Poursuivons notre thème "women power" avec la critique du film, sorti en Avril dernier, Red Sparrow, adapté du best-seller éponyme de Jason Matthews par Justin Hayte et mis en scène par Francis Lawrence. L'occasion pour le cinéaste de s'aventurer dans un registre plus noir, avec son égérie, la toujours sublime Jennifer Lawrence.
Dimitri Ustinov et Dominika Egorova (Kristof Konrad et Jennifer Lawrence)
Danseuse étoile au Bolchoï, Dominika Egorova voit sa carrière brisée nette un soir de représentation où elle se blesse sur scène. Pour subvenir aux besoins de sa mère malade, elle accepte, à contrecoeur, l'offre de son oncle Ivan, agent du SVR (les services secrets russes) : il s'agit de séduire Dimitri Ustinov, un politicien véreux. Alors qu'il tente de la violer, ce dernier est assassiné par Simionov, un sbire d'Ivan qui prédit un grand avenir à sa nièce comme espionne après une formation.
Nate Nash (Joel Edgerton)
Nate Nash est un agent de la C.I.A. à Moscou mais il est contraint de fuir la Russie après avoir failli être arrêté par la police dans le parc Gorki avec son informateur, un certain Marble. Réaffecté, il tente de convaincre sa hiérarchie de le renvoyer sur le terrain car Marble ne parlera qu'à lui. Finalement, il est renvoyé mais à Budapest.
Dominika et la Matrone (Jennifer Lawrence et Charlotte Rampling)
Dominika intègre une école d'Etat où on lui enseigne l'art d'être un "moineau rouge" en apprenant à séduire les hommes pour leur soutirer des informations importantes. Elle excelle bien que sa formatrice, la Matrone, la juge trop orgueilleuse. Mais ses tests sont concluants et Ivan l'envoie à Budapest séduire l'agent Nash pour découvrir qui est Marble, la taupe du SVR qui l'informe.
Dominika et Marta (Jennifer Lawrence et Thekla Reuten)
A Budapest, Dominika partage un appartement avec un autre "moineau", Marta, et aborde rapidement Nash - qui devine vite qu'elle est une espionne. Lorsqu'il la questionne à ce sujet, elle ne le nie pas et cherche à négocier son passage à l'Ouest puis celui de sa mère en échange de quoi elle jouera les agents doubles pour le bénéfice de la CIA. Dominika découvre dans les affaires de Marta, en son absence, ce sur quoi elle travaille : une transaction avec Stephanie Boucher, la chef de cabinet d'un sénateur américain. Elle gagne du temps auprès d'Ivan pour doubler Marta - qui, elle, ne bénéficie pas de la même clémence (et de la même protection) et est assassinée sauvagement par Simionov (un avertissement adressé à Dominika).
Stephanie Boucher et Dominika (Mary-Louise Parker et Jennifer Lawrence)
Nash suit Dominika à Londres où elle doit rencontrer, à la place de Marta, Stephanie Boucher et la payer pour ses infos. Mais la chef de cabinet quitte l'hôtel où elles ont fait affaire et repère les agents de la CIA : paniquée, elle est écrasée par une fourgonnette. La mission compromise, Dominika est exfiltrée par le SVR et ramenée en Russie où elle subit un interrogatoire musclé pour savoir si elle n'a pas trahi Boucher.
Dominika et Nate
Ivan est prêt à croire à la loyauté de sa nièce, qui a résisté à la torture, et la renvoie à Budapest. Dominika reprend rapidement contact avec Nash qui prépare son évasion en Amérique. Ils couchent ensemble mais au matin, l'agent de la CIA est torturé par Simionov pour qu'il lui livre ses secrets. Dominika feint d'aider le tueur avant de se retourner contre lui et de l'éliminer. Sur le conseil de Nash, elle appelle l'Ambassade américaine.
Vladimir Korchnoï (Jeremy Irons)
Hospitalisée avec Nash, Dominika retrouve Vladimir Korchnoï, le supérieur d'Ivan, qui lui avoue être Marble et lui explique les choix qui s'offrent à elle : soit elle part en Amérique, soit elle rentre en Russie et le remplace comme taupe (il s'est assurée que sa famille ne craindra rien).
Dominika et son oncle Ivan (Jennifer Lawrence et Matthias Schoenearts)
Dominika se rend à l'Ambassade russe où elle livre Marble en échange de son retour au pays. Mais lorsque le SVR remet la taupe à la CIA, Nash découvre que Dominika a dénoncé non pas Korchnoï mais son oncle Ivan (dont elle se venge pour le traitement qu'il lui a infligée).
Dominika
Promue au sein du SVR, Dominika retrouve sa mère avec laquelle elle partage désormais un meilleur logement et pour laquelle elle a obtenue des soins. Mais elle continue de collaborer en secret avec la CIA.
Il y a deux niveaux de lecture dans ce film dont les 2h 20 passent sans problème (il aurait facilement pu durer moins, gagnant ainsi en tension, en densité, mais on ne s'ennuie vraiment pas) et c'est ce qui le distingue d'une simple grosse production au service de son actrice vedette.
Dans un premier temps, au premier degré, il s'agit d'une histoire d'espionnage classique et rondement menée, qui ne s'embarrasse guère de quelques clichés ou invraisemblances. On a un peu du mal à croire à Jennifer Lawrence quand elle doit passer pour une ballerine car sa silhouette pulpeuse ne correspond pas à celles élancées des danseuses étoiles d'une institution aussi stricte que le Bolchoï, et d'ailleurs, même si elle s'acquitte de quelques entrechats, sa performance sur ce plan passe après celle, habitée, de Natalie Portman (dans Black Swan, de Darren Arronovsky, 2010... Dont Lawrence est devenue la muse et compagne depuis le tournage de Mother ! dont je vous ai parlé récemment).
On s'amusera aussi de croiser Charlotte Rampling en maîtresse d'école de "moineaux", qu'elle joue sans aucune distance, dans une blouse grise et avec autorité : une figure qu'on croirait issue d'un vieux spy movie de la guerre froide alors que l'action se déroule de nos jours.
Il n'empêche, l'intrigue est bien ficelée et le résultat est efficace. La narration est fluide, passant dans un premier acte de Dominika à l'agent Nash, dont les couvertures sont vite découvertes par chacun, mais déjouant ensuite les attentes du spectateur à qui on a promis du sexe et de la violence alors que les deux espions ne couchent pas ensemble et ne traversent aucune situation périlleuse. Cela se corse davantage dans le troisième acte avec deux scènes de torture mémorables.
L'essentiel est ailleurs, dans l'identité d'une taupe qui trahit les services secrets russes au profit des américains. Mais Francis Lawrence traite ça par-dessus la jambe et le spectateur s'en fiche autant que lui, au point que quand on découvre le fameux traître, non seulement le rebondissement ne surprend pas mais l'acteur qui l'incarne est très convenu. Du coup, c'est plus l'identité de l'héroïne qui est explorée véritablement et on ne sait jamais quoi penser de Dominika jusqu'à l'ultime image : elle est d'abord manipulée par son oncle, puis se résigne pour sa mère malade à devenir une sorte de prostituée implacable, puis sa loyauté est mise en question à plusieurs étapes (elle trahit sa co-locataire, son oncle, Nash). C'est une figure insondable et fascinante dont on ignore si elle a été pervertie par sa formation de "moineau" ou si elle a développé dans sa fonction d'espionne la dureté héritée de son apprentissage de danseuse, où déjà tous les coups étaient permis pour réussir. D'une manière, Red Sparrow peut se lire comme une réappropriation de son corps et de son esprit par l'héroïne mais aussi comme une reconversion dans un job pour lequel elle présentait d'étonnantes prédispositions (comme l'estime son oncle).
Et puis, il y a une autre manière d'envisager tout le projet, la transposition du roman de Jason Matthews en long métrage à part entière. Francis Lawrence et Jennifer Lawrence (aucun lien de parenté) ont déjà une fructueuse collaboration ensemble puisqu'il a dirigé l'actrice dans la saga Hunger Games qui l'a consacrée star (tout comme David O. Russell lui a fait gagner un Oscar et l'a établie comme une comédienne solide).
Red Sparrow devient alors l'oeuvre de la maturité, expression galvaudée mais qui, ici, reprend tout son sens : en effet, aux Etats-Unis, le film a été classé "Restricted" (interdit aux moins de 17 ans non accompagnés - comme Logan, Deadpool...) à cause justement de sa représentation du sexe et de la violence. Du sexe, il y en a en vérité peu, comme je l'ai déjà dit : une seule scène nous montre Jennifer Lawrence frontalement nue, lorsqu'elle est à l'école d'Etat, testant l'excitation qu'elle provoque sur un camarade. Pour le reste, le personnage et l'actrice manoeuvrent habilement pour éviter le spectacle de l'érotisme facile, préférant susciter le désir par la gestuelle, l'expressivité, plutôt que par l'effeuillage.
La violence est rare mais plus spectaculaire, notamment quand il s'agit de montrer l'égorgement de Ustinov au début, puis les tortures infligées à Domenika à son retour de Londres puis à Nash à Budapest par Simionov. Mais rien de plus choquant que dans bien des films où l'hémoglobine coule à flots, sans même le filtre de l'humour.
Il n'empêche, le soufre dont on veut parfumer le long métrage lui confère une aura ingénieuse par rapport à Hunger Games et Red Sparrow devient donc comme le film par lequel Francis et Jennifer Lawrence s'affranchissent de la tétralogie dystopique qui les a fait roi et reine du box office. Le réalisateur et l'actrice s'adressent ici à un public adulte et averti, même si le marketing (et la censure) exagère(nt) le choc esthétique (on baigne dans de l'ocre, du gris, dans des ambiances troubles et tendues).
Jennifer lawrence n'a plus besoin de ça pour qu'on sache la puissance de son charisme, de son sex appeal, et la finesse de son jeu (ici, évidemment, beaucoup moins exalté que dans Mother !). Elle a naturellement cette allure de star, à la beauté qui subjugue, à la présence imposante - au point d'éclipser sans mal Joel Edgerton (trop pâlot pour convaincre en agent de la CIA capable de charmer une telle bombe) et Matthias Schoenearts (lui aussi bien fade en oncle pervers). Jennifer Lawrence a besoin désormais de partenaires masculins (ou féminines d'ailleurs - on lui prête un projet avec son amie Emma Stone et il faut souhaiter qu'il se produise car le face à face de ces deux brillantes jeunes femmes, aux styles si distincts, peut créer des étincelles) capables de soutenir la comparaison avec Bradley Cooper (son complice chez David O. Russell).
Red Sparrow est donc tout à la fois une production fastueuse qui se donne un genre canaille, légèrement subversive, mais aussi se dote d'un discours méta-textuel sur le statut de son réalisateur et (surtout) de sa star en rompant définitivement avec ce qui a fait leur célébrité - tout en leur conservant un indéniable succès (au box office). Une mue réussie.
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