En attendant de trouver du temps pour conscrer une entrée à Murder Falcon, je me suis lancé dans la lecture du premier numéro de la nouvelle mini-série signée Daniel Warren Johnson. Do a Powerbomb ! comptera sept épisodes pour un récit complet, publié chez Image Comics. Et le titre ne ment pas : c'est une vraie bombe, percutante et étonnamment sensible.
Tokyo. Yua Steel Rose s'apprête à monter sur le ring pour défendre son titre de championne du monde de catch. Elle va affronter le redoutable et haïssable Cobrasu, résolu à remporter la ceinture.
Devant sa fille, Lona, et son oncle, Blood, mais en l'absence de son mari, Yua ne retient pas ses coups mais Cobrasun non plus. Le combat s'achève prématurèment lorsqu'il la blesse mortellement.
Dix ans passent. Lona tente de s'imposer sur le ring mais essuie échec sur échec. Elle vit dans l'ombre de sa mère et son oncle a promis à son père, avec qui elle est brouillée, de ne pas l'entraîner.
Mais en sortant du club de catch, ce soir-là, Lona est abordée apr un étrange personnage, Willard Necroton, qui se présente comme un nécromancien et a une offre à lui faire...
Dans la postface de ce ce premier numéro de Do a Powerbomb !, Daniel Warren Johnson explique comment lui est venue l'idée de cette histoire. Cela remonte à 2018 quand il racontait une fable de son invention à sa fille pour qu'elle s'endorme. Enthousiaste, elle lui demanda de la développer et elle y s'y employa entre deux autres projets.
Daniel Warren Johnson est un auteur vraiment à part. J'ai tendance à être sarcastique avec ceux que j'appelle les "rockstars" des comics actuels (des gars comme Donny Cates par exemple, qui croient réinventer la roue aussi bien dans leurs projets mainstream que indés). Mais Johnson est un rocker, un vrai : il joue de la guitare, et adore le metal au point d'en avoir fait le ressort de son chef d'oeuvre, Murder Falcon. Il adore aussi le catch et les histoires de famille.
Ces deux éléments sont au coeur de Do a Powerbomb !, qu'on peut résumer comme Faust au pays du wrestling. C'est aussi une intrigue sur la notion d'héritage, de transmission, d'émancipation, sur la relation mère-fille, sur la célébrité, la reconnaissance, la vengeance. C'est donc dense. Mais jamais lourdingue. Au contraire...
Car ce qui frappe, c'est l'énergie folle qui se dégage de cette lecture. L'écriture de Johnson fonce dans le tas, elle ne perd pas de temps en exposition, le lecteur est plongé dans le vif de l'action, les enjeux sont énormes, le ton volontiers mélodramatique. C'est normal car Johnson conçoit le ring comme une scène de théâtre et les matchs de catch comme une performance artistique.
Avec leurs masques et leurs costumes bariolés, leur manière de s'exprimer avec expressivité, la violence des coups échangés, les lutteurs sont des comédiens. Cela provoque le sourire et je me souviens, dans ma jeunesse, avoir été ébloui par les images en oir et blanc d'un catcheur surnommé "l'Ange Blanc" comme aujourd'hui je suis ébloui par Yua Steel Rose et Cobrasun. Pour autant je vous mentirai si je prétendais être un aficionado du catch moderne, devenu trop bruyant, trop farcesque, avec des adversaires au gabarit invraisemblable et des stars qui se reconvertissent dans le cinéma (comme Dwayne "the Rock" Johnson ou Dave Bautista).
Mais je reconnais toutefois que c'est un formidable terrain de jeu dramatique, qui convient à merveille à la BD et dont Johnson se sert avec virtuosité. On sent chez lui ce mélange d'admiration, de facination et de distanciation qui me paraît être parfait pour raconter une histoire susceptible de toucher aussi bien les fans de la discipline que ceux pour qui ça n'a a priori aucun intérêt. Très vite, la tragédie s'invite dans le récit avec la mort sur le ring de Yua Steel Rose suite à une prise maladroite de Cobrasun et l'auteur se refuse absolument à toute putasserie, préférant mettre en scène l'accablement de la fille et du mari de la lutteuse dans un couloir froid de l'hôpital.
Puis une ellipse de dix ans permet de retrouver Lona, la fille de Yua, en train d'essayer de succéder à son illustre mère, mais sans réussite. Ses adversaires la ménagent, par respect envers Yua, ou au contraire lui flanquent des raclées humiliantes, pour prouver qu'elles valent mieux que la défunte championne. Son oncle a promis à son père de ne pas l'entraîner car ce dernier redoute qu'il lui arrive malheur sur le ring. Mais le destin de Lona va basculer lorsqu'elle rencontre un tyoe étrange, capable de communiquer avec les morts, et assurant qu'il peut ressuciter Yua. Mais à quel prix ?
C'est la dimension faustienne de Do a Powerbomb ! puisqu'à l'évidence il va y avoir un contrat passé entre Lona et Willard Necroton, qui va engager la jeune fille à un sacrifice. Comment ne pas être accroché ? Surtout que les planches défilent, explisives.
Johnson est un rocker aussi parce que son style de dessin est bâti sur un ahurissant dynamisme. Lire ses comics, c'est se prendre un shot, ça dépote, ça déborde, c'est généreux, c'est exaltant. Chaque plan fourmille de détails, est composé selon un angle de vue qui maximise l'impact visuel. On assiste au choc des titans, tout est bigger than life. Mais jamais grotesque, jamais ridicule, et il faut une certaine dose de génie pour animer cela sans sombrer dans la farce, la parodie - ce qui différencie Johnson de certains de ses contemporains qui regardent un peu leur média de haut et se croit plus malin que le lecteur.
Quand, à la fin de l'épisode, le récit bascule dans le fantastique avec Willard Necroton, la transition se fait sans heurt car c'est comme une extension de ce domaine de la lutte : une autre facette de cette fantaisie cruelle et hors normes. Les couleurs de Mike Spicer, fidèle collaborateur de Johnson, font le reste, avec nuance et vigueur, toujours. C'est aussi une belle BD, même avec un trait gras, des physionomies moins flatteuses, moins sexualisées que dans les comics mainstream, mais plus réalistes aussi, plus crédibles surtout.
Tout Daniel Warren Johnson est là, dans cette trentaine de pages. On a à affaire à une personnalité peu commune pour un résultat lui-même peu commun. Mais ça fait du bien d'être bousculé ainsi !
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