Et voici la fin de la saga du Phénix noir, avec les trois derniers épisodes de cet arc et le 138ème épisode de la série, la vraie conclusion de cette histoire.
Uncanny X-Men #135 : Dark Phoenix !
(Juillet 1980)
Uncanny X-Men #136 : Child of Light and Darkness !
(Août 1980)
Uncanny X-Men : The Fate of the Phoenix !
(Septembre 1980)
Uncanny X-Men #138 : Elegy
(Octobre 1980)
Jean Grey s'abandonne à l'ivresse du pouvoir corrupteur de la force Phénix et, après avoir administré une correction aux X-Men, qui tentaient de la raisonner, elle s'envole pour parcourir l'univers.
Afin d'alimenter en énergie le feu qui la dévore, elle consume une étoile et entraîne ainsi la mort de plusieurs planètes, dont l'une était habitée, puis désintègre un vaisseau patrouilleur de la garde impériale Shi'Ar. Lilandra en est avertie et décide immédiatement d'organiser des représailles.
De retour sur Terre, Jean se rend chez ses parents mais, lisant télépathiquement la peur qu'elle leur inspire, elle les quitte rapidement. Les X-Men l'attendent pour essayer de la maîtriser grâce à un gadget élaboré par le Fauve. Toutefois, il faudra l'intervention du professeur Xavier pour bloquer mentalement son terrible pouvoir.
La situation semble apaisée lorsque toute l'équipe est téléportée dans un croiseur Shi'Ar où Lilandra annonce que Jean Grey doit être exécutée pour les crimes du Phénix noir et préserver l'univers de nouveaux carnages. Charles Xavier défie alors à la garde impériale pour sauver son élève.
Le combat est dramatique : le Fauve, Colossus, Wolverine, Diablo, Angel, Tornade sont défaits par un adversaire plus nombreux, puissant, expérimenté et organisé. Acculée, Jean Grey préfère se suicider pour que Cyclope soit épargné.
Lors des obsèques de sa bien-aimée, Scott Summers se remémore toute sa carrière au sein des X-Men. Il annonce ensuite au groupe et au Pr X qu'il démissionne. Au même moment, Kitty Pryde est déposée en taxi devant l'école pour jeunes surdoués Charles Xavier, où elle va apprendre à exercer son pouvoir et s'intégrer aux humains, selon l'idéal de l'établissement.
La mort dans les comics est une figure de style, mais souvent malmenée : en effet, nombreux sont les héros (et les vilains) fauchés et qui ont ressuscité. Parfois ils ont maquillé leur décès, parfois ils n'étaient que blessés, parfois ils ont réellement passé l'arme à gauche mais ont bénéficié d'une seconde chance. En fin de compte, très peu sont "restés" morts, même si, quand ça a été le cas, quelques personnages y ont gagné en valeur (voir le Captain Marvel original de Marvel Comics, terrassé par un cancer dans un célèbre récit complet écrit et dessiné par Jim Starlin).
Quand Jean Grey est tombée dans le bras de la camarde, à l'époque, ce fut un choc pour les lecteurs, au moins comparable à la chute fatale de Gwen Stacy (que beaucoup considèrent comme l'événement marquant la fin de l'âge de l'innocence des comics publiés par Marvel). Peu après il y aura aussi l'exécution de Elektra par Bullseye dans le run de Frank Miller et Klaus Janson.
Mais Jean Grey (comme Elektra) sont revenues quelques années plus tard. On ne put plus mourir tranquille alors : désormais la pratique est devenue tellement courante qu'elle ne traumatise plus personne - au contraire, maintenant on parie plutôt sur quand le cher disparu va revenir, et, à la rigueur, comment. La vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie, mais la mort ne vaut plus grand-chose non plus...
Il faut rappeler cependant que ni Chris Claremont ni John Byrne ne voulaient sacrifier la belle rouquine, malgré les abominations qu'elle commet dans cette dernière ligne droite !
Pour bien apprécier le sort qui lui est réservé, un retour en arrière s'impose : l'idée initiale de Claremont et Dave Cockrum, lors de la relance de la série des mutants, était de faire de Jean Grey l'équivalent de Thor chez les X-Men. Ils n'aiment cependant ni l'un ni l'autre le pseudonyme de Marvel Girl, ni son costume vert avec ses bottes et son masque jaunes. Ils font donc d'une pierre-deux coups en la relookant et en lui attribuant des pouvoirs quasi-divins dans Uncanny X-Men #108 !
Quand John Byrne succède comme dessinateur à Cockrum, il déteste ce qui a été fait du personnage, et regrette la Jean Grey originelle, comme il affectionne les X-Men de la première génération (ainsi réintégrera-t-il Angel à l'équipe). Mais l'artiste doit composer avec la volonté du tout-puissant editor de l'époque, Jim Shooter, qui veut en profiter pour mettre en scène la corruption de l'héroïne au point qu'elle devienne malfaisante : il n'est plus question de comparaison avec Thor, mais d'aboutir à une sorte de Dr Fatalis des mutants.
D'abord réticents, Byrne et Claremont se laissent séduire et exploitent ce retournement pour en faire le pivot de leur projet. Mais ils ne veulent tout de même pas que Jean Grey devienne une criminelle permanente et préparent une issue clémente : elle sera purgée de l'influence de la force Phénix au terme de l'aventure.
Mais quand Shooter découvre cela, s'il est enthousiasmé par les pages dessinées par Byrne, la morale de l'histoire ne lui convient pas et exige une correction : il faut que Phénix paie pour le mal qu'elle a produit, quand bien même elle aurait agi sous influence. Claremont et Byrne se plient de mauvaise grâce à la décision de leur boss, tout en refusant que, comme il le suggère, Jean Grey soit emprisonnée par les Shi'Ar : cela obligerait forcément les X-Men à vouloir organiser son évasion. Les trois hommes tombent alors d'accord pour la tuer - ou plutôt pour qu'elle se suicide (une manière d'assumer ses actes). Plus tard, en 1984, pourtant sera publiée Phoenix : the untold story présentant la fin telle qu'envisagée initialement par le scénariste et le dessinateur (qui aura quand même fait tourner son partenaire en bourrique en le faisant sur-dialoguer la conclusion du #137).
Malgré ce rafistolage incroyable, l'impact de ce dénouement reste incroyable, d'une puissance dramatique peu commune. La laïus du Gardien confère une noblesse, certes simpliste, mais réelle au geste de Jean Grey. Mais cela aura provoqué des remous dans la fan-sphère de 1980 (déjà, des lecteurs menacèrent de mort les auteurs). En tout cas, c'est indéniablement la fin d'une ère pour les mutants. A mon sens, même la saga suivante et tout aussi réputée, Days of future past, n'égale celle du Phénix noir et son issue mélodramatique.
Cette fin sera aussi celle du tandem Claremont-Byrne : il est aujourd'hui établi que ces deux collaborateurs, dont la complicité apparente aboutissait à de tels sommets, ne s'appréciaient pas. Claremont a toujours été loué pour son professionnalisme et son élégance (Alan Davis le cite comme un modèle par exemple, le scénariste est très respecté par les générations qui lui ont succédé). Byrne est un ogre génial mais infernal, qui s'est mis à dos une bonne partie du milieu : très vite, il s'est immiscé dans l'élaboration et la rédaction des épisodes de la série, aspirant à devenir un auteur complet, contrôlant au maximum les titres dont il avait la responsabilité. On ne peut s'empêcher de considérer l'ingratitude de Byrne envers Claremont qui a quand même toujours composé avec lui, ses idées, son sale caractère, son manque de solidarité, ses accusations (le dessinateur lui reprochait de trop s'approprier les personnages de ses collègues... Alors que lui-même se lamentera ensuite de ne pas disposer de certains protagonistes à sa guise).
La suite, on la connait aussi : Byrne, désormais star adulé par les lecteurs et chouchouté par Marvel, négocie sa sortie en obtenant les Fantastic Four, qu'il gratifiera d'épisodes exceptionnels. Quant à Claremont, il est soulagé de renouer avec Cockrum, puis d'écrire pour Paul Smith, John Romita Jr, Marc Silvestri - même si son règne de 17 ans sur la franchise mutante s'achèvera dans la douleur... Tout comme la carrière de son meilleur ennemi, Byrne, se poursuivra dans le tumulte.
Extraordinaire de relire ces épisodes en ayant en tête la relation si terrible de ces deux-là. Impossible de deviner que le long flash-back auquel se livre Scott Summers dans le sublime #138, cette Elégie admirable et si émouvante aient été produits dans des conditions pareilles. Mais peut-être était-ce là le vrai génie de Claremont, Byrne et Shooter : savoir masquer leurs différends pour cueillir les fans avec une conclusion aussi remarquable.
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