la table a cédé la place à l'effroi, la stupéfaction. Et ce qui suit est encore plus insensé. Vous dire de quoi il retourne me brûle les doigts mais je fais l'effort de ne pas vous spoiler car vraiment... Vraiment, c'est très fort.

Le mois prochain, je serai obligé, sans doute, d'être plus clair. Même si, comme moi, vous suivez The Nice House on the Lake mensuellement, ce serait criminel de vous spoiler avant que vous ayez lu cet épisode. Je serai même tenté de vous conseiller d'attendre d'avoir entre les mains le recueil en vo ou en vf de la série pour apprécier pleinement l'expérience, même si du coup vous serez moins nombreux à lire mes prochaines critiques sur cette histoire. Croyez-moi, ça a en vaut la peine.  

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