mardi 1 septembre 2015

Critique 700 : FABLES, VOLUME 22 (# 150) - FAREWELL, de Bill Willingham et Mark Buckingham

Ma 700ème critique !
Et le 150ème et dernier épisode de Fables... 


FABLES, VOLUME 22 : FAREWELL est à la fois le 150ème épisode de la série et son dernier tome, écrit par Bill Willingham et dessiné par Mark Buckingham, publié en 2015 par DC Comics dans la collection Vertigo.
Cet ultime épisode est complété par 21 courts récits reprenant le principe de "la dernière histoire de" plusieurs personnages principaux et secondaires de la série, illustrés par différents artistes invités (dont un par Bill Willingham et un par Mark Buckingham).
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(Extrait de Fables #150.
Textes de Bill Willingham, dessins de Mark Buckingham.)

- Farewell (# 150.) (Ecrit par Bill Willingham, dessiné par Mark Buckingham.). Plusieurs années après la fin de la saga, Ambrose Wolf, un des fils de Bigby Wolf et Snow White, achève la rédaction de sa série d'ouvrages consacrée à "L'Histoire des Fables en Amérique". Il y décrit en douze chapitres la fin du Prince Brandish, le duel entre Cendrillon et Frau Totenkinder, le sort de Bigby Wolf, le rôle de Grimble le troll transformé en oiseau, et surtout l'issue de l'affrontement entre Snow White et sa soeur Rose Red.
(La couverture en quatre panneaux de l'album, 
peinte par Nimit Malavia, avec 177 personnages de la série.)

Nous y voilà, c'est la fin de Fables après 13 années de parution : pour l'occasion, son créateur, le scénariste Bill Willingham, a choisi un format hors normes puisque ce 22ème tome est constitué d'un seul épisode de 80 pages, auquel s'ajoute une vingtaine de récits courts dévoilant la dernière histoire de plusieurs personnages, principaux et secondaires, de la série, illustrés par autant d'artistes invités.

Mais est-ce vraiment fini ? Rien n'est définitif, on le sait bien, en bande dessinée : Bill Willingham et son dessinateur priviliégié, Mark Buckingham, ont exprimé dans plusieurs interviews qu'ils s'autorisaient à revenir à ce titre si une bonne idée pour une nouvelle histoire se présentait, certainement toutefois avec de nouveaux personnages, un nouveau cadre, mais toujours avec le projet de revisiter les contes et légendes.

Néanmoins, il est tout aussi affirmé que ce retour n'est pas imminent, d'ailleurs Willingham et Buckingham se sont déjà engagés dans de nouveaux projets, séparément depuis la sortie du n° 150 de Fables (Restoration chez Image Comics, avec Barry Kitson, pour le scénariste ; la reprise de Miracleman, écrite par Neil Gaiman, chez Marvel, pour le dessinateur).

Dans le texte rédigé en épilogue, Bill Willingham, en plus de revenir sur l'investissement créatif et personnel qu'a représenté Fables pour lui et tout l'équipe artistique et éditoriale depuis treize ans, remerciant ses collaborateurs et les lecteurs, insiste aussi beaucoup sur un point précis : ce qui donne et maintient la vie des histoires, c'est le fait que ceux qui les racontent et ceux qui les lisent y croient de manière concrète, c'est-à-dire en les suivant, en les achetant, en les partageant. Le jour où les auteurs ont le sentiment d'avoir fait le tour du sujet, il est préférable de passer à autre chose, et le conseil est transmis aux lecteurs qui doivent avoir la curiosité de découvrir les autres productions des auteurs (de cette série qui se termine mais aussi des autres auteurs d'autres séries).

Cette déclaration de Willingham m'a fait penser à celle de J. Michael Straczynski, lui-même inspiré par Neil Gaiman, sur la foi en un ou plusieurs dieux : si on croit en lui ou en eux, alors ils existent. Si on les oublie, ils disparaissent. Le même principe vaut pour les comics.
   
Pour ce qui concerne le contenu de ce dernier épisode/tome, le scénario propose la résolution des principales lignes narratives de la série dans le récit principal, et Willingham s'en acquitte de manière satisfaisante. On comprend qu'il a préparé cette conclusion de longue date (au moins depuis une dizaine d'épisodes) : la fin de Fabletown, le destin de plusieurs héros emblématiques et de méchants établis, étaient même évoqués dans le 134ème épisode, où, dans l'au-delà, Bigby et Boy Blue devisaient à ce sujet - leur propre mort faisant écho à celle, prochaine, de la série.

Le lecteur sera soulagé en voyant ce qu'il advient aussi bien du sinistre prince Brandish que du couple en grande difficulté formé par Bigby et Snow White (et leur progéniture). Il sera aussi spectaculairement surpris par l'explication entre Cendrillon et Frau Totenkinder : il s'agit moins pourtant de légitimer une vieille haine que de mettre en scène la confrontation entre deux femmes fidèles aux amies qui les ont depuis toujours soutenues.

Mais, évidemment, le coeur de l'intrigue réside dans l'issue de la guerre annoncée entre Red Rose et Snow White : la malédiction qui pèse sur leur famille va-t-elle s'accomplir et, dans la foulée, précipiter la chute finale de Fabletown ? Willingham réussit à clore cette affaire de manière ingénieuse sans frustrer le lecteur, en esquivant les clichés. On pouvait pourtant craindre un ultime bain de sang, car le scénariste n'a pas été tendre quand il a décidé auparavant d'expédier le cas de plusieurs protagonistes auxquels le lecteur s'était attaché. Mais, il est parvenu à résoudre ce problème intelligemment.
  
Visuellement, ce grand final permet d'admirer un tour de force de la part de Mark Buckingham : il met en images ces douze chapitres avec un découpage toujours aussi concis (quatre à huit planches maximum) et en privilégiant des cases verticales dominés par des angles en plongée, ce qui donne l'impression d'observer l'action comme si on était installé à un balcon au théâtre, dans des décors magnifiquement ouvragés.

L'encrage est partagé entre Steve Leiahola, Andrew Pepoy, Dan Green et José Marzan Jr, sans que le lecteur perçoive de différences sensibles. Cette unité esthétique est soulignée par la fantastique colorisation effectuée par Lee Loughridge qui a travaillé à l'aquarelle, avec une palette légèrement délavée, souvent dans des tonalités proches du sépia.

Le plaisir qu'on a à lire ces pages est augmentée aussi, indéniablement, par le fait qu'on sait que ce sont les dernières et qu'elles sont à la hauteur de l'évènement.

En montrant subtilement que sa saga ne pouvait pas se terminer autrement sans aboutir à une impasse ou sombrer dans des clichés, Bill Willingham a réussi sa sortie et mené à son terme une entreprise qui restera, quoi qu'il fasse ensuite, comme son grand oeuvre. Tout n'est pas parfait (l'histoire de la nouvelle Camelot ou les manoeuvres de Gepetto restent en plan), mais on ne peut qu'admettre la réussite de ce dernier acte.

Par ailleurs, Fables se révèle, comme le voulait son scénariste, comme une saga familiale, et une réflexion sur l'imaginaire et le fait de convertir les contes et légendes en arguments d'une série de bande dessinée : ce mélange entre un thème intimiste et une réflexion sur la littérature donne à cette entreprise un relief unique et contrasté, parfois un peu manichéen quand il s'agit de figurer les notions de bien et de mal, mais souvent aussi surprenant et d'une grande cohérence (épatante sur 150 épisodes).
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Pour compléter ce (déjà) copieux programme, Bill Willingham a tenu, comme dans le tome précédent, à dévoiler "la dernière histoire" de plusieurs autres personnages, et il a su éviter d'aligner des bouche-trous.

On peut déjà admirer la couverture à rabats réalisée par Nimit Malavia où figurent 177 (!) personnages de la série : à l'intérieur de l'album, leurs identités et leur position dans cette fresque sont indiquées, l'occasion de se rappeler par ricochets de nombreuses péripéties depuis le début de Fables.

Ce qui est advenu de Clara, la Reine des Neiges, Blossom, Pinocchio, Gepetto, Lake (la Dame du Lac), le Père Noël, Boy Blue, des 7 enfants de Bigby Wolf et Snow White, du Pays des Jouets, de Maddy et King Cole, du monstre de Frankenstein, de la Mort, de Snow White, Bigby et Rose Red, et de plusieurs autres personnages est raconté dans des épisodes qui vont de une à six pages, dessinés par David Petersen, Russ Braun, Mark Schultz, Lee Garbett, Joelle Jones, Gene Ha, Neal Adams, Andrew Pepoy, Steve Leialoha, Teddy Kristensen, Michael Allred, Aaron Alexovich, David Hahn, Lan Medina, Niko Henrichon, Terry et Rachel Dodson, Bill Willingham, Megan Levens, Bryan Talbot et Mark Buckingham (qui nous gratifie d'une planche avec quatre panneaux somptueuse). Le résultat est bien sûr inégal, mais le casting des guests a de l'allure (ne manque guère que Adam Hughes).

En bonus, on trouve donc une postface de 2 pages dont les 2 tiers sont rédigés par Bill Willingham et pour l'autre tiers par Mark Buckingham, 2 pages de scénario et la planche qui lui correspond dans l'album, quelques sketches de Buckingham et Leialoha, et 2 pages avec les portraits de tous ceux qui ont participé à ce 22ème tome.

Voilà donc, c'est fini. Quelle aventure ce fut, et je suis content d'avoir pu faire coïncider cet album avec ma 700ème critique - un chiffre symbolique aussi pour une autre grande aventure.

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