Giant-Size X-Men : Jean Grey & Emma Frost est le premier de cinq épisodes spéciaux qui vont tous paraître en 2020, centrés chacun sur un (ou deux comme ici) personnages emblématiques des X-Men. C'est bien entendu une référence à Giant-Size X-Men de 1975, par Len Wein et Dave Cockrum, qui introduisit la deuxième génération de mutants. Mais Jonathan Hickman en fait aussi un hommage à un célèbre épisode écrit par Grant Morrison et dessiné par Frank Quitely. Pour cela il peut compter sur un artiste exceptionnel avec Russell Dauterman. Le résultat est simplement extraordinaire.
Deux jeunes mutants découvrent le corps inanimé de Tornade. Cyclope et Wolverine appellent Emma Frost et Jean Grey à l'aide. Elles s'isolent dans une pièce où leur amie a été transportée, toujours sans connaissance.
Elle sondent l'esprit d'Ororo Munroe et les voilà dans un champ. A l'horizon un arbre géant au-dessus duquel flotte le diadème de Tornade. L'arbre est gardé par un lion et une lionne qui reconnaissent Jean comme une amie mais pas Emma.
La lionne se transforme en serpent et tente de tuer Emma mais Jean se porte à son secours. Le serpent devient un éléphant ailé qui transporte les deux femmes au pied de l'arbre. Elles y pénètrent et commencent à gravir un escalier en colimaçon qui s'émiettent sous leurs pas.
Jean et Emma tombent dans le vide et les ténèbres mais, en unissant leurs forces psychiques, elles en viennent à bout. Elles arrivent au sommet de l'arbre où elles découvrent un cocon qui suinte et se craquelle. Tornade s'en extrait, très faible.
Jean l'étreint et caresse son visage mais sa peau reste collée à ses doigts, révélant un squelette robotique et un compte à rebours. Emma et Jean retrouvent Cyclope et Wolverine et livrent leur diagnostic : les Enfants de la Voûte ont inoculé un techno-virus à Tornade, dans trente jours elle sera morte.
On sort de ces trente-six pages totalement époustouflé par le spectacle mais aussi le propos. C'est une véritable expérience narrative et graphique à laquelle nous convient Jonathan Hickman et Russell Dauterman. A ce titre, Giant-Size X-Men : Jean Grey & Emma Frost est le comic-book de la semaine, le plus beau que vous lirez, le plus intriguant aussi.
Mais c'est d'abord un double tribute : d'abord donc au premier Giant-Size X-Men produit en 1975 par Len Wein et Dave Cockrum, qui introduisit la deuxième génération de X-Men, cette équipe formée par Charles Xavier pour sauver Jean Grey, Angel, le Fauve, Iceberg, Polaris et Havok, sous la direction de Cyclope. On faisait alors connaissance avec des personnages devenus depuis les véritables emblèmes de la "mutanité" : Wolverine,, Tornade, Diablo, le Hurleur, Colossus, l'Epervier. Grâce à Chris Claremont, ces héros allaient non seulement devenir des vedettes, encore plus fameuses que la première génération de mutants, mais surtout des phénomènes culturels. Encore aujourd'hui, c'est à ces X-Men là que Hickman se réfère pour "Dawn of X".
Ensuite, par sa nature même, cet épisode salue New X-Men (vol. 1) #121, Silence : Psychic rescue in progress, paru en Février 2002, écrit par Grant Morrison et dessiné par Frank Quitely. Pendant ce mois-là, Marvel eut l'idée, géniale, d'imposer à ses auteurs de produire un épisode muet, un défi narratif et visuel, mais s'inscrivant dans la continuité des séries. Celui de Morrison et Quitely impressionna durablement tous ceux qui l'ont lu par sa virtuosité et sa lisibilité, son ambiance fascinante, son histoire vertigineuse (où on découvrait que Charles Xavier avait tué in utero sa jumelle, Cassandra Nova).
Cette fois, c'est l'esprit de Tornade qui est visité par Jean Grey et Emma Frost : Ororo Munroe est trouvée sans connaissance sur Krakoa par deux jeunes mutants. Nul ne sait ce qui lui est arrivé et ne parvient à la réveiller. C'est littéralement Into the Storm (le titre de l'épisode) que se trouve la réponse.
Mais Jonathan Hickman n'est pas du genre à nous livrer les réponses facilement. C'est un voyage qu'il faut entreprendre, à la suite de Jean Grey et Emma Frost, pour accéder à la solution de cette énigme. Pourtant, si tout est cryptique, riche en symboles, rien n'est nébuleux. Il suffit de se laisser porter et alors... Dépaysement garanti.
Juste avant cette introspection, on a droit à un moment facétieux, qui conforte la théorie polyamoureuse concernant Cyclope, Wolverine, Jean Grey et, peut-être, Emma Frost. En effet, quand elle arrive pour sonder l'esprit de Tornade, Jean embrasse tendrement, sans équivoque possible, Wolverine, entérinant le fait qu'il y a bel et bien un ménage à trois avec Cyclope, lequel s'autorise certainement une relation avec Emma (comme il l'a implicitement avoué à Diablo dans X-Men #7). Bien entendu, il n'est pas question de représenter directement un triangle amoureux, voire un quatuor, dans leur intimité sexuelle (on peut même facilement imaginer que Cyclope et Wolverine sont également amants), mais Hickman ne fait clairement pas mystère du fait que tout ce beau monde couche ensemble et ne sont donc pas que des co-équipiers au sein des X-Men.
Le fait, alors, de pénétrer dans l'esprit de Tornade prend une dimension plus trouble. Il ne s'agit pas seulement de sonder les pensées d'une amie pour découvrir quel mal l'a touché, mais bien d'explorer son intimité, et cela suggère quelque chose d'encore plus osé (tous les mutants sont susceptibles de coucher ensemble).
Hickman sème les symboles sur l'esprit de Tornade : les gardiens de l'arbre (qui est en quelque sorte le récipient de son secret) sont un lion et une lionne, fauves emblématiques de l'Afrique sauvage dont est originaire Ororo Munroe. Le serpent qui attaque Emma figure le reptile du jardin d'Eden en même temps qu'un animal aussi sinueux que la mutante à la peau de diamant. L'escalier en colimaçon par sa forme en spirale forme un chemin tortueux et possiblement sans fin, mais au lieu d'être représenté en train de s'enfoncer il est montré comme une voie ascendante et périlleuse. Le cocon renvoie lui à celui duquel sortent les mutants ressuscités lors du protocole des Cinq, mais aussi à l'oeuf dont s'extrait un être vivant. A moins que cet être ne soit plus qu'un avatar, un ersatz, dont l'aspect trompeur cache le mal qui le ronge ( hypothèse confirmée par le fait que les Enfants de la Voûte, traqués dans X-Men #5, sont la source de l'état de Tornade).
Cet épisode renvoie donc bien à ce qui se passe dans la série X-Men de Hickman, et d'ailleurs le dernier des Giant-Size conclura cette intrigue en étant dédié à Tornade. Tout est lié et rappelle qu'avec Hickman (comme ce fut le cas avec ses Fantastic Four et ses Avengers) tout compose une fresque d'envergure (on a d'ailleurs appris qu'à partir de Juillet prochain le premier crossover de l'ère "Dawn of X" débuterait, sous le titre X of Swords).
En se privant presque entièrement de dialogues (quelques répliques au tout début et une dernière bulle à l'ultime page), Hickman devait pouvoir s'appuyer sur un artiste capable de soutenir un épisode par la seule force de ses dessins. Avoir convaincu Russell Dauterman, fan des X-Men depuis toujours, s'avère un coup gagnant.
Dauterman a fait son chemin sans bruit au sein de Marvel, d'abord avec la mini-série Cyclops (en parallèle de All-New X-Men) puis en étant associé à Jason Aaron sur Thor/Mighty Thor (lorsque Jane Foster hérita du rôle - la meilleure partie du long run d'Aaron). Puis il a enchaîné avec l'event War of the Realms, sorte de conclusion au run d'Aaron sur le dieu du tonnerre.
Depuis quelques mois, il s'est fait discret, récupérant certainement des efforts déployés tout en attendant une proposition stimulante. Dauterman a clairement changé de statut, devenant une sorte de dessinateur qu'on emploie pour les grandes occasions, pour le préserver et aussi donner à ses prestations un aspect événementiel. Le succès de la relance des X-Men était l'opportunité idéale pour qu'il ressorte du bois.
Et il ne déçoit pas. Chacune de ses planches est époustouflante. Dauterman, c'est un peu l'élégance de Paul Smith avec l'exubérance d'un J.H. Williams III. Ses cadres explosent et les pleines pages ici abondent, spectaculaires, magnifiquement mises en couleurs par le formidable Matt Wilson. Le découpage figure idéalement les capacités télépathiques de Jean Grey et Emma Frost en leur donnant une dimension poétique. On en prend plein les yeux.
Mais ce goût assumé de la belle image, de l'image forte, ne se fait jamais au détriment de la narration. Car Dauterman est un dessinateur intelligent qui sait dose ses effets et servir le récit. Il se fait plaisir, il fait plaisir au lecteur, mais a une histoire à raconter et il la raconte avec une inventivité bluffante.
Ses héroïnes sont d'une beauté incomparable (la référence à Smith s'accomplit ici), mais aussi très expressives. Emma Frost a ce côté insolent, désinvolte, supérieur, irrésistible. Jean Grey est plus sage, plus mesurée, plus disciplinée - Dauterman l'affuble d'un costume redesigné de manière raffinée (sans qu'on sache encore s'il s'agit d'un nouveau look durable ou d'une tenue de circonstance). Les décors sont d'une minutie superbe, avec une variété d'angles de vue proprement exceptionnelle.
La chute de l'épisode est glaçante à souhait et nous ramène sur terre avec dureté. A l'image de tout l'épisode, c'est une sensation forte de plus. Attachez vos ceintures. D'autant que les prochains Giant-Size devraient continuer de tutoyer les cimes (Nightcrawler dessiné par Alan Davis, Magneto par Ramon K. Pérez, Fantomex par Rod Reis et donc Storm à nouveau par Dauterman). Quand je vous dis que c'est une belle époque pour renouer avec les mutants...
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