mardi 22 mars 2016

Critique 845 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE, TOME 25 - AÏNA, de Dodier


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : AÏNA est le vingt-cinquième tome de la série, écrit et dessiné par Alain Dodier, publié en 2016 par Dupuis.
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Aïna, jeune femme originaire du Mozambique, ne parlant que le swahili, échappe au couple de diplomates qui l'a faite venir en France pour être la mère porteuse de leur enfant par insémination artificielle.
Mais le géniteur, désormais réticent à devenir père pour satisfaire l'envie de sa femme, soudoie un gynécologue, le docteur Gruber, afin qu'il fasse croire à Aïna que l'embryon est atteint d'une grave malformation et qu'elle doit avorter - ce qui a provoqué sa fuite.
Témoin de sa cavale, l'épicier Burhan et le père Arthur portent secours à la jeune femme jusqu'à ce que son patron et son homme de main, Pacifico, ne la récupèrent. Jérôme K. Jérôme Bloche aide alors le curé à retrouver Aïna afin de la soustraire à ses employeurs.
Lorsque Pacifico reçoit l'ordre de reconduire Aïna à l'aéroport pour qu'elle rentre en Afrique, il trahit son patron et accepte l'aide de Jérôme et d'Arthur...

L'album, précisons-le tout de suite, ne sera disponible que le 26 Mars, mais j'en rédige la critique puisque j'ai lu ce 25ème tome lors de sa prépublication dans le journal de "Spirou".

Fidèle à la tradition de la série, Alain Dodier, après un précédent épisode se déroulant hors de Paris, situe celui-ci dans la capitale et le XVIIIème arrondissement où résident ses personnages, et en raconte l'histoire suivant une narration linéaire.

L'auteur avait eu l'idée initiale d'une belle jeune femme courant sous la pluie dans la nuit, probablement en fuyant quelque chose. Mais il n'a pas réussi à développer cette image tout de suite, n'y revenant qu'en imaginant une intrigue plus précise qui allait modifier son flash. Faut-il en déduire que cette modification originelle explique l'inégalité du résultat ?

Car, je l'avoue, je n'ai pas été aussi convaincu et séduit que d'habitude par ce tome : long de 54 planches, il met longtemps à se mettre en route, Dodier ne fournissant aucune information au lecteur permettant de deviner les raisons pour lesquelles Aïna est ainsi poursuivie. Et quand, enfin, le motif apparaît plus clairement, il est exploité plutôt faiblement et dénoué sans que les méchants soient inquiétés.

Le thème abordé est celui de l'esclavagisme moderne et il faut saluer la volonté de l'auteur de ne pas l'explorer de manière manichéenne puisque la proie et les prédateurs sont de la même nationalité. Mais le noeud du problème qui se pose aux héros est trop suggéré pour alimenter un suspense efficace, le comportement même de Pacifico varie trop pour être crédible (homme de main musclé et docile, il est pris de remords bien tardifs).

Par ailleurs, il me semble que Dodier a échoué en donnant un rôle trop secondaire à Jérôme, qui apparaît peu concerné par l'affaire alors même qu'elle touche un de ses meilleurs amis, le père Arthur. Dodier a expliqué qu'il avait également pensé à un moment utiliser son récit pour que son héros finisse cet épisode sur le point de se marier mais pas forcément avec Babette : cette piste a été totalement abandonné (même si ce n'est peut-être pas définitif car les questions du couple que forment le détective et l'hôtesse de l'air et d'une possible parentalité pourraient être abordées dans le tome 26...). 

Tout cela - ces lignes narratives négligées, la trame principale brouillonne, la caractérisation hésitante, la dramaturgie mollassonne - aboutit un album curieux, inabouti, comme si l'auteur avait perdu l'intensité de son flash initial en route. Etonnant de la part d'un scénariste aussi rigoureux comme Dodier.

En revanche, il n'y a rien à reprocher au dessinateur Dodier qui est, plus que jamais, au sommet de son art : comme il l'admet volontiers, ce n'est pas un graphiste fantaisiste avec son découpage strict (quatre à cinq - pour les séquences plus rythmées - bandes, huit à dix plans par page), mais il sert parfaitement et intelligemment son sujet.

Le soin, prodigieux mais jamais démonstratif, que l'artiste met à représenter les décors, en s'appuyant sur des repérages minutieux, et des plans larges superbes, n'a d'égal que la simplicité exemplaire avec laquelle il rend ses personnages expressifs, non seulement pour leurs visages mais plus généralement dans leurs attitudes.

Son trait élégant, réaliste, clair a atteint une exemplarité comme seuls les dessinateurs complètement maîtres de leur discipline en sont capables. La modestie de la série ne devra jamais masquer à quel point Jérôme K. Jérôme Bloche est une BD aussi belle que bien racontée en images.

Ce 25ème tome est donc en deçà des derniers épisodes, mais ça n'empêchera pas les fans fidèles d'attendre le prochain avec la même attention gourmande : un (petit) faux pas ne signifie pas un déclin.  

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