Jeff Lemire est très fort. Avec Robin & Batman, il prouve encore une fois qu'il est un narrateur exceptionnel, qui s'approprie n'importe quel personnage et vous le raconte comme personne avant lui. Et pourtant, tout est familier, tout semble facile pour cet auteur. Dustin Nguyen s'entend particulièrement bien avec lui grâce à leur longue complicité passée. C'est un régal à lire.
Harcelé à l'école, Dick Grayson est rappelé à l'ordre par le directeur, mais Alfred le défend. De retour à la Batcave, Dick enfile le costume de Robin et Batman l'emmène dans le satellite de la Justice League. Le gamin est présenté à l'équipe et Superman l'accueille comme un membre à part entière.
Dans une salle voisine, les sidekicks de certains des héros attendent et font la connaissance du nouveau venu. Pour tromper leur ennui, Robin leur donne la solution pour échapper à la vigilance de Hawkman et aller règler leurs comptes à quelques vilains sur Terre pendant que la Ligue est occupée ailleurs.
Une fois leurs exploits accomplis sans s'être faits remarquer, les jeunes héros rentrent au satellite. Robin est accepté par la bande, qui le remercie de leur avoir procuré cette échappatoire. Wonder Girl salue le leadership du protégé de Batman.
Batman et Robin reviennent à la Batcave. Robin fait son rapport : il a étudié les forces et faiblesses de Wonder Girl, Aqualad, Kid Flash et Speedy. Son mentor le félicite mais Alfred, furieux, reproche à Batman de s'être servi du garçon pour ses propres intérêts au lieu de lui faire un cadeau d'anniversaire.
Pendant ce temps, Killer Croc rencontre le Calculateur à qui il a demandé de faire des recherches sur le fils des Grayson. Il apprend qu'il a été adopté et qu'il suit des cours à l'Académie de Gotham, dans les parages de laquelle il va roder...
Ce que j'apprécie le plus chez Jeff Lemire, c'est que non seulement il sait raconter une histoire, avec efficacité et subtilité, mais il y ajoute une couche, celle du commentaire. Ce n'est donc jamais une simple lecture, mais un contenu riche et toujours fluide dans lequel on se plonge.
Ainsi lorsqu'il entreprend de raconter le dynamic duo du point de vue de Robin, encore enfant, on peut être certain que Lemire ne va pas se contenter d'un simple flashback. Il va explorer justement l'enfance, l'éducation, la filiation et les secrets de famille. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il a trouvé dans la relation entre Batman et Robin un matériau qui l'a inspiré.
Ce deuxième épisode sur les trois que comptera la mini-série commence par une scène de harcèlement scolaire dont Dick Grayson est victime. Le gamin réplique, violemment, et il passe alors, aux yeux du directeur de son école, pour un élève difficile alors que nous avons vu qu'il subissait le comportement des autres. Cela sollicite notre empathie et elle est récompensée via le personnage d'Alfred Pennyworth, qui prend fait et cause pour Dick en rabrouant le directeur et en réconfortant l'enfant.
Mais, et c'est là où c'est formidablement bien mené, Lemire nous "endort" avec ce prologue. Car l'action a lieu le jour de l'anniversaire de Dick. Et Batman, après s'être excusé d'avoir lu le journal intime de son protégé, lui a préparé un cadeau : une visite dans la base de la Justice League, dans leur satellite en orbite autour de la Terre.
Le lecteur n'a aucun mal, même s'il est familier avec ce décor célèbre, à partager l'enthousiasme de Robin lorsqu'il arrive, par téléportation, dans la salle des trophées, puis voit arriver Hawkman et Hawkgirl, puis, surtout, quand il est présenté aux plus grands héros de la Terre. Superman tend la main au gosse, ébahi, et plus encore car le héros ne le considère pas avec condescendance, mais avec bienveillance.
Lemire introduit ensuite ce qui deviendra la première formation des Teen Titans telle que créée dans les années 60. A cette époque, il s'agissait d'un groupe de sidekicks, avec Wonder Girl (protégée de Wonder Woman), Aqualad (partenaire de Aquaman), Kid Flash (supporter de Flash) et Speedy (compagnon de Green Arrow). En quelques lignes, il caractérise magistralement cette petite bande : Roy Harper sarcastique, Garth blasé, Wally West excité, et Donna Troy amicale. La dynamique fonctionne instantanément parce que Lemire joue à la fois sur la connaissance des fans de la première heure tout en veillant à ne pas oublier les moins DCultivés.
S'ensuit une séquence où Robin entraîne ses camarades dans une série d'actions rondement menée, où la complicité entre les cinq jeunes héros est déjà parfaite. Puis tout ce beau monde rentre, ni vu ni connu. Robin est remercié par les autres, heureux d'avoir pu s'exercer sans la tutelle de leurs mentors et appréciant la débrouillardise et le sens du leadership de Dick. Retour à la Batcave.
Et là, à nouveau, Lemire nous cueille avec une scène terrible : Batman s'est servi depuis le début de Robin pour connaître les protégés de ses acolytes. Le gamin dresse un rapport implacable sur leurs forces et faiblesses. Alfred enrage et nous avec lui : Batman est un enfoiré paranoïaque. Non seulement, il ne passe rien à Dick mais sous couvert de lui faire un cadeau, il l'a manipulé. Le gosse n'a même pas conscience d'avoir été piégé, trop heureux d'avoir rencontré ses idoles et d'autres enfants de son âge. C'est atroce mais tellement bien écrit qu'on en a le coeur brisé. Avant de retrouver Killer Croc, enquêtant sur Dick et ses parents : l'épisode se conclut sur cette note, intrigante à souhait.
Dustin Nguyen illustre tout ceci avec ses magnifiques aquarelles. S'il est parfois (très) léger sur les décors, il sait situer une scène avec de larges cases voire une page entière, en en mettant plein la vue sans qu'on ait l'impression que ce soit un effort. Ensuite, il peut déployer la scène en se concentrant sur les personnages et on oublie alors (presque) qu'ils parlent dans des vignettes dont les arrière-plans sont vierges.
Car Nguyen est un maître en la matière quand il s'agit de dessiner des enfants et cet épisode lui donne l'occasion de le prouver. Il réussit parfaitement à rendre crédible l'âge des protagonistes, en accord avec leurs attitudes, leurs comportements. Parce qu'il représente sans défaut le langage corporel, on lit immédiatement, avant même le texte, qui est qui, ce qui le résume. L'expressivité des personnages est traduite simplement, de manière épurée, mais irréprochable, avec des moues, des mouvements, et le découpage est toujours dosé, avec des valeurs de plans impeccables.
Lors du passage où les futurs Teen Titans s'éclatent (en éclatant quelques vilains), Nguyen opte pour des doubles pages dont les compositions sont lisibles et toniques. Il synthétise la narration en une image sur deux pages pour un rendu spectaculaire et très esthétique, toujours grâce à sa maîtrise de la couleur directe.
Par contraste, lorsque Robin fait son rapport, Nguyen établit un gaufrier de quatre cases avec le personnage en gros plan, de 3/4 face, modulant légèrement l'expression de son visage durant l'exposé. C'est très fin et très sommaire, mais l'impact est maximal. Les dernières pages avec Killer Croc et le Calculateur sont dans un registre graphique plus sombre et inquiétant, bouclant la boucle avec le prologue brutal.
Il n'y a vraiment rien à redire, c'est parfait. Les deux auteurs sont sur la même longueur d'ondes et savent se mettre en valeur en jouant sur les forces de l'autre. L'histoire en sort grandie, plus intense, plus belle, plus cruelle et prenante. Jeff Lemire et Dustin Nguyen donnent une leçon mais sans professoralisme. Chapeau !
1 commentaire:
"Batman est un enfoiré paranoïaque" :) :D XD
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