Charles Soule a ce talent ou ce goût du risque de donner l'impression de progresser dans sa nouvelle histoire comme s'il improvisait chaque nouvel épisode. Ce sentiment est sans doute infondé mais pour le lecteur, il est impossible de savoir où il veut nous emmener. C'est ce qui s'appelle coller à son héros, Daredevil, aveugle pour tous ceux qui l'entourent mais doté du pouvoir de finalement mieux voir que quiconque. Malin, c'est sûr. Mais suffisant ?
Matt Murdock prend ses fonctions de nouveau maire en l'absence de Wilson Fisk, toujours hospitalisé après l'attaque de la Main, et sa première décision est de décréter l'état d'urgence pour protéger les habitants de New York contre les ninjas. Il demande à son staff de contacter le gouverneur de l'Etat pour l'informer de la situation et confirmer son choix.
Matt appelle ensuite Foggy Nelson en renfort et le nomme comme adjoint afin de lui servir d'alibi car il veut partir patrouiller en ville en tant que Daredevil. Son ami le lui déconseille, lui rappelant ses obligations de Maire et que ses amis héros (Luke Cage, Jessica Jones, Moon Knight, Mysty Knight, Echo, Spider-Man, Iron Fist) affrontent la Main.
Blindspot surgit, avec fracas, dans le bureau du Maire et explique qu'il a contribué au raid de la Main sur la ville car, en affrontant Muse (le tueur Inhumain), la Bête lui a procuré à distance une force supplémentaire. Mais, en refusant de tuer son adversaire (qui a préféré se donner la mort), il a provoqué sa colère. Daredevil et son apprenti sortent pour porter secours à deux policiers en difficulté non loin de la Mairie.
Ensemble, ils affrontent plusieurs ninjas entourant le véhicule de police et apprennent par les flics qu'ils ont sauvés que la Main a investi un immeuble voisin avec leurs collègues en otages. Bravant les tirs à l'arc des snipers, Daredevil et Blindspot réussissent à pénétrer dans le bâtiment et éliminent d'autres adversaires.
Mais une chose intrigue Daredevil lorsqu'il sonde l'immeuble avec ses super-sens : pas un bruit ne lui parvient, tout semble vide. Avec Blindspot, il progresse prudemment jusqu'à atteindre une salle au centre de laquelle on a creusé une grande fosse dans laquelle ont disparu les ninjas et leurs prisonniers...
L'improvisation apparente qu'on ressent à la lecture du récit n'est pas désagréable dans la mesure où elle permet de manière intense de s'identifier au héros : nous ressentons parfaitement l'ampleur de la menace qui plane et qui le dépasse nettement. Daredevil comme Matt Murdock ne peut que réagir à la situation, il n'en est pas maître et il lui faut faire face avec rapidité.
L'épisode est presque coupé en deux parties : dans la première, nous sommes avec Murdock qui doit intervenir en qualité de Maire de New York et prendre des décisions drastiques, rapides, efficaces. En première ligne, plus qu'il ne l'a jamais été, il doit protéger sa ville, ses concitoyens d'une menace qu'il connaît et dont il devine qu'elle l'a prise pour cible. Ce mouvement politique est très bien écrit par Charles Soule, même si on peut reprocher, en revanche, au dessinateur Mike Henderson de représenter le personnage un peu trop souriant par rapport à ce qui se joue : cette contradiction entre ce qui se passe, se décide et la manière dont c'est dessiné est gênante car elle peut faire croire que Murdock prend ça à la légère, fait preuve d'arrogance, ce qui n'est pas le cas. C'est un homme soucieux, inquiet, fébrile.
Puis, presque insensiblement, en convoquant Foggy Nelson, Soule montre le glissement qui s'opère car Murdock a surtout besoin de son ami pour qu'on ne le dérange pas alors qu'il veut partir patrouiller en ville sous le masque de Daredevil. Cela souligne que Murdock n'est pas un politicien, il reste un justicier qui croit davantage à l'action directe, qui a besoin d'être sur le terrain et pas dans un bureau à distribuer des consignes. Foggy a beau lui rappeler que New York a besoin de son Maire, que d'autres héros combattent la Main, c'est peine perdue - et l'irruption de Blindspot vient en fait mettre fin au débat.
La deuxième partie du récit démarre alors et l'action reprend ses droits. Henderson s'y montre plus à l'aise et réussit une belle suite de scènes, avec une sensation de vitesse, de détermination très bien traduite. Le scénario opère un focus malin à défaut d'être original en dirigeant les personnages vers un immeuble investi par les ninjas et des flics prisonniers... Sauf qu'une fois dans la place, plus personne !
La dernière page manque d'être un cliffhanger ou un twist car, pour le coup, Soule utilise un élément vu dans la saison 2 de la série télé Daredevil puis la saison 1 de Defenders sur Netflix, avec un gouffre géant creusé, on ne sait comment, par la Main pour fuir (et sans doute évoluer dans les souterrains de New York). Il paraît cette fois plus que probable que le scénariste ait reproduit ce qu'on a vu à la télé, reste à savoir s'il l'exploitera de la même manière, mais cela m'a un peu désappointé (on accuse si souvent les comics d'être contaminé/influencé par le cinéma/la télé que lorsque cela se produit de manière si évidente, c'est effectivement dérangeant).
Néanmoins, cela ne saurait suffire pour lâcher brusquement l'arc narratif en cours qui a un potentiel captivant, vraiment imprévisible - même s'il gagnerait à être dessiné différemment.
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