Aujourd'hui, la température monte puisque je vous propose une critique de Love, un film écrit et réalisé par Gaspar Noé en 2015, que j'ai regardé sur Netflix. Pourquoi cette annonce ? Parce qu'il s'agit d'un long métrage avec des scènes de sexe non simulées. Mais ce n'est pas un film pornographique. C'est même le contraire puisqu'il s'agit d'une histoire d'amour, une passion folle et destructrice, réservée bien entendu à un public averti.
Murphy et Electra (Karl Glusman et Aomi Puyok)
Murphy est un jeune homme américain en résidence à Paris. Il étudie le cinéma et veut devenir réalisateur, avec l'ambition de produire un film s'amour qui n'occulte pas l'aspect sexuel d'une romance. Il rencontre la belle Electra, étudiante aux Beaux-Arts et collaboratrice d'un galériste, dans un jardin public. C'est le coup de foudre.
Murphy et Electra (Karl Glusman et Aomi Puyok)
Murphy et Electra sont pourtant bien différents. Lui est un amoureux possessif. Elle est un esprit libre qui veut expérimenter toute forme d'amour. Elle convainc Murphy de la suivre sur cette pente glissante en se donnant d'abord exclusivement à lui.
Electra et Murphy (Aomi Puyok, Karl Glusman)
Murphy est fou d'Electra et cherche à la combler sexuellement tout en faisant des projets sur le long terme tandis qu'elle vit le présent intensément et n'a pas renoncé à pimenter leur vie sexuelle. Il accepte toutes sortes de folies en en souffrant. Car Murphy est jaloux comme lorsqu'il apprend que Electra a eu une liaison avec son chef avant de le rencontrer. Lors d'un vernissage à la galerie où elle travaille, il blesse d'ailleurs l'employeur de la jeune femme et il finit au poste de police.
Electra, Omi et Murphy (Aomi Puyok, Klara Kristin, Karl Glusman)
Electra en veut à Murphy mais reste avec lui même après qu'il l'ait à son tour trompé et insulté puis supplié de le revoir. Leur relation s'apaise provisoirement avant que Murphy interroge Electra sur son fantasme ultime et qu'elle lui explique vouloir coucher avec une femme. Le couple rencontre peu après leur nouvelle voisine, Omi, qu'ils invitent à sortir avec eux.
Murphy, Electra et Omi (Karl Glusman, Aomi Puyok, Klara Kristin)
La soirée se termine chez Murphy et Electra et le trio couche ensemble. Le week-end suivant, Electra s'absente et Murphy, seul chez lui, est invité par Omi, chez elle. Ils font l'amour et durant leur rapport sexuel, le préservatif du jeune homme se déchire. Au retour d'Electra, elle devine qu'il la trompée. La crise éclate, mais Murphy, sur le conseil du policier qu'il l'avait interrogé après son agression contre le galériste, convainc la jeune femme de tenter l'expérience d'un club échangiste. Cela signera la perte de leur couple car Murphy ne supporte pas de voir Electra prendre du plaisir avec d'autres hommes.
Murphy (Karl Glusman)
Electra et Murphy conviennent de faire une pause. Omi annonce à Murphy qu'elle est enceinte de lui. Ils s'installent ensemble et ont un petit garçon. Deux ans passent. Le jour de l'An, Murphy reçoit un appel de la mère de Electra dont elle est sans nouvelles. Durant une journée éprouvante, Murphy se remémore leur histoire chaotique et finit par en arriver à la conclusion que la jeune femme s'est suicidée. Il craque nerveusement en mesurant qu'il l'a perdue définitivement alors qu'il l'aimait plus que Omi.
Ce résumé retrace le récit de manière linéaire alors que la narration du film ne l'est pas. Il commence au matin du 1er Janvier quand Murphy est réveillé par son fils. Il a la gueule de bois, à cause d'une prise excessive d'alcool et de drogues, et découvre peu après le message laissé sur le répondeur de son téléphone portable par la mère de Electra.
En vérité, avec cette ouverture, Gaspar Noé annonce le programme : Love est l'histoire d'une plongée en enfer jusqu'au breakdown du héros, dans une scène finale poignante. Pendant plus de deux heures cinq, on va et vient entre présent et passé, au fil de flash-backs aléatoires, et on recompose cette romance comme un puzzle cérébral et sensuel.
Ce dispositif donne toute son originalité au long métrage, soulignant l'intensité de son propos, la puissance crue de ses scènes sexuelles, et l'émotion inattendue, imprévisible qui nous saisit. Car Love est d'abord une expérience et ne s'en cache pas, comme tous les projets du cinéaste argentin.
Noé est un véritable trublion du cinéma français. Apparu en même temps que Matthieu Kassovitz ou Jan Kounen, sa démarche a toujours été plus radicale, sans concessions. Chacun de ses longs métrages s'appuie sur un concept simple, une trame élémentaire, et se déploie pour éprouver le spectateur, pour tester les limites de sa mise en scène. Il y a une part de provocation complaisante dans cette volonté de "choquer le bourgeois", mais aussi une volonté de proposer un objet sensible, unique.
Comme son héros, Murphy, Noé est un admirateur absolu de Kubrick et de 2001 : L'odyssée de l'espace, le trip ultime des cinéphiles. Mais contrairement au génie new-yorkais, qui ne perdait jamais de vue que son oeuvre devait être accessible au plus grand nombre, Noé souhaite avant tout pousser le public dans les cordes et concevoir le film comme un ballon d'essai visuel et narratif, une sorte de produit de laboratoire.
Pourtant, initialement, Love avait une ambition différente car Noé désirait le tourner avec des stars. Initié en même temps qu'Irréversible (sans doute son opus le plus fameux), il l'a proposé au couple Vincent Cassel-Monica Bellucci qu'il venait de diriger. Mais, craignant de trop s'exposer, ils refusèrent l'offre. Le cinéaste s'est donc tourné vers des inconnus, rencontrant ses acteurs dans des clubs ou lors de castings sauvages, mais évitant de recruter des professionnels du cinéma pornographique.
Car, incidemment, le film pose la question de la limite entre cinéma conventionnel et cinéma pornographique. Or si Love échappe à la seconde catégorie, malgré ses scènes de sexe explicites et non simulées (comme on peut le vérifier dès la première scène du film où Murphy et Electra se masturbent l'un l'autre), c'est bien parce que l'histoire ici existe au-delà du prétexte de montrer cela et échappe à toute représentation obscène.
L'intrigue est minuscule, certes - Noé a affirmé que le script ne dépassait pas sept pages. On peut même juger que les cent-vingt quatre minutes qu'il prend pour la raconter sont un peu longues par moments. Mais passé un début laborieux, on se laisse entraîner dans cette romance complexe, chaotique, on partage les tourments de ses personnages, et on se laisse émouvoir par le désarroi grandissant de Murphy.
Je n'irai pas jusqu'à prétendre qu'on en oublie le réalisme sans fard, bien que la forme soit très soignée (avec un superbe travail sur la lumière et le montage), du film. A chaque fois qu'on assiste à une pénétration par exemple, on a conscience de regarder quelque chose d'inhabituel pour un film "normal". Mais Noé ne sombre jamais dans des plans complaisants comme le porno en abuse pour prouver la performance de ses intervenants, susciter l'excitation de ses spectateurs ou tout montrer comme pour prouver que ce n'est pas du chiqué.
Certes, c'est clair - on assiste à des fellations, des sodomies, une orgie, une partie à trois, etc - mais visuellement les images sont toujours impeccables, baignant dans un clair-obscur et des tons rougeoyants, chauds, très beaux. Noé fait tout pour éviter le glauque et accomplit l'ambition de Murphy de réaliser un film qui parle d'amour en montrant des actes sexuels sans obscénité mais parce qu'ils font partie de la vie amoureuse.
Tout cela ne serait pas totalement convaincant sans les acteurs justement, qui ne devaient pas jouer comme des professionnels du "X". Le couple formé par Karl Glusman et la superbe Aomi Pluyok réussit à convaincre aussi bien dans les parties classiques que dans celles plus intimes. Ce ne sont pas des performers saisis par la caméra du réalisateur qui se débrouillent plus ou moins avec la comédie (au sens de l'interprétation classique), ce sont des acteurs solides, émouvants, intenses. Glusman compose un yankee torturé avec beaucoup de force. Aomi Puyok dégage une sensualité fragile et nuancée. Plus en retrait, Klara Kristin est aussi très bien en jeune femme manipulatrice. Ces trois-là méritent d'être considérés avec respect et non comme des "bêtes de foire" honteuses parce qu'ils jouent vraiment, même s'ils donnent plus que la normale.
Amateurs de branlette, voyeurs, curieux mal intentionnés, passez votre chemin. Love est bien plus qu'un format long échappé de Pornhub. On en sort bouleversé, remué, plus que soulagé. Derrière son éternel sourire de garnement, Gaspar Noé peut se réjouir d'avoir réussi à nous emmener là où on ne s'attendait pas à aller.
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