mardi 29 septembre 2015

Critique 716 : THORGAL, TOMES 3 & 4 - LES TROIS VIEILLARDS DU PAYS D'ARAN & LA GALERE NOIRE, de Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski


THORGAL : LES TROIS VIEILLARDS DU PAYS D'ARAN est le troisième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegorz Rosinski, publié en 1981 par les Editions du Lombard.
Après avoir quitté le village de Gandalf, Thorgal et Aaricia cherchent un endroit où s'établir lorsqu'ils croisent un gnome qui les conduit jusqu'à une fête donnée non loin.
Mais il s'agit d'un piège: grâce à une ruse, Aaricia est séparée de Thorgal et emmenée dans le château du lac sans fond tandis que Thorgal est assommé et abandonné dans les bois.
La nuit venue, Thorgal en profite pour s'introduire dans le château mais Aaricia ne le reconnaît pas et ses cris alertent des gardes. Il doit s'échapper.
Quelque temps après, les seigneurs du pays d'Aran, les trois Bienveillants, organisent un tournoi pour trouver un mari à leur reine. Thorgal se glisse parmi les prétendants et participe à plusieurs épreuves jusqu'à atteindre les finales. Elles le mènent dans une dimension parallèle où il rencontre la mystérieuse et belle gardienne des clés et le secret des Bienveillants.
Grâce à ses connaissances, Thorgal met un terme à leur joug et récupère Aaricia avec laquelle il quitte cet endroit maléfique.  
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THORGAL : LA GALERE NOIRE est le quatrième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegorz Rosinski, publié en 1982 par les Editions du Lombard.
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Aaricia enceinte, Thorgal et elle se sont installés au sein d'une communauté de paysans dans un village côtier. Shaniah, la fille, âgée de seize ans, du chef Caleb, veut que Thorgal l'emmène découvrir le monde mais il refuse et elle lui vole son cheval avant qu'un inconnu ne le lui dérobe à son tour.
Le lendemain, des hommes armées, dirigés par le comte Ewing de la cour du roi de Brek Zarith, Shardar, arrivent à la recherche d'un certain Galathorn. Shaniah se venge en accusant Thorgal d'être le complice du fugitif et il est fait prisonnier jusqu'à la galère noire du prince Veronar.
A bord de ce navire, Ewing dévoile à Thorgal son plan : il veut retrouver Galathorn non pour le tuer mais pour s'allier avec lui pour succéder à Shandar, malade et vieillissant, sur le trône.
Des vikings, à la tête duquel on retrouve Jorund (voir tome 2, L'île des mers gelées), abordent la galère et délivrent Thorgal qui retourne ainsi au village. Mais celui-ci a été rasé et ses habitants tués, Aaricia est portée disparue. Seule Shaniah a survécu...

Ce qui frappe d'emblée avec ces deux nouveaux tomes, c'est la progression graphique du dessin de Rosinski : on a rarement vu un artiste se trouver aussi vite, même si sa productivité est soutenue. Le trait s'est affirmé, les jeux d'ombres et de lumières se sont sophistiqués pour devenir ce qui sera la marque distinctive de la série, et si le découpage comporte encore quelques enchaînements faibles (jusqu'au tome 3), il est d'une fluidité remarquable, avec de discrètes audaces (cadres diagonaux - la scène où le prince Veronar tire à l'arc sur Thorgal et Ewing attachés au mat de la galère - , vignettes verticales avec une superbe décomposition des mouvements - lorsque Thorgal plonge dans le lac sans fond pour fuir le château des Bienveillants).

Rosinski n'est pas seulement un très bon dessinateur, c'est aussi un fabuleux encreur, qui sait texturer ses plans (ses nuages, si caractéristiques, ont une matière presque palpable, mais les murs du château des Trois vieillards du pays d'Aran, la coque des drakkars ou de La galère noire sont aussi merveilleusement ouvragés). Son usage de la plume est d'une finesse magnifique, rehaussée par des à-plats de noir très profond (les scènes nocturnes sont époustouflantes comme en témoigne notamment la chevauchée sur la plage au début du tome 4).

La manière dont Rosinski campe ses personnages est aussi digne de bien des éloges : comme seuls les très grands artistes savent le faire, il parvient à donner vie et expressivité aussi bien aux hommes qu'aux femmes, sans que son trait soit affecté. S'inscrivant dans un style réaliste, il sait insuffler une sensualité brute ou subtile selon qu'il anime Thorgal, Aaricia, Ewing, Shaniah (cette lolita est une des créatures les plus troublantes du début de la série). Il est aussi à l'aise quand il s'agit d'illustrer des gnomes qu'un prince obèse, dont la présence et l'apparence étranges deviennent vite naturels dans l'histoire.

Jean Van Hamme déploie, de son côté, un savoir-faire indéniable pour développer des intrigues simples et efficaces, avec un zeste de fantastique plus ou moins prononcé selon sa fantaisie. Ce n'est pas un scénariste très original : ses récits sont composés de manière linéaire, souvent en plusieurs blocs bien marqués, s'appuyant sur des codes connus (les épreuves du tome 3, le héros accusé à tort et providentiellement sauvé par de vieilles connaissances dans le tome 4). Mais on ne s'ennuie pas en lisant ces histoires, menées sur un bon rythme, avec une pointe de mélodrame au terme du tome 4.

Là où Van Hamme est plus audacieux, c'est que, à la manière de Derib (dans Buddy Longway), il ne fige pas son couple de héros dans le temps (même si c'est un temps relativement décompressé) : le signe le plus évident, c'est qu'en quatre épisodes, on a assisté à l'union (la réunion même) de Thorgal et Aaricia, et à la grossesse de celle-ci (ce qui indique qu'une famille va se créer et forcément impacter les aventures). En relatant ces changements, Van Hamme induit le vieillissement de ses personnages et cela participe, au même titre que le style de dessin de Rosinski au réalisme de la série.

Thorgal change subtilement d'envergure en restant un divertissement bien huilé mais aussi une saga au potentiel rapidement affiché, grâce à son succès commercial certes, mais aussi au coup de main irréprochable de ses auteurs. C'est aussi par leurs efforts que la série se mue en feuilleton, avec cliffhanger à la clé : même si on se doute bien qu'Aaricia n'est pas morte, on a désormais hâte de savoir quand et comment Thorgal va la retrouver, avec à la clé, de nouvelles épreuves - supplices qui font le régal du lecteur autant que la douleur du héros.  

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