vendredi 20 mars 2020

SUPERMAN #21, de Brian Michael Bendis et Ivan Reis

En ces temps difficiles, la lecture est un moyen de s'évader lorsqu'on est contraint au confinement. Aussi restez chez vous et lisez : les auteurs nous offrent un moyen de supporter la distanciation sociale. Bon courage à tous et prenez soin de vous.


Depuis le début de l'arc Truth, Superman est devenue une curieuse série hybride, comme coupée en deux, avec d'un côté le quota spectaculaire assuré par le héros, et de l'autre les répercussions plus terre-à-terre de ses actions vécues par Lois Lane. Ce vingt et unième épisode ne déroge pas à la règle et si le résultat demeure efficace, la forme du récit de Brian Michael Bendis et Ivan Reis n'évite pas un certain ennui.


Mongul a réussi à briser la fragile concorde entre les Planètes Unies. Superman a beau avoir vaincu son adversaire en combat singulier, il sait aussi que le mal est fait et s'interroge sur la possibilité de réunir les parties en présence.


Sur Terre, à Chicago, Lois Lane est assaillie par Bethany Snow, du "Daily Star", qui lui montre la vidéo de Superman se proclamant représentant de la Terre lors de la fondation des Planètes Unies. Lois souhaite savoir qui a mis cet enregistrement en ligne, mais nul ne le sait.


Dans l'espace, Mongul s'éclipse et laisse Superman désemparé. Dans l'urgence, il lui faut d'abord éviter une nouvelle guerre sur le point d'éclater entre les membres des Planètes Unies, en désaccord sur la riposte contre Mongul.


La Justice League arrive en renfort et la situation se calme. Ses amis font comprendre à Superman qu'il ne peut pas tout régler seul, d'autant qu'en son absence sa femme et ses proches doivent affronter la tempête médiatique provoquée par la révélation de sa double identité.


Superman rentre sur Terre lorsqu'il est doublé par un énorme vaisseau sphérique. Il le reconnaît comme étant le véhicule de Mongul, sur le point d'attaquer notre planète. Cependant, revenue à Metropolis pour consulter un avocat, Lois est abordée par l'agent du FBI Cameron Chase.

En vérité, on assiste dans les épisodes actuels de Superman au même phénomène que celui présent dans le (très - trop) long premier arc de la série écrite par Brian Michael Bendis (Unity Saga) : si le propos est accrocheur, le rythme est très aléatoire et le lecteur suit l'action en mode automatique.

Il s'agit à mon avis d'un problème de construction, de disposition des éléments dramatiques. Bendis ne manque pas d'idées pour animer les aventures du kryptonien, il a des choses à dire avec le personnage, qui à l'évidence l'inspire et lui permet de communiquer sur des thèmes qui lui sont chers.

Ironiquement, il en a peut-être trop - d'idées, de thèmes, de choses à dire. Et cela se répercute sur sa manière de raconter. Bendis ne fait pas le choix de suspendre une ligne narrative au profit d'une autre, il va plutôt de l'une à l'autre dans un même épisode, ce qui produit des passages à la fois denses et déséquilibrés.

Dans le numéro de ce mois-ci, on en a l'illustration parfaite. L'histoire navigue entre l'espace où Superman doit composer avec la zizanie créée par Mongul, et la Terre où Lois Lane doit affronter une consoeur en possession d'un document compromettant pour Superman. Les deux parties sont également intéressantes, présentant des aspects originaux et plutôt bien menés. Mais quand on finit la lecture de l'épisode, on n'est pourtant pas convaincu par cette gestion des événements.

L'affaire qui occupe Superman dans l'espace est peut-être la plus faible sur un plan dramatique. Bendis pourtant positionne le héros comme une sorte de champion galactique - une place dévolue plutôt à Green Lantern (Hal Jordan) depuis des années (depuis le run de Geoff Johns). Mais pourtant ça ne fonctionne pas. A qui la faute ? Il y a le choix de Mongul d'abord : physiquement, il s'agit d'un nouvel adversaire semblable à Rogol Zaar, un colosse - plus malicieux cependant, car avec des motivations plus politiques. J'aurai préféré que l'ennemi de Superman diffère du premier qui l'a occupé pendant plus d'un an et demi. Ensuite, l'idée des Planètes Unies, inspirée de l'ONU, manque de consistance : Bendis n'a guère le temps de détailler les différents membres qui la composent et du coup, on assiste à la bataille de plusieurs aliens sans bien les identifier (le même souci, en plus imposant, à plombé sa Legion of Super Heroes, où rien n'était fait pour qu'on distingue qui était qui). Lorsque la Justice League explique à Superman qu'il court après trop de lièvres à la fois, c'est une lapalissade qui ressemble à un aveu de Bendis, lui aussi incapable de tout gérer.

En revanche, parce plus que en rapport avec le thème de l'arc (et son titre), les scènes avec Lois Lane sont plus convaincantes. On a là la démonstration plus évidente, plus concrète de ce que Superman a déclenché en avouant qu'il était Clark Kent. Lois doit affronter une consoeur, découvrir d'où vient la vidéo compromettante pour Superman, consulter un avocat, et faire face aux autorités. Lois est elle aussi débordée, mais on s'identifie plus facilement, et surtout les ennuis sont mieux définis que les belligérants des Planètes Unies. Par ricochet, on se rend compte justement que Superman devrait avoir choisi des délégués pour assurer ses devoirs soit de représentant auprès de l'organisation galactique (il ne manque pas d'amis pour cela), soit auprès de ses proches sur Terre (dans cette configuration, Supergirl aurait pu être utilisée, ou Jon Kent, si la première n'avait pas été corrompue par le Batman-qui-rit - dans la série Batman/Superman - ou le second expédié dans le futur - dans Legion of Super Heroes). Là, on a plus l'impression qu'il laisse Lois se dépêtrer comme elle peut pendant qu'il va sauver l'univers.

Ivan Reis continue à impressionner par la régularité avec laquelle il produit ses planches, toutes extraordinaires par la richesse de leurs détails, leur puissance visuelle, leur variété dans la mise en scène (on comprend qu'il lui faille deux encreurs, mais le trio Reis-Joe Prado-Oclair Albert abat vraiment un boulot phénoménal).

Reis livre le meilleur travail de sa carrière. Il est bien sûr chez lui dans les scènes de bataille cataclysmiques, et son Mongul déborde de force tout comme Superman sous son crayon a une sorte de rage inédite (qui accompagne à merveille la voix off au début de l'épisode, où le héros révèle ce qui l'embarrasse le plus vis-à-vis de l'image qu'ont les autres de lui - cette impression d'invulnérabilité). Mais quand il atterrit sur Terre, en compagnie de Lois, Reis est peut-être encore meilleur parce qu'il doit alors représenter avec une intensité semblable des tensions différentes. On apprécie alors particulièrement l'expressivité de ses personnages et, à l'occasion, l'humour qu'il peut glisser dans certaines mimiques (comme lorsque Lois s'interroge sur le titre de "reine de la Terre" qu'elle possède peut-être si Superman est le "roi").

Bref, tout cela se lit sans déplaisir, mais sans emballement excessif non plus. On s'ennuie un peu. La réunion des deux intrigues que montrent les dernières pages va-t-elle injecter de l'adrénaline à la série ? On l'espère. Mieux : on le souhaite.


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