VALERIAN : LES OISEAUX DU MAÎTRE est le cinquième tome de la série (et le troisième du CYCLE SPATIAL), écrit par Pierre Christin (sous le pseudonyme de Linus) et dessiné par Jean-Claude Mézières, publié en 1973 par Dargaud.
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L'astronef de Valérian et Laureline s'écrase sur une planète sans nom. Les deux agents, sur un radeau, sont entraînés sur des flots sauvages aboutissant à une cascade dans laquelle ils tombent et se noient. Mais ils sont repêchés par un bateau d'esclaves qui transportent de la nourriture pour leur maître.
Des oiseaux hideux volent au-dessus d'eux, redoutés par les passagers car leur morsure rend fou. Valérian et Laureline sont mis à contribution et rencontrent ainsi Sül de la planète Manadil, seul à se révolter contre cette situation, jurant de tuer le tyran qui l'a asservi.
Les esclaves vivent dans des logements misérables et doivent de contenter des restes pour se nourrir. Lors des offrandes faîtes au maître, Sül passe à l'action, aussitôt sanctionné par une nuée d'oiseaux et jeté dans une fosse avec des loqueteux.
Valérian convainc Laureline, à bout, de joindre leurs forces aux esclaves rebelles pour trouver où se terre le maître et le neutraliser : un dur combat les attend contre cet être aux pouvoirs pyschiques redoutables.
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VALERIAN : SUR LES TERRES TRUQUEES est le septième tome de la série (et le 4ème du CYCLE SPATIAL), écrit par Pierre Christin et dessiné par Jean-Claude Mézières, publié en 1977 par Dargaud.
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Jadna, membre du Service Spatio-Temporel (STT), commande la nouvelle mission assignée à Laureline et Valérian, dans laquelle ce dernier a été cloné pour traquer un individu qui créé des terres contrefaites à partir de l'Histoire de la planète originale.
Les doubles de Valérian sont sacrifiés pour collecter sur chacun de ces mondes des informations permettant de localiser leur adversaire : ainsi participe-t-il à la guerre entre les anglais et les indiens, visite-t-il le quartier chinois de San Francisco et est-il mêlé à la première guerre mondiale - où Jadna décide d'envoyer tous les clones, réveillant même le vrai Valérian accidentellement !
Laureline croit alors son partenaire mort sur le champ de bataille mais il n'en est heureusement rien. Toutefois, cette frayeur la décide à abandonner Jadna à son entrevue avec le faiseur de terres truquées.
Après avoir fait leur rapport à Galaxity, le couple s'octroie un congé bien mérité dans le décor du Déjeuner des canotiers peint par Auguste Renoir en 1880.
Ces deux nouvelles aventures, bien que réalisées à quatre ans d'intervalles, sont un régal à lire tout en affichant, dans le cas de la deuxième, une porosité entre le Cycle Spatial et le Cycle Temporel de la série.
Les Oiseaux du Maître se distingue d'abord par sa magnifique couverture, une composition puissamment évocatrice, convoquant à la fois l'imagerie du western (l'attelage piloté par Sül et Valérian, avec aussi Laureline à bord, avec un décor rocheux et crépusculaire) et celle du fantastique (la nuée inquiétante des oiseaux du titre dominant le plan et soulignant le titre de l'histoire). Une superbe synthèse du contenu.
Pierre Christin s'attarde sur la géographie de cette planète sans nom où échouent ses héros, ce qui permet une immersion impressionnante du lecteur, qui s'identifie ainsi sans problème au calvaire que vivent Valérian et Laureline. Le scénariste en profite aussi pour détailler les conditions de vie éprouvantes dans cet environnement hostile pour une population bigarrée, résignée au dénuement et sous la menace des redoutables volatiles dont la morsure rend fou.
Le méchant de l'histoire n'apparaît que dans les dernières pages (page 39 sur un album qui en compte 48) et son aspect déjoue toutes les attentes : ce monstre n'a rien d'humain, ni dans l'aspect ni dans le comportement (plus ambigu qu'on ne peut le croire, même s'il reste abject).
Malgré une figuration importante, il y a peu de seconds rôles, hormis Sül, un autre égaré de l'espace mais qui veut échapper à ce destin et supprimer le maître. Christin s'en sert comme d'un vrai moteur narratif, motivant Valérian et surtout Laureline lorsqu'ils sont découragés. Le personnage a valeur de symbole, incarnant à lui seul la volonté de ne jamais abdiquer contre la tyrannie exercée par un individu contre une communauté.
C'est aussi un récit qui charge la dévotion accordée aux faux dieux avec ses rituels à base d'offrandes, de sacrifices, de soumission dictée par la peur contre une puissance inconnue. Autant de thèmes souvent présents dans l'oeuvre de Christin (comme en témoignent ses albums réalisés avec Enki Bilal). Mais cette odyssée est surtout un formidable page-turner, une aventure épique, aux ambiances mémorables.
Avec Sur les terres truquées, on s'interroge sur la présence du tome dans le Cycle Spatial lui-même : bien entendu, on y voyage de mondes en mondes à travers l'espace, ce qui suffirait d'ordinaire, mais Christin explore aussi plusieurs époques dans le cadre de l'intrigue, qui voit un mystérieux individu créer des planètes en reproduisant des périodes historiques de la Terre. A lui seul, cet album est un crossover, et d'ailleurs, à la fin, une note renvoie au tome 1 de la série, La cité des eaux mouvantes : toutefois, on peut tout comprendre sans l'avoir lu.
La narration est encore une fois un modèle d'efficacité, soutenu par un tempo rapide. Les premières pages désorientent le lecteur qui assiste même à la mort, violente, de Valérian... Avant de saisir qu'il s'agissait d'un de ses clones. L'histoire joue sur ce ressort dramatique à plusieurs reprises et on compatît pour Laureline qui assiste à la fin de son amant pour les besoins d'une mission.
Christin adjoint au couple vedette un troisième rôle, Jadna, autre agent du SST, qui commande cette fois-ci. Cette femme n'a rien de sympathique, elle agit sans faire de sentiment, jusqu'à ce que sa fascination pour son adversaire soit révélée : alors, le récit adopte un ton plus ludique, teinté de cruauté, et ce mélange d'humeurs suggère que le scénariste a voulu dénoncer le peu de scrupules qu'ont les officiers à envoyer leurs agents à la mort si c'est le prix à payer pour gagner.
Le clonage de Valérian ouvre aussi une réflexion intéressante à la fois sur les dérives scientifiques mais aussi l'existence du héros en soi : confronté à sa duplication, ce dernier et sa compagne mesurent à quel point leur métier est ingrat et dangereux en même temps que le lecteur estime à quel point il est attaché à Laureline et son partenaire - qu'aucune copie ne saurait désormais remplacer. Très habile.
Graphiquement, Jean-Claude Mézières affiche une forme étincelante : son trait s'affirme considérablement, ses personnages sont de mieux en mieux définis. Il est épatant de constater à quelle vitesse le style de l'artiste s'est posé et en même temps n'est pas encombré de références : c'est que Mézières s'est fait tout seul en créant des héros et des univers que la bande dessinée franco-belge n'avait pas établi. Valérian est un descendant des Naufragés du temps, et de Lone Sloane, sans que son dessinateur ne soit un héritier de Gillon ou Druillet.
En examinant les planches de ces albums, les décors sont aussi impressionnants, sinon plus que les personnages eux-mêmes, même si Mézières a un génie indéniable pour imaginer des aliens aux physiques les plus variés possibles (et encore, ces épisodes n'affichent pas le plus riche bestiaire de la série).
Dans le tome 5, une bonne quinzaine de pages est consacré à l'environnement de la planète, avec des plaines, des canyons, des fosses, des torrents, des rivières, des grottes, des villages troglodytes : c'est tout bonnement ahurissant, et surtout remarquable car ce qui équivaudrait à des lignes et des paragraphes entiers de descriptions dans un roman passe ici avec une fluidité imparable. On croit à ce monde parce qu'il est vraiment bien pensé en termes visuels, ce sont des paysages à la fois familiers (on pense à l'Afrique saharienne, à l'Andalousie, au Nevada, à l'Australie) et exotiques.
Dans le tome 7, Mézières se surpasse puisqu'il doit reconstituer des époques avec leur lot de costumes, d'accessoires, de bâtiments : Valérian, série futuriste, plonge dans le passé et les planches sont encore une fois époustouflantes (je pense en particulier à ce plan de la page 12, avec cette rue à la perspective détaillée dont s'inspire la couverture de l'album).
On notera enfin qu'un certain J. Goffard remplace Evelyne Tran-Lé aux couleurs pour Les oiseaux du maître, mais l'épisode n'en souffre pas (même si, chromatiquement, le résultat est un peu plus monotone).
Le huitième épisode poursuit le Cycle Spatial qui ne reprendra ensuite qu'au 14ème épisode.
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