jeudi 18 août 2016

Critique 991 : LAST DAYS OF SUMMER, de Jason Reitman


LAST DAYS OF SUMMER (en v.o. : Labor Day) est un film réalisé par Jason Reitman, sorti en salles en 2014.
Le scénario est écrit par Jason Reitman, d'après le roman Long Week-End de Joyce Maynard. La photographie est signée Eric Steelberg. La musique est composée par Rolfe Kent.
Dans les rôles principaux, on trouve : Kate Winslet (Adele), Josh Brolin (Frank), Gattlin Griffith (Henry adolescent), James Van Der Beek (l'agent Treadwell), Tobey Maguire (Henry adulte).
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 Adele, Henry et Frank
(Kate Winslet, Gattlin Griffith et Josh Brolin)

1987, dans le Sud des Etats-Unis. Adele est une mère célibataire qui élève seule son fils, Henry, âgé de 14 ans. Elle est séparée du père de ce dernier, qui a refait sa vie avec une autre femme. Eprouvée par plusieurs fausses couches dans sa jeunesse et l'échec de son couple, sa dépression se manifeste par une nervosité qui l'isole socialement.
 Adele et Frank

En faisant les courses dans un supermarché avec sa mère, Henry est abordé par un homme, Frank, qui convainc Adele, en la menaçant subtilement, de le cacher chez elle jusqu'au lendemain, le temps pour lui de se remettre d'une douleur à la jambe.
Le soir, au journal télévisé, la mère et son fils apprennent, en compagnie de leur "invité", qu'il s'est échappé de l'hôpital où il a été opéré pour une crise de l'appendicite. Frank purge une peine de 18 ans de prison pour le meurtre de sa petite amie, Mandy - dont on découvrira qu'elle le trompait et lui avait menti sur la paternité de leur bébé (qu'elle tuera en le noyant), mais qu'il a tuée accidentellement.
 L'agent Treadwell
(James Van Der Beek)

Du Jeudi, où ils se sont rencontrés, jusqu'au Lundi suivant, contre toute attente, Adele et Henry sympathisent avec Frank qui se comporte avec eux avec attention, prévenance et délicatesse, et non comme un repris de justice violent. Progressivement, le fugitif et la mère de famille tombent amoureux  et deviennent amants, sous les yeux du garçon, tour à tour jaloux et heureux.
Mais quand une jolie camarade de classe, dont il s'éprend, insinue qu'il pourrait être abandonné alors que Frank a convaincu Adele de partir au Canada, Henry commet deux erreurs lourdes de conséquences en déposant une lettre d'adieu à son père et en attirant l'attention d'un agent de police qui recherche le fugitif. 
Henry adulte
(Tobey Maguire)

Plusieurs années après, Henry recevra une lettre de Frank sur le point de sortir de prison et désireux de revoir Adele...

Jason Reitman est un cinéaste que j'apprécie sans pourtant surveiller les sorties de ses films qui, il est vrai, n'ont jamais assez de succès pour être programmés là où je vis. Je me rattrape donc souvent en découvrant ses opus sur d'autres supports après avoir lu un article à leur sujet. Les sujets qu'il aborde m'intéressent plus ou moins, mais ce qu'il en fait m'intéresse. Les acteurs qu'il dirige, toujours dans des emplois originaux et de manière subtile, sont également attirants. Autant d'éléments encore présents dans ce très beau Labor Day qu'il a été traduit en France par un titre anglais (!), Last Days of Summer.  

L'introduction, rapide, et à vrai dire improbable - mais c'est une constante du cinéma de Reitman (cf. Thank you for smoking avec son prometteur du tabac sans états d'âme, Juno avec son ado qui choisit de ne pas avorter, In the air avec son spécialiste des licenciements obligé d'obéir à une collègue plus jeune, ou Young adult avec sa pathétique héroïne qui veut reconquérir son amour de jeunesse) - suggère une romance plus convenue que d'habitude, peut-être trop sentimental - ce mauvais sentimentalisme dénoncé par Billy Wilder, avec un prétexte facile et des effets appuyés.

Mais la vérité de l'oeuvre se révèle tout aussi vite et pour une meilleure impression car le thème du film est celui de la dualité : dans cet étrange prise d'otages, une mère et son fils sont séquestrés par un fugitif qui ne les malmènera jamais, au contraire il va gagner leur confiance, leur affection, leur amour même. Non pas à cause du syndrome de Stockholm qui explique que les victimes peuvent éprouver des sentiments solidaires avec leur ravisseur, mais parce que chacun trouve en l'autre ce qui lui manquait. Parce que l'autre n'est pas celui qu'on croit, qu'on présente dans les médias ou que la justice a condamné.

Cette construction duelle se prolonge dans d'autres niveaux de lecture du film : il est traversé par des flash-backs fulgurants, quasi-muets, révélant le passé de Frank (sans qu'on fasse immédiatement le lien avec lui au début d'ailleurs). Le passé éclaire d'un jour nouveau le présent et donne une logique au comportement du repris de justice, la vérité sur son caractère : il a aimé une jolie fille volage, a appris qu'il n'était pas le père de leur bébé, l'a tuée accidentellement avant de découvrir le meurtre de l'enfant par sa mère. Cela confère au récit une tonalité mélodramatique mais suggérée.

La suggestion vaut aussi pour la façon dont Reitman exprime la sensualité : la moiteur de cet fin d'été 1987 dans le Sud des Etats-Unis nous oriente dans cette voie-là, mais le cinéaste ne filme pourtant aucune scène d'amour, de sexe. Il se contente de quelques regards éloquents, de gestes discrets mais clairs, la photo de Eric Steelberg pointe superbement la légèreté d'une robe, la sueur de la peau, les cheveux collés, la tension des muscles, la douceur des sourires. 

Si la rencontre initiale de la rencontre entre Adele, Henry et Frank est déjà extraordinaire, le développement de leur vie de famille, car c'est bien de cela qu'il s'agit - une femme retrouve un homme attentionné, un homme est séduite par une femme délaissée, un ado possède de nouveau une figure paternelle et protectrice pour sa mère - l'est tout autant, sinon plus. Pour le raconter, il met en parallèle l'éveil sexuel de Henry et le réveil sensuel de sa mère, déclenchés par la présence d'un intime étranger. 

On peut interpréter l'histoire comme une variation freudienne si on est versé dans la psychanalyse. Il me semble que le film se suffit à lui-même sans vouloir l'intellectualiser. Tout le talent de Reitman est de faire comprendre ce qu'il veut dire, ressentir sans imposer une grille de lecture au spectateur : il nous trouble sans forcer, en s'appuyant d'abord sur des ambiances, des actions miniatures, une temporalité serrée (quatre jours), un quasi-huis clos (on ne quitte pratiquement pas la maison d'Adele, et les scènes qui ne s'y passent pas sont presque dispensables, hormis les dialogues entre Henry et sa camarade de classe).  

Et tout aussi progressivement s'établit un suspense atypique où il est moins question de savoir si Frank sera repris (en acceptant de rester, il signe sa perte comme tout fugitif, et lorsqu'il organise le départ au Canada, on doute que le voyage réussisse) mais quand et comment. L'ambivalence avec laquelle Henry apprécie ce personnage, qui est à la fois si sympathique et tout de même dangereux, aimable et manipulateur, fragilise tout projet d'avenir à trois. L'adolescent est tiraillé entre la reconnaissance - Frank rend sa mère heureuse à nouveau, Frank se comporte en bon père rassurant  - et la jalousie - Frank lui prend sa mère, Frank pourrait convaincre Adele de fuir sans son fils. De fait, à la fin, quand Henry voudra dire "adieu" à son père, ne le fait-il pas en espérant être repéré pour dénoncer Frank, le faire arrêter - arrêter tout ?

Pour jouer cette partition inspirée d'un roman de Joyce Maynard, qui vécut une relation éphémère mais intense avec J.D. Salinger (l'auteur mythique de L'attrape-coeur) dans les années 70 (au point qu'on ne retint que cela de sa vie, éclipsant son travail de romancière), Reitman a pu compter sur trois acteurs formidables : Kate Winslet n'a jamais été aussi belle et troublée, Josh Brolin est comme d'habitude excellent en type viril mais à la dérive, et le jeune Gattlin Griffith (dont le rôle adulte est incarné par Tobey Maguire, sans un mot, très sobre) est épatant en exprimant tout en finesse ses innombrables tourments. James Van Der Beek (l'ex-star de Dawson) n'a que deux scènes, mais il injecte à la seconde une tension infernale.

Ces "derniers jours de l'été" forment une grande réussite, qui affirme le talent de son réalisateur, une des personnalités les plus passionnantes du cinéma US actuel.

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