J'avais beaucoup aimé le premier épisode de Dark Knights of Steel, le nouveau "Elseworlds" de Tom Taylor, qui déplaçait les super-héros au Moyen-Âge (ce que certains critiques ont résumé en une version de Game of Thrones super-héroïque). Ce deuxième chapitre ne déçoit pas et réserve encore de belles surprises, introduit de nouveaux personnages. Yasmine Putri illustre cela avec talent, truffant ses cases d'easter eggs savoureux.
Bruce a capturé, en le mutilant, l'assassin de Jor-El, l'archer Oliver à la solde de l'Homme Vert. Kal-El, ignorant que Bruce est son demi-frère, l'écarte pour aller interroger l'archer tandis que Harley tente de réconforter Bruce qu'elle voit tourmenté sans savoir pourquoi.
John Constantine, averti par l'Homme Vert de la situation, informe le roi Jefferson de la mort de Jor-El et de l'emprisonnement d'Oliver, puis s'interroge sur la pertinence de la prophétie dont il a été la voix et craint que la guerre qui s'annonce avec les El ne soit perdue par Jefferson.
Lois Lane arrive sur l'île des Amazones, accueillie par la reine Hippolyte qu'elle met au courant du décès de Jor-El. Puis elle va parler à la fille de dernier, Zala, qui s'entraîne avec Diana, son amante. Bouleversée, Zala s'envole pour retrouver sa famille.
Il y a un vrai savoir-faire chez DC Comics à la fois pour ces récits alternatifs, hors-continuité, et pour le format de la mini-série. Sans doute parce que l'éditeur a compris qu'il fallait, une fois le projet d'un auteur validé, lui faire vraiment confiance. Et, dans ce domaine, deux noms se distinguent : celui de Tom King (Mister Miracle, Strange Adventures) et celui de Tom Taylor (DCeased, Injustice).
Taylor, avec Dark Knights of Steel, fort de ses succès précédents, a les coudées franches pour à la fois s'amuser avec les jouets de son éditeur (qui, pas bête, vient de lui faire signer un contrat d'exclusivité) et creuser les motifs de son oeuvre.
La comparaison que certains critiques ont faite entre Dark Knights of Steel et Game of Thrones n'est pas idiote, mais disons qu'elle est superficielle. Effectivement, on retrouve plusieurs maisons médiévales, une bonne dose de magie, une guerre qui couve, et des familles puissantes qui cherchent à évincer leurs voisines. Mais (en tout cas jusqu'à présent), Tom Taylor n'explore pas la dimension sexuelle (parfois brutale) de la série télé, lui subsituant le folklore super-héroïque.
Et le scénariste fait preuve à la fois d'inventivité et de logique. Il racontait récemment que lorsque l'idée de cette saga lui est venue, il passait la soirée avec Donny Cates et, en échangeant avec lui, de nouvelles pistes s'ouvraient à lui jusqu'à ce qu'il trouve un twist redéfinissant complétement les liens entre Kal-El et Bruce Wayne (comme on l'a appris à la fin du précédent épisode, ils sont donc demi-frères). Une trouvaille qui a rendu Cates ahuri, presque envieux de ne jamais y avoir pensé avant.
Ce chapitre joue donc sur ce secret et le quiproquo qu'il engendre puisque Jor-El vient d'être assassiné et que ni Kal ni Bruce ne savent qu'ils avaient le même père. Pire : lorsqu'il est question pour Kal d'interroger l'archer Oliver qui a tué son père ou d'assister sa mère dans la décision de riposter contre le roi Jefferson (commanditaire de l'assassinat), Bruce est écarté sans ménagement des débats car il ne fait pas partie de la famille.
Si Taylor taît cette partie de l'intrigue à ses protagonistes, il se fait plus direct sur d'autres points comme le fait que Constantine, qui, le premier, a parlé d'une prophétie concernant la menace que représentaient les El, doute à présent de son bien-fondé et craint qu'une guerre entre le roi Jefferson et ses rivaux n'aboutisse à une tragédie. Idem quand il introduit dans le récit Diana et Zala (la soeur de Kal) et qu'ils en fait des amantes assumées : de ce point de vue, ce que certains interpréteront comme de l'audace ou de la provocation est, à mon sens, une lecture plus pertinente qu'il n'y paraît puisque les amazones étaient souvent lesbiennes ou bisexuelles - autrement dit, si dans la continuité, des scénaristes, au lieu de lier sans cesse Wonder Woman à Steve Trevor ou Superman, ils faisaient d'elle une femme qui aime une autre femme (super-héroïne ou pas), ça n'aurait rien d'incongru (au contraire).
Visuellement, aussi, la série joue avec le lecteur et Yasmine Putri se montre très habile pour cela. Par exemple, quand Bruce, suivi de Harley Quinn, passe devant plusieurs cellules voisines de celles où a été incarcéré l'archer Oliver, on peut reconnaître des personnages comme Blue Devil ou le détective Chimp (anciens de Shadowpact), mais aussi des membres de la Suicide Squad (comme Kiing Shark), ce qui est savoureux vis-à-vis de Harley.
La dessinatrice continue aussi de mettre en scène avec subtilité l'Homme Vert sans trop en montrer. On a tous deviné qu'il s'agissait de la version médiévale et magique de Green Lantern, mais quel Green Lantern ? Hal Jordan (en mode Parallax) ? John Stewart . Guy Gardner ? Le msytère demeure tout comme son mobile pour servir les noirs desseins du Black Lightning de cette époque.
Enfin, choisir Amanda Waller en chef des armées de la maison El est une autre brillante idée, d'autant que la caractérisation suit (elle veut aller à la guerre exactement comme la chef de la Suicide Squad dans la continuité).
Les planches de Putri sont de toute beauté, elle réalise de superbes compositions, un talent hérité de son travail de cover-artist où l'image doit raconter harmonieusement. Elle ne surcharge pas ses arrière-plans, pour laisser de la place au coloriste Arif Prianto dont la palette est très nuancée. Les personnages sont tous bien campés (même si, petit bémol, j'aurai aimé qu'il y ait un détail qui permette de mieux distinguer Kal et Bruce en dehors de leurs habits).
Avec son cliffhanger dramatique à souhait, et certainement encore pas mal de surprises à l'horizon (de nouveaux rôles, une escalade dans la tension entre les deux maisons, l'identité de l'Homme Vert), Dark Knights of Steel a de quoi divertir le lecteur pour un moment. En s'engageant pour douze épisodes, Tom Taylor garde des munitions au frais et Yasmine Putri aura de quoi nous émerveiller.
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