Ce dix-huitième numéro de Fire Power était annoncé comme un turning point pour la série par ses auteurs, une sorte de climax à mi-parcours dans sa saison 2. Robert Kirkman et Chris Samnee n'ont pas menti : c'est spectaculaire. Et en même temps... Ce n'est que ça ! Des limites de la surenchère. Même si la suite devient, du coup, vraiment imprévisible.
Rejoints par Reggie, Haley et Doug aux portes du Temple du Poing de Feu, Owen et Kellie les entraînent dans leur fuite alors que les serpents ont pris possession de tout le monde et que l'édifice s'effondre derrière eux.
Wei Lun affronte Owen et le corrige. Mais Haley se saisit du serpent dans le cou du vieux mentor et le carbonise, Libéré de l'emprise du serpent, Wei Lun tente de convaincre Owen qu'avec le retour de Maître Shaw, la suite s'annonce terrible.
Chen Zul, sa fille Ling Zan et les assassins du serpent encerclent Owen et sa famille. Opportunèment, une avalanche se déclenche et disperse les deux groupes. Owen et les siens trouvent refuge, grâce à Wei Lun, dans une crevasse enneigée.
Mais, alors que les assassins de la Griffe du Dragon continuent de les chercher, Wei Lun demande à Owen de s'approcher de l'ouverture de la crevasse pour constater l'inimaginable...
Si vous lisez cette critique et donc le résumé illustré de l'épisode, vous avez donc pris la décision de découvrir le cliffhanger grandiloquent de Fire Power #18. Et donc, vous savez à présent que, oui, le dragon terré dans les profondeurs du Temple du Poing de Feu existe bel et bien et que Maître Shaw, qui le chevauche, dispose désormais d'une arme terrifiante pour étendre son empire.
De ce point de vue, cet épisode est une réussite : Robert Kirkman teasait depuis un moment le pivot que représenterait ce numéro dans la "saison" 2 de la série et il n'a pas menti. C'est spectaculaire et il n'y a pas de retour possible. Fire Power s'engage à présent dans une saga d'envergure, peut-être pas forcément très longue mais en tout cas sur une pente vertigineuse.
La destruction du Temple, l'emprise du Présage du Serpent, la domination sans antécédent de Maître Shaw et de ses complices, renversent complètement et inéluctablement la table. C'est un vrai choix scénaristique car on sort des histoires de clans, du simple kung fu et des boules de feu. Owen Johnson est un héros vraiment dépassé par les événements et nul ne peut dire comment, et même si il pourra sauver la situation. C'est en tout cas très mal engagé.
Déjà, le mois dernier, le retour de Maître Shaw avait été un choc dans la mesure où voir le fondateur du Temple du Poing de Feu prendre vie constituait un rebondissement à la fois fantaisiste et sinistre, dans un même mouvement. La série embrassait une direction radical dans l'incarnation d'un méchant grandiloquent et surpuissant. Mais on franchit un nouveau palier avec la confirmation que le dragon légendaire caché dans les entrailles du Temple existe vraiment et obéit à Shaw.
C'est donc tellement énorme, disproportionné que Owen Johnson et compagnie semblent soudain bien petits, dérisoires, ridicules face à cette créature et son cavalier. Il n'est plus question du tout de simples serpents, en soi déjà redoutables, qui asservissent des maîtres du kung fu, mais bien de conquête du monde. L'échelle du récit est bouleversée.
Mais ce qui explose le récit fait aussi sa limite. Car en tant que tel, cet épisode ne raconte pas grand-chose : c'est une succession de pages explosives, fracassantes, terrifiantes et grotesques. Le spectacle atteint ses limites, on ne voit guère que ce qui pourrait arriver de pire. Et on ne voit pas davantage comment Kirkman va pouvoir faire espérer le lecteur que Owen puisse sauver la partie. Le rapport de force est tellement déséquilibré que c'est trop, trop soudain, trop gros. Une surenchère risquée.
Chris Samnee se plie à l'exercice avec discipline et maîtrise. Il y a là plus de splash-pages et de doubles pages dans un seul épisode que dans toute la série depuis son début. Et on sent bien que Samnee tire la langue. Il est fatigué, son trait est moins beau, ses finitions bâclées, son découpage à bout de souffle. D'une certaine manière, expédier ces scènes avec des pleines pages, des doubles pages, ou même des découpages plus classiques mais avec un nombre de cases réduites, est son seul moyen de ne pas, lui aussi, exploser en plein vol.
En cumulant deux séries mensuelles, Samnee s'est astreint à un rythme de production dément, surtout que ni Kirkman ni lui-même et sa femme (avec l'écriture de Jonna and the Unpossible Monsters) ne ménagent Samnee le dessinateur. Et il est clair que Samnee n'est pas Bryan Hitch, pour qui l'exercice correspondant à mettre en images un tel numéro est routinier. Quelque part, on sent l'artiste emprunté tant ça ne lui ressemble pas.
Samnee n'est pas seulement un dessinateur brillant, c'est un vrai narrateur et Fire Power l'a confirmé à plusieurs reprises quand Kirkman lui a laissé la conduite du récit, avec des épisodes finement ciselés, presque insolents de brio visuel et technique. Aligner des splash et des doubles pages, c'est réduire Samnee à une narration proche de zéro, du tape-à-l'oeil, de l'esbroufe, lui qui sait être si subtil, si pointu.
Le problème, ce n'est pas tant que ça se lit très vite et qu'on referme le fascicule avec l'impression d'avoir plus picoré que dévoré, c'est plutôt que scénaristiquement et visuellement, ça ne raconte rien ou pas grand-chose. 20 pages et quelques pour (enfin) montrer ce dragon, c'est finalement pas grand-chose, c'est pas consistant. On est choqué par l'apparition de la bête, par ailleurs sublimement designé par Samnee, mais comme on s'y attendait, on est aussi frustré, et même déçu. Fire Power est une série coûtumière du fait : déjà, la fin de la première "saison", avec son affrontement dantesque entre le Temple du Poing de Feu et le Clan de la Terre Ecorchée avait ce goût de l'épate mais aussi un son creux.
Je ne veux pas être trop sévère toutefois. Car Kirkman et Samnee engagent donc Fire Power dans une direction imprévisible. Personne ne peut savoir où ça va aller, ce que ça va raconter. C'est un turning point digne de ce nom.
Ce qui est certain en revanche, c'est qu'on ne le saura que en... Avril 2022 ! Car, comme on pouvait s'y attendre, vu les échanges récents entre Kirkman et Samnee en fin d'épisode, la série va faire une pause. Sans doute pour permettre à Samnee de souffler et de dessiner tranquillou quelques épisodes d'avance. Mais aussi, à en croire le scénariste, pour tester le lecteur, le laisser sur un coup d'éclat et lui donner l'envie de revenir de plus belle. A dans quatre mois donc.
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