Et je finis ma semaine de lecture/critique avec le premier numéro de One-Star Squadron, une série limitée en six épisodes, écrite par Mark Russell et dessinée par Steve Lieber. Le titre ne laisse aucun doute sur les intentions du projet : on va rigoler. Mais pas que en fait, car avec ses super-héros de seconde zone, dans une situation assez pathétique, ce comic-book réfléchit sur le capitalisme et l'existence de personnages oubliés par les scénaristes et les editors.
HEROZ4U est une application grâce à laquelle n'importe qui peut louer les services d'un groupe de super-héros. Tous ensemble ou seulement l'un d'eux peuvent aussi bien faire face à une menace d'envergure qu'animer une fête de famille. Red Tornado s'occupe d'une des agences de cette société.
Il doit composer avec la mauvaise humeur d'un de ses employés, Minute Man, qui se plaint de n'avoir jamais une mission intéressante. En consultant les notes laissées par ses clients, Red Tornado comprend son impopularité. Minute Man l'interroge : à quand remonte la dernière fois où il s'est senti un héros ?
Red Tornado se remémore ses heures de gloire au sein de la Justice League. Puis il sort de sa rêverie quand Power Girl l'appelle car un homme amnésique rôde près de chez lui. Pendant que son épouse s'occupe du vagabond, Red Tornado l'identifie comme l'ex-justicier urbain Gangbuster.
A l'agence, Power Girl remplace Red Tornado et motive ses troupes en leur recommandant le lecture d'un ouvrage écrit par Maxwell Lord. Red Tornado conduit Gangbuster à sa dernière adresse connue et tombe sur une femme qui jure ne pas le connaître...
Mark Russell est un scénariste qui, sans faire de bruit, commence à se faire un nom. Il a débuté en 2015 avec le reboot de Prez, sur le destin d'une adolescente qui devient présidente des Etats-Unis. Puis il anime le revamp des Flintstones et de Exit, Stage Left ! The Snagglepuss Chronicles d'après les personnages des dessins animés de Hanna-Barbera, en 2018. L'année suivante, au sein du label Wonder Comics de Brian Michael Bendis, il rédige les aventures des Wonder Twins. Mais c'est surtout Second Coming qui va attirer l'attention sur son travail : DC refusera, par peur des réactions des ligues catholiques, de publier cette histoire sur la cohabitation entre un super-héros et Jésus-Christ pour apprendre à ce dernier comment bien utiliser ses pouvoirs - le titre paraîtra chez Ahoy Comics.
A chaque fois, donc, Russell a le chic pour trouver un angle original, voire provocant, à ses histoires. Le résultat est d'autant plus frappant que son écriture est simple et efficace, jamais racoleuse. Alors quand DC le rappelle pour lancer une mini-série au titre parodique - One-Star Squadron renvoie au All-Star Squadron, émanation de la Justice Society of America, de Roy Thomas - , on se demande ce qu'il va en faire.
Imaginez donc une application qui permet à n'importe qui de louer un ou plusieurs super-héros de seconde zone pour n'importe quelle tâche, qu'il s'agisse d'une menace d'envergure ou d'une simple animation pour une fête de famille. Red Tornado, jadis membre éminent de la Justice League, dirige une des agences utilisant cette appli et Power Girl est sa partenaire. Mais celle-ci aimerait bien être la boss de la boîte et ne va pas hésiter à profiter à dire du mal de Red Tornado dans son dos au conseil d'administration pour arriver à ses fins. Pendant ce temps, Red Tornado doit s'occuper d'un ancien justicier amnésique...
Ne montez pas sur vos grands chevaux si vous êtes fan de Red Tornado et/ou Power Girl en déplorant le traitement qui leur est réservés. Peu de chances que One-Star Squadron intègre la continuité DC, même si, en vérité, plus personne ne semble inspiré par ces deux personnages depuis belle lurette (ce qui est bien dommage). En vérité, Mark Russell s'en sert comme d'un véhicule pour réfléchir à deux situations.
La première, c'est le statut même de ces personnages. DC comme Marvel a un catalogue très fourni de héros et finalement seule une petite partie est activement exploitée. Les vedettes incontournables sont ceux dont les mensuels se vendent en grosse quantité et qui cumulent aventures en solo et au sein d'une équipe attractive. Ensuite, il y a des personnages plus récents, parfois déclinés de stars anciennes mais qui séduisent de nouveaux lecteurs justement parce qu'ils ne sont pas lestés d'un passé trop important. Et enfin, il y a tous les autres, les seconds couteaux, les has-been, les héros-cultes mais plus dans le vent, des créatures oubliées dont plus personne ne sait quoi faire ou dont le potentiel a été épuisé ou dont les équipes n'ont plus de titres réguliers. C'est le cas de Red Tornado, dont la dernière période faste remonte à la Justice League of America de la période Brad Meltzer en... 2006 ! Et Power Girl aux épisodes de Justice Society of America par Geoff Johns en... 2007 !
Mais les editors et les auteurs ne sont pas seuls responsables du sort piteux de ces personnages : Brian Azzarello, dans Dr. Thirteen, pointait aussi le doigt sur les fans eux-mêmes qui, en n'achetant pas les comics, condamnaient leurs héros. Que se passeraient-ils alors si, comme dans la vraie vie, des anciens super-héros se retrouvaient sans boulot, sans domicile fixe ? Certainement qu'ils finiraient comme Red Tornado et Power Girl par accepter un job un peu pathétique comme celui qu'ils occupent dans One-Star Squadron tout en se demandant à quand remonte la dernière fois où ils se sont sentis utiles et héroïques et comment ils pourraient éventuellement le redevenir ?
La seconde situation explorée ici, c'est le rapport au capitalisme. Mark Russell ne va pas, rassurez-vous, vous assommer avec une analyse sur les ravages de l'überisation de la société. Mais il appuie juste là où il faut pour dénoncer, subtilement, les lois du marché appliquées au super-héroïsme avec des personnages contraints pour exister de bosser pour une entreprise qui leur fournit des tâches humiliantes, indignes des services qu'ils ont rendus à la communauté. Un peu comme si un pompier qui avait sauvé plusieurs civils d'un incendie était rétrogradé sans autre raison que des coupes budgétaires, un flic intègre et efficace relégué à faire la circulation ou un médecin obligé de changer de service parce que le sien ferme.
Sur le plan de l'intrigue, on suit d'un côté le cas de Gangbuster que sa femme jure ne pas connaître et, d'un autre côté, les manigances de Power Girl pour prendre le poste de Red Tornado. C'est plus ou moins passionnant pour le moment mais assez accrocheur, surtout quand, au détour d'un dialogue, le nom de cette canaille de Maxwell Lord est cité...
Steve Lieber dessine tout cela avec une forme de bonhomie parfaite pour le propos. Son style est réaliste mais simple, sans effort apparent. Et c'est justement cela qui est malin parce qu'en illustrant l'histoire ainsi, lui aussi nous endort un peu, nous fait baisser la garde. Au début, on ricane un peu, puis progressivement, on est déconcerté par les comportements des uns et des autres, on est aussi saisi par la mélancolie qui sourd sous la comédie.
Lieber découpe l'épisode très sagement, et soigne l'expressivité des personnages, par lesquels l'essentiel passe. Ici, pas de grand spectacle, de grandes batailles, d'explosions, d'effusions. L'artiste nous prend par la main et nous entraîne, doucement, sur la pente, suscitant la sympathie du lecteur pour ces héros losers et leur drôle de métier. On est touché et on ne se moque plus d'eux.
One-Star Squadron mérite donc bien plus qu'une étoile.
(Et pour la peine, Steve Pugh a signé une superbe variant cover : )
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