Pour ce pénultième épisode du premier arc de Batman - Superman : World's Finest, on peut dire que Mark Waid et Dan Mora nous en mettent plein la vue... Jusqu'à nous laisser, pantelants, avec un cliffhanger de fou ! Cette série réunit tout ce qu'un fan de comics peut attendre et aimer : du grand spectacle, de la caractérisation parfaite, de l'action, de l'émotion. Une vraie leçon !
Attaqués par Green Lantern, Superman et Batman doivent composer avec Nezha qui manipule mentalement leur ami - et prend possession de l'esprit des humains pour reconquérir le monde.
Dans le passé, les Guerriers de Ji révèlent à Supergirl et Robin quels efforts ils ont consenti pour contenir Nezah. Retournant à notre époque, les deux héros sont séparés par une tempête temporelle.
Unissant leurs volontés, Batman et Superman réussissent à détacher l'anneau de puissance de la main de Green Lantern. Le résultat est aussi inattendu que spectaculaire.
Entraînant Nezha jusqu'à sa prison, retrouvée par la Doom Patrol, Batman et Superman reçoivent le renfort de Supergirl qui leur explique le prix à payer pour enfermer à nouveau leur ennemi...
Hier, en rédigeant la critique du dernier épisode de Nightwing, je me suis énervé sur la désinvolture de Tom Taylor et par extension sur la prétention d'auteurs actuels prétendant accomplir un travail de qualité. Sans vouloir transformer ce coup de sang en assaut dirigé contre une génération de scénaristes, j'aimerai aujourd'hui revenir sur ce qui fait, selon moi, qu'un comic-book brille pour de bonnes raisons.
Du travail. Car c'est bien de ça dont il s'agit et où on en revient toujours. Je n'ai jamais été du côté de ceux qui disaient "c'était mieux avant". Déjà, il faudrait situer cet "avant", ce qui n'est pas une mince affaire, et je doute qu'on parvienne à un consensus sur une date. Mais si je dois m'en tenir à ma modeste expérience de lecteur, alors voici ce que j'écrirai à ce sujet.
Il arrive depuis toujours que, pour qu'un auteur s'aguerrisse, ses éditeurs lui confient à ses débuts des boulots ingrats, sur des titres improbables. Il ne s'agit pas de bizutage, même si ça en a l'air, mais bien de tester les ressources d'un auteur, de voir ce qu'il peut faire avec un matériel qui n'a rien d'un produit au succès garanti.
C'est une forme de "méritocratie". Je ne connais pas de bons auteurs qui ne soient pas passés par là avant de transformer l'essai. Je crois même qu'on reconnait un bon auteur à sa faculté à convertir le plomb en or, de faire d'une "petite" série ou d'une série qui n'a rien d'un blockbuster en "grande" série ou en série à succès, plutôt qu'à prendre en main une série avec déjà beaucoup de fans acquis et à la maintenir en haut des ventes.
Maintenant, examinons le cas Mark Waid. Ce n'est vraiment pas un scénariste sorti de l'oeuf et devenu grand d'un coup. Même après avoir signé des tubes, il a enchaîné avec des projets invraisemblables. Mais sa capacité à rebondir, à s'emparer de séries pour en faire des hits a participé à sa légende et force le respect. Il a à chaque fois accompli cela avec humilité mais en ayant une vision claire de ce qu'il voulait faire. Que cela ait un hit ou miss, il a toujours écrit avec sincérité et modestie, mettant en avant les personnages comme ses partenaires avant lui-même.
Désormais, on pourrait dire que Waid n'a plus rien à prouver, c'est un vétéran, multi-récompensé, avec des runs d'anthologie derrière lui, qui vient de revenir chez DC comme on boucle une boucle, et anime Batman - Superman : World's Finest, une série qui se déroule dans le passé (histoire de ne pas être pollué par les autres séries actuelles), et qui, en plus, a décroché une nouvelle fois le meilleur dessinateur sur le marché. Une retraite dorée ?
Mais comment ne pas s'incliner devant la science de cet auteur ? La lecture de World's Finest #4 est une nouvelle preuve que pour emballer le lecteur, il n'y a pas besoin de réinventer les comics, il "suffit" de raconter une bonne histoire, en manipulant les bons ingrédients : de l'action, du rythme, de la caractérisation, des coups de théâtre, de l'émotion... Il y a tout ça dans cet épisode - et dans chaque épisode avant celui-ci. Waid n'en profite pas : on pourrait le penser - avec Batman et Superman, tout à l'air facile, comment se planter ? - mais ce serait faux. Plus on anime des personnages iconiques, plus il est aisé de se planter, car il faut encore surprendre, toujours surprendre.
A cet égard, les efforts déployés par les deux héros pour désarmer Green Lantern, neutraliser leurs amis, maîtriser Nezha, jusqu'à ce qu'ils apprennent le prix à payer pour que ce dernier ne soit plus une menace, tout cela donc montre bien à quel point, quand le récit est bien dosé, on peut encore vibrer avec ces champions. Non pas en cherchant à les déconstruire, mais au contraire en jouant sur ce qui les définit, sur ce qui nous est familier. Soit le courage, l'abnégation, la générosité, la complicité, l'efficacité. Waid a souvent agi ainsi : il ne réécrit pas ses personnages mais il les oppose à des menaces inédites, inattendues, et c'est ce ressort qui fait "tilt".
Cette leçon, c'est celle qu'applique aussi, à sa manière, Dan Mora. Son style peut évoquer ses prédécesseurs - par exemple, Jim Lee avec ses traits aiguisés, pointus, anguleux. Mais comme tout bon artiste, il a su faire évoluer ce qui l'avait nourri pour produire un dessin qui n'appartient qu'à lui et surtout qui est meilleur que ce qui l'a inspiré.
Je ne suis pas fan de Jim Lee, mais pourtant j'adore Mora parce qu'il a ce que n'a pas Lee à mes yeux, un dynamisme, une souplesse. Il pourrait comme Lee composer des planches avec des personnages imposants comme des statues, aussi raides aussi que des sculptures, avec des hachures pour texturer et ajouter du volume. Mais Mora est plus malin que ça.
Car Mora emprunte aussi à une école plus vive, plus narrative, plresque cartoon, qui va jusqu'à Immonen ou Samnee. IL dégage les hachures, refuse la statuaire, et privilégie le mouvement, la narration, les enchaînements. Ce qui le préoccupe, ce n'est pas de flatter les héros ni de racoler le lecteur, c'est de raconter l'histoire en images. Pour cela, il multiplie les angles de vue, les valeurs de plans, toujours pour plus de punch.
Ce n'est pas gratuit : si les héros sont bousculés, le lecteur doit l'être aussi, de telle sorte qu'il doute (même si c'est un doute raisonnable, vu la détermination et la puissance des héros). La représentation du déchaînement des pouvoirs joue un rôle décisif dans ce processus. Il ne faut pas avoir peur d'y aller et Mora le sait. Nezha est un méchant qui, bien qu'inédit, est crédible dans l'effroi qu'il suscite. Green Lantern, sous son emprise, est en capacité de terrasser Superman. On vibre en lisant ces pages alors que, normalement, on devrait être blasé vu notre familiarité avec Superman et Batman. C'est ça, le talent.
Et il ne faut pas oublier que Mora réussit cela en dessinant 40 pages par mois (cette série et Once & Future chez Boom ! Studios, écrite apr Kieron Gillen), + des couvertures (variantes et régulières). C'est une force de travail impressionnante. Et là aussi, quand on juge un artiste, c'est à prendre en compte. Ceux qui dessinent beaucoup, dessinent facilement (ou du moins, nuance, donnent l'impression de facilité), en tout cas ils maîtrisent leur art. C'est la physicalité chère à Moebius qui comparaît le dessin au sport, à la répétition des efforts pour forger le corps, fluidifier le geste, améliorer le résultat, augmenter la production. On ne peut aps attendre l'inspiration, qu'on écrive ou qu'on dessine : il faut la chasseer et l'attraper entière. C'est aussi une école d'humilité et de discipline. Après, vous pouvez dessiner ou écrire vite ou lentement, mais jamais à moitié. Mora ne dessine pas à moitié.
Et voilà ce qui fait un épisode haletant, plein comme un oeuf - pas vingt pages à nettoyer une statue dans un parc ou à foutre la honte à des flics ripous et bêtes. Voilà pourquoi il faut lire World's Finest..
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