1980 : la décennie s'ouvre sera pour la série Uncanny X-Men avec ce qui reste, sans doute, sa plus célèbre collection d'épisodes, celle qui sera ensuite appelée la Dark Phoenix Saga, la saga du Phénix noir.
Cet arc narratif qui court officiellement sur neuf chapitres a en vérité commencé durant l'année précédente grâce à un des fameux subplots qu'affectionnaient Chris Claremont et John Byrne, une intrigue secondaire impliquant en particulier Jean Grey depuis sa rencontre avec le mystérieux et séducteur Jason Wyngarde au Nord de l'Ecosse.
Les auteurs abordent donc en Janvier la dernière ligne droite de ce récit qui connaîtra un climax dramatique et inoubliable, en particulier pour les lecteurs de ma génération. J'ai choisi de découper mes critiques en trois parties pour les rendre plus "digestes" et en espérant faire mieux apprécier la progression narrative de cet arc : dans une première entrée, ce seront donc les épisodes 129 à 131 qui seront traités, lorsque les X-Men vont faire la connaissance du Club des Damnées et que le personnage d'Emma Frost apparaît pour le première fois ; ensuite ce seront les épisodes 132 à 134 et l'affrontement entre ces deux factions de mutants ; et enfin les épisodes 135 à 138 avec le sort réservé à Jean Grey - j'ai voulu conclure avec le numéro intitulé Elégie, le vrai dénouement de cet ensemble, curieusement écarté du recueil original.
Si vous avez déjà lu tout cela, vous partagerez, j'espère, mon enthousiasme intact. Si ces critiques vous donnent envie de découvrir cette saga, j'en serais fier et je vous promets une lecture mémorable.
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Uncanny X-Men #129 : God spare the child...
(Janvier 1980)
Uncanny X-Men # 130 : Dazzler
(Février 1980)
Uncanny X-Men # 131 : Run for your life !
(Mars 1980)
Les X-Men quittent l'île de Muir après leur victoire contre Proteus, le fils de Moira McTaggert auprès de laquelle Sean Cassidy/le Hurleur a décidé de rester puisqu'il a perdu son pouvoir sonique.
De retour à Westchester, l'équipe retrouve avec joie le professeur Charles Xavier. Mais l'ambiance se tend vite quand leur mentor reprend la direction des opérations, imposant une discipline de fer car il estime que Cyclope a échoué sur ce point.
C'est alors que l'ordinateur Cérébro localise deux nouveaux mutants : l'un à New York (où se rendent Diablo, Cyclope et Phénix), l'autre à Chicago (où partent Tornade, Colossus, Wolverine et le Pr. X).
Les deux groupes sont attaqués par les sbires du Club des Damnés, une société secrète bicentenaire composée de riches membres mutants, à laquelle s'est lié Jason Wyngarde contre la promesse d'assujettir Jean Grey.
L'issue de ces premières batailles tourne à l'avantage des X-Men mais de justesse. Et Tornade comme Cyclope ont remarqué un changement sensible et inquiétant de la personnalité de Jean, même si l'adolescente Kitty Pryde choisit d'intégrer l'école de Xavier...
Ces trois premiers épisodes illustrent déjà parfaitement la monté en puissance de l'intrigue. Tout d'abord, les retrouvailles entre les X-Men et Charles Xavier sont vite pliées et aboutissent à une tension immédiate : le mentor télépathe considère que les membres de l'équipe travaillent mal ensemble et désigne Cyclope comme responsable de cet échec tactique. Scott Summers encaisse, mais pour une forte tête comme Wolverine, ce serrage de vis passe beaucoup plus mal.
Néanmoins, Chris Claremont et John Byrne ne s'attardent pas sur ces atermoiements : la crise couve, il faut en profiter pour précipiter les héros dans une tourmente encore plus grande, en les envoyant à la rencontre de deux nouveaux mutants.
Si l'entrée en scène de Dazzler ne sera pas exploitée au-delà des épisodes 130-131 (le personnage deviendra membre de l'équipe beaucoup plus tard, sans s'imposer vraiment, sans doute victime de ses origines trop attachées au succès musical d'alors, le disco, avec un look daté et des pouvoirs au potentiel spectaculaire improbable), en revanche l'apparition de Kitty Pryde est une riche idée : trente-six après, elle est restée une des mutantes favorites des lecteurs, traversant les époques tout en grandissant vraiment (phénomène rare dans la temporalité des comics), devenant à son tour une des guides des mutants, puis s'émancipant de cette famille (elle intervient actuellement dans la partie cosmique de Marvel aux côtés des Gardiens de la Galaxie). C'est à l'image de son pouvoir : elle a su traverser les années comme elle traverse les murs.
L'autre choc réside dans la création d'Emma Frost, et par extension dans l'incarnation du Club des Damnés : Claremont et Byrne se doutaient-ils que ces deux éléments allaient là aussi pendant très longtemps peupler l'univers des X-Men, inspirant les auteurs les plus divers et alimentant des sagas passionnantes ? A priori pourtant, ça ne me semblait pas gagné : cette bande de mondains vêtus comme des nobles décadents dont la "Reine Blanche" emprunte son look so sexy à celui d'Emma Peel dans un épisode fameux de Chapeau melon et bottes de cuir (avec, déjà, la mention d'un Hellfire club), dont le projet peu original est de conquérir le monde en faisant commerce du gène mutant grâce aux X-Men destinés à devenir leurs cobayes, fait presque sourire. Mais les auteurs savent les rendre plus menaçants que risibles et le lecteur ne doute pas longtemps qu'ils vont causer de sérieux et durables ennuis aux héros.
Patiemment, les efforts de Claremont et Byrne pour souligner le glissement de Jean Grey vers une attitude psychotique portent leurs fruits : la gentille rouquine, mignonne mais un peu gourde de la première génération des X-Men, est devenue, d'abord avec le redesign de son costume par Dave Cockrum, puis sous le crayon de Byrne, une créature pulpeuse et dangereuse (l'artiste appliquant toujours la même méthode pour ce résultat : il dessinait les femmes nues et ajoutait les lignes de leurs costumes ensuite - imparable !). La manière dont elle détruit une voiture, altère les atomes de ses vêtements pour être en tenue de combat, la forme même des bulles se modelant pour suggérer la déformation de sa voix à cause de la griserie causée par l'exercice de son pouvoir grandissant, tous ces éléments font saisir son évolution au lecteur avec concision.
Byrne met ces épisodes en images avec une redoutable énergie : la représentation des pouvoirs, l'impact des coups, le tumulte des sentiments, sont exprimés avec vivacité, dans des pages comportant peu de cases mais cadrées pour obtenir un effet le plus impressionnant possible. On devine facilement le plaisir particulier qu'il a à animer Wolverine, dont le caractère de rebelle a tout pour plaire à un public adolescent, alors que les autres X-Men sont plus dociles (Diablo, Tornade, et surtout Colossus, dont les lamentations en voix off sont rétrospectivement à la fois pénibles et comiques), voire austères (Cyclope, toujours aussi droit dans ses bottes, même quand il est franchement humilié par Xavier).
Ce n'est pourtant là qu'une mise en bouche : les trois épisodes suivants vont porter la préparation à ébullition...
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