dimanche 22 mars 2020

ONCE UPON A TIME... IN HOLLYWOOD, de Quentin Tarantino

Voilà un bail que je n'ai pas écrit de critiques de film pour ce blog, mais comme j'ai acheté peu de comics ces dernières semaines, je vous propose de revenir sur des sorties en salles de ces derniers mois, pour lesquelles j'avais pris des notes. Et si on démarrait par un des longs métrages qui ont fait l'événement en 2019 ?


Once Upon a Time... In Hollywood est le neuvième film de Quentin Tarantino (et donc, supposément, son avant-dernier). Longtemps mûri, ce projet a finalement vu le jour l'an dernier, présenté dans une version inachevée à Cannes, puis en salles en été, avant d'être sacré aux Oscar. Ce fut l'occasion pour moi de renouer avec ce cinéaste dont les derniers efforts m'avaient déçu/déplu.

Cliff Booth, Rick Dalton et Marvin Schwarz (Brad Pitt, Leonardo di Caprio et Al Pacino)

Février 1969, Hollywood. Rick Dalton est un acteur qui a connu son heure de gloire à la fin des années 50 dans une série télé, mais qui n'a pas réussi au cinéma. Aujourd'hui, sa carrière décline au point qu'un agent, Marvin Schwarz, lui propose de rebondir en partant tourner des westerns spaghetti en Italie. Cliff Booth, sa doublure, devenu son homme à tout faire, le pousse à accepter car il retrouverait ainsi, lui aussi, du boulot - il est tricard ici, car bien qu'ayant servi durant la guerre, il est soupçonné d'avoir tué sa femme.

Roman Polanski et Sharon Tate (Rafael Zawierucha et Margot Robbie)

Rick découvre qu'il a pour voisin Roman Polanski, avec qui il rêverait de tourner, et Sharon Tate, étoile montante. Ils se rendent à une fête donnée à la Playboy mansion en compagnie d'autres vedettes, et leur couple fait parler les invités. Le lendemain, Charles Manson se présente à la maison du cinéaste en pensant y trouver une connaissance puis repart en s'excusant.

Sharon Tate (Margot Robbie)

Sharon, en l'absence de Polanski, parti tourner en Angleterre, se rend dans un cinéma qui projette un film dans lequel elle a joué. Dans la salle, elle savoure les réactions enthousiastes du public à chacune de ses apparitions. Cliff dépose Rick au studio après qu'il ait pris une cuite dans la nuit. Résultat : il est incapable de donner correctement la réplique à ses partenaires.
Cliff Booth (Brad Pitt)

Cliff se balade dans Los Angeles et prend en stop une jeune ado hippie nommée Cat. Il la conduit jusqu'à un ranch où il a jadis tourné et qui appartient à un vieil ami. Mais l'endroit est désormais squatté par une communauté - la "famille" Manson. Cliff s'enquiert de la santé de son ami et repart après avoir rudoyé un des occupants, qui a crevé un pneu de sa voiture.
Trudi Fraser et Rick Dalton (Julia Butters et Leonardo di Caprio)

Au studio, Rick se ressaisit et prépare sa grande scène à côté d'une jeune actrice, Trudi Fraser. Elle prend de haut avant de montrer plus d'empathie quand elle remarque la détresse de son partenaire, qui lui confie les hauts et (surtout) les bas de sa carrière. Rick donne tout ce qu'il a une fois devant la caméra et impressionne Trudi et le réalisateur. Revigoré, il décide d'accepter l'offre de Schwarz de partir en Italie plutôt que de continuer à enchaîner les seconds rôles de méchants dans des séries télé.

Francesca Capucci et Rick Dalton (Lorenza Izzo et Leonardo di Caprio)

8 Août 1969, Hollywood. Rick Dalton rentre d'Italie après avoir enchaîné les tournages et s'être marié à Francesca Capucci, une starlette. Il a aussi décidé de se séparer de Cliff pour donner de l'air à son couple. Les deux amis conviennent de fêter ça par une nuit d'ivresse chez l'acteur. Chez les Polanski, Sharon, enceinte, attend le retour de Polanski avec son ami Jay Sebring. Des fidèles de Manson ont ciblé sa villa pour y commettre un massacre.

Cliff Booth (Brad Pitt)

Mais en remarquant la voiture des hippies dans son allée, Rick s'énerve et les chasse. Ils décident alors de revenir pour le tuer parce qu'il représente la violence à laquelle ils ont été exposés au cinéma. Hélas ! pour eux, ils tombent sur Cliff et son chien de garde qui leur règlent leur compte avant que Rick n'achève une des tueuses. Légèrement blessé, Cliff est transporté à l'hôpital ensuite. Sebring vient s'enquérir de la situation auprès de Rick et l'invite à prendre un verre avec lui et Sharon.

Comme beaucoup, j'ai vécu l'émergence de Quentin Tarantino dans les années 90 et sa consécration la décennie suivante comme une bouffée d'air frais dans le cinéma américain. Cet histrion débarquait avec son caractère volubile, sa gouaille intarissable, ses références B et semblait ringardiser tout Hollywood avec l'insolence des prodiges.

Pourtant, insensiblement, un malaise s'installait. Tout lui réussissait bien qu'on finit par s'en méfier. Quand on y réfléchissait, que nous disait de lui son cinéma ? Pas grand-chose en vérité. Cela restait jubilatoire à regarder mais aussi un peu creux, un peu trop fardé. Tarantino était devenu une marque - d'ailleurs on allait voir le dernier Tarantino sans se poser de questions, sans en attendre autre chose.

Et inévitablement, cela a fini, en tout cas chez moi, par provoquer de (cuisantes) déceptions. Pourtant, quand il s'est investi dans l'écriture et la réalisation de westerns, tout portait à croire qu'il allait y exceller. Mais ni Django unchained ni Les 8 Salopards ne m'ont ravi. Au contraire. Son espèce de remake de Django est inbitable. Et ses 8 Salopards est interminable et complaisant jusqu'à l'écourement. Il paraissait soudain bien loin le temps où QT régnait.

Si je devais situer la bascule, avec le recul, je dirais que ça s'est passé au moment de Kill Bill, volume 2, qui était vraiment très inférieur au Volume 1 (absolument dément). Après ça, Tarantino m'a semblé courir après sa légende, son efficacité.

Néanmoins, je conserve une affection pour deux de ses films mal-aimés ou moins cités : ainsi le bancal Inglorious Basterds demeure, pour moi, une réussite, qui préfigure d'ailleurs certains aspects de Once Upon a Time... In Hollywood, et surtout j'adore Boulevard de la Mort, ce machin improbable, authentique série B (ou C, voire Z), plus sincère et modeste que ses grandes oeuvres, mais surtout étonnamment aboutie.

Quand je suis allé voir Once Upon a Time..., j'étais donc méfiant, d'autant que les critiques étaient très divisées (euphoriques ou déboussolées). On évoquait dans plusieurs articles un retour à la veine mélancolique de Jackie Brown, mais aussi une somme des obsessions du cinéaste, un trip dans le passé...

Pour ma part, j'ai trouvé finalement le film étrangement drôle, même si lesté de quelques gros défauts. Tarantino avait, semble-t-il, d'abord envisagé une intrigue pour son long métrage avant de se raviser et de préférer suivre ses personnages dans une balade au coeur du Hollywood de 1969, durant l'été où les adeptes de Charles Manson commirent d'abominables crimes, tuant notamment Sharon Tate. Un fait divers qui fut considéré comme la fin de l'innocence, le terme de la mouvance hippie, en parallèle de l'enlisement du conflit au Vietnam.

De fait, l'histoire flotte beaucoup et pendant les trois quarts, on assiste à un enchaînement de scènes très plaisantes, dans les pas d'un comédien sur le déclin et de sa doublure. C'est au point que le film pourrait durer ainsi une éternité sans qu'on s'y ennuie vraiment (d'ailleurs la rumeur prête à Tarantino l'envie de proposer un montage alternatif du film qui aboutirait à une mini-série pour Netflix).

Tant, en tout cas, que le récit ne quitte pas Rick Dalton et Cliff Booth, c'est sans doute parmi ce que Tarantino a produit de plus attachant. Il y a en effet une sorte de mélancolie dans le parcours de ces deux vétérans des studios, mais elle n'est pas triste, elle est tendre, marrante, cool. Le cinéaste adresse des clins d'oeil directs, plus francs, moins roublards que d'habitude, au cinéma qu'il aime, comme quand il montre Dalton jouant le rôle ayant finalement échu à Steve McQueen dans La Grande Evasion, ou qu'il inflige une raclée à un Bruce Lee insupportablement arrogant via Cliff Booth.

Le statut de Tarantino lui permet d'attirer les plus grosses stars, y compris pour des petits rôles, mais aussi pour jouer ses héros. Il retrouve ainsi Leonardo di Caprio (qu'il avait dirigé dans Django unchained) et Brad Pitt (après Inglorious Basterds) pour incarner cet acteur et sa doublure et les deux acteurs font merveille. Leur complicité est palpable et ressuscite les mythiques duos de Hollywood (Newman-Redford par exemple). Il est savoureux de voir di Caprio jouer un acteur à la ramasse et Tarantino tire le meilleur de son interprétation, tendue, cabotine, très actor's studio : ce n'est plus du tout le jeune premier sans âge que la caméra de Robert Richardson saisit mais une star un peu bouffie, qui campe Rick Dalton comme un double raté de lui-même.

Pourtant, il n'est pas injuste d'affirmer que le grand gagnant reste Brad Pitt, récompensé justement de plusieurs prix, dont l'Oscar du meilleur second rôle (pourquoi seulement "second" alors qu'il a au moins autant de temps de présence à l'écran que di Caprio ? Mystère.). J'ai longtemps été dubitatif devant les éloges dont on couvrait Pitt, mais à cinquante ans passés, il a indéniablement gagné en épaisseur. Après son divorce médiatisé et une cure contre son alcoolisme chronique, l'ancien Apollon apparaît affûté (et Tarantino ne manque pas une occasion d'immortaliser le physique impeccable de son comédien). Surtout il traverse le film avec une sorte de grâce féline, un sommet de "coolitude" irrésistibles, comme s'il s'amusait de sa propre légende, avec le détachement de ceux qui ont plongé profond et remontent ragaillardis à la surface.

On sera en revanche beaucoup plus perplexe devant les louanges tressés à Margot Robbie tant son rôle est peu développé et son jeu irritant. Tarantino a-t-il eu peur de croquer Sharon Tate ? En tout cas, Robbie ne lui ressemble déjà pas du tout physiquement, mais son air constamment béât la rend bien fade, limite idiote. Au final, elle semble ne faire que passer, allant et venant sans avoir rien à défendre. Le même reproche peut d'ailleurs être adressé à toutes les véritables célébrités que Tarantino convoque dans sa reconstitution, un artifice inutile (seul Damian Lewis compose un Steve McQueen épatant le temps d'une scène).

Passé ce long premier acte, qui est le meilleur atout du film (mais aussi son pire ennemi car on peut très bien décrocher en se demandant où tout cela veut en venir), le dernier quart reprend un dispositif déjà vu dans Inglorious Basterds puisque Tarantino réécrit totalement l'Histoire. Il avait autrefois tué Hitler. Il sauve ici Sharon Tate et ses amis des atrocités de la Manson's family lors d'un final ahurissant et jouissif, véritable sommet en termes de mise en scène. Lorsque di Caprio dégaine un lance-flammes pour carboniser une des fidèles de Manson, on est dans le grand-guignol, mais aussi un spectacle régressif et hilarant, qui rend l'épilogue poignant.

Car Tarantino sauve non seulement Sharon Tate de son funeste destin, mais aussi le Hollywood de 1969, celui de sa jeunesse, et donc par ricochet il refait le match, gagne la partie, modifie toutes ses origines. Le coeur de Once Upon a Time... In Hollywood est bien là : le cinéma de QT n'est jamais meilleur que dans cette réalité parallèle, idéalisée, fantasmée, délirante. On comprend alors pourquoi ce "Il était une fois..." séparée de "... A Hollywood" est si important pour lui : c'est ce qui indique la dimension fantastique de son oeuvre, de son film qui est un conte, un authentique conte de fées, où les starlettes échappent aux monstres, où les acteurs déclinants renaissent, où les doublures sont des héros chevaleresques (bien que totalement défoncés à l'acide). 

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