Sorti la semaine du 26 Février, ce one-shot est une curiosité mais il fait étrangement écho au lancement de la mini Spider-Man Noir. Gerry Duggan n'est jamais meilleur que lorsqu'il abandonne les blagues pour privilégier l'exercice de style comme ce Fantastic Four : Grimm Noir, mix étonnant de polar et de fantastique. Le niveau monte encore d'un cran grâce à la prestation superbe de Ron Garney.
Ben Grimm fait depuis plusieurs nuits le même cauchemar. Il a beau rassurer sa femme, Alicia, elle sent bien que cela le ronge. Et la disparition inexpliquée d'une voisine chanteuse ne va pas arranger les choses, même si la Chose offre son aide à la police.
Une autre nuit agitée, Ben accepte de décrire le personnage qui hante ses cauchemars et elle en tire une sculpture très ressemblante. Il la montre à Reed Richards qui ne l'identifie pas. Ben Grimm s'en remet alors au Dr. Strange. Mais il est absent et c'est son ex-valet, Wong, qui reçoit la Chose.
Malheureusement, le sanctuaire du sorcier suprême est investi par D'spayre, le démon qui poursuit Ben dans son sommeil et qui a enlevé sa voisine. Il se nourrit des peurs et des regrets de ses proies, sa puissance est si grande qu'il n'a aucun mal à réduire le Chose en un tas de cailloux.
Ben chute dans les ténèbres et durant cette plongée au coeur de ses tourments, il revit ses pires souvenirs, depuis les coups que lui assénait son père à la mort de son frère en passant, bien sûr, par sa transformation après le voyage dans l'espace des Quatre Fantastiques.
Mais cette traversée au coeur du désespoir a un effet inattendu sur Ben Grimm qui y survit, plus résolu que jamais à régler son compte à D'spayre. Il libère sa voisine au terme d'une bagarre épique. Puis il l'invite à un barbecue, convaincu qu'une page s'est tournée.
Marvel serait-il d'humeur noire ? En tout cas, à une semaine d'intervalle, les sorties de Spider-Man Noir #1 et de ce Fantastic Four : Grimm Noir ne manque pas de troubler. Certes, les deux projets ont une identité distincte, mais la référence aux films noirs leur confère aussi un air de famille.
Pour l'instant, cet effort produit par Gerry Duggan est un one-shot, et rien n'indique une suite ou de prochaines variations avec les autres Fantastiques (Reed et Sue Richards, Johnny Storm). Le choix même d'embarquer Ben Grimm dans une aventure aussi connotée surprend mais s'avère très efficace.
Ceux qui suivent mes critiques savent que j'ai une "relation" compliquée avec Duggan - récemment, ses Marauders m'ont fortement déplu et déçu. Il y a chez ce scénariste, qui a longtemps écrit les aventures de Deadpool, une volonté de déconner qui, à mon avis, le dessert. Il veut tellement mêler la blague à l'aventure, l'humour à l'action que ses histoires souffrent d'un déséquilibre fâcheux, souvent le cul entre deux chaises, d'abord plaisantes elles finissent par lasser et donner une impression de vacuité dommageable.
En revanche, quand il abandonne la gaudriole, Duggan donne souvent le meilleur de lui-même et on ne peut que déplorer qu'il ne privilégie pas la gravité, non pas parce que cela serait plus noble mais tout simplement parce qu'il s'y montre bien plus inspiré. Souvenez-vous de son The Best Defense : Doctor Strange ou de son épisode des Guardians of the Galaxy consacré à Drax et sa décision de devenir pacifiste : voilà les meilleurs scripts de Duggan, des nouvelles intenses, malines.
C'est ce Duggan-là qu'on retrouve ici. L'épisode est long comme un Annual et se suffit à lui-même. Il implique Ben Grimm en proie à des cauchemars récurrents mais qu'il n'arrive pas à analyser. Puis une de ses voisines disparaît mystérieusement et il se lance à sa recherche. Ainsi se trouve-t-il plongé dans un autre cauchemar à cause d'un adversaire inattendu qui se nourrit justement du désespoir de ses proies.
Comme la Chose, on est plongé dans une histoire nocturne et hantée, à l'ambiance très intense. Duggan nous prend à la gorge et ne nous lâche plus jusqu'à la fin. Les situations s'enchaînent sur un rythme soutenu avec des pics de tension très efficaces. Le choix de Ben Grimm comme héros devient alors plus évident car, lors d'une scène rétrospective de sa vie, on mesure les traumatismes qui l'ont frappé et construit en même temps. Ce qui pourrait le perdre lui permet en fait de rebondir. Le plus fort, c'est que, finalement, la baston finale entre la Chose et D'spayre devient presque accessoire, ce qui compte ici, c'est le sursaut du héros - ensuite le lecteur comme Ben Grimm savent que le compte est bon.
Pour ne rien gâcher évidemment, il fallait confier cette histoire à un dessinateur en mesure de lui ajouter une plus-valu esthétique. Avant de s'engager dans une nouvelle mini-série (dédiée au Fléau), Ron Garney a donc accepté cette mission. On sent immédiatement que l'aspect de la Chose a ét"é décisif dans son choix d'adapter graphiquement ce récit car il donne, comme peu d'artistes en sont capables, une densité au personnage incomparable. Cette histoire de peur a pour vedette un monstre, ou plus exactement un homme qui a l'apparence d'un monstre et qui se vit comme tel. Dès lors, quel être peut l'inquiéter au point de lui voler ses nuits ?
Les planches de Garney sont fabuleuses : il les noie dans le noir le plus profond et joue sur des contrastes violents, dont l'inspiration évidente est le Frank Miller de Sin City. Les couleurs de Matt Milla sont remarquablement sobres, au point qu'on a souvent l'impression d'avoir lu des pages en noir et blanc. Les deux hommes se connaissent bien pour avoir collaboré sur le Daredevil écrit par Charles Soule et leur complicité est un régal.
Mais Garney, depuis qu'il se passe d'encreur (en s'étant converti au dessin digital), est vraiment taillé pour ce genre de nouvelles où son style, brut, fait merveille. Il peut expérimenter, produire des images flirtant avec l'abstrait, pousser les curseurs à fond, tenter des découpages. Il s'en donne à coeur joie et le plaisir qu'il a pris est manifeste. Pour autant ce n'est pas un plaisir égoïste : tout est au service du propos et il transcende vraiment le script à sa disposition, au point qu'il en est le narrateur à égalité avec Duggan. On ne peut dissocier les efforts de l'un de ceux de l'autre.
Je sais que certains fans apprécient moins Garney désormais parce qu'ils considèrent son dessin moins précis, moins fin. Mais il a gagné en spontanéité et cela se traduit parfaitement dans ce genre d'exercice où cela n'ajouterait rien d'avoir des finitions plus jolies, un trait plus subtil. Il y a une dimension "Kirby-esque" là-dedans, quelque chose qui ne relève plus du beau pour atteindre le brut, le primitif même. Personnellement, cela me plaît davantage chez Garney, même si cela veut aussi dire qu'il n'est plus en mesure d'enchaîner les épisodes.
En tout cas, si vous aimez les sensations fortes, les expériences graphiques, et lire Duggan en compressé, tentez ce Grimm Noir : il a du caractère et du chien.
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