Il y a des previews de comics qui vous tapent immédiatement dans l'oeil. Mais, comme une bande-annonce ne garantit pas la réussite d'un film tout entier, il faut savoir être prudent, surtout quand la promesse comporte des ingrédients alléchants - ici, une héroïne, des poursuites autos : d'une certaine manière, on est proche de ce que vendait le surestimé Baby Driver d'Edgar Wright. Alors Rick Remender et Bengal (pour la première fois au volant d'une série US avec un scénariste aussi côté) allaient-ils nous emballer avec leur road trip ? Réponse avec ce numéro 1 de Death or Glory, riche de 40 pages !
Glory Owen veille sur son père, atteint d'un cancer pour lequel elle n'a pas davantage que lui les moyens financiers pour payer les soins médicaux. Aussi décide-t-elle de s'engager dans une opération risquée, dont elle sait que Red Owen la désapprouverait, mais parce qu'elle a la conviction que c'est à son tour de veiller sur lui.
Le plan de Glory passe par une customisation de sa voiture et l'enregistrement sur un dictaphone de ce qu'elle a l'intention de faire, et pourquoi, si cela venait à mal tourner. Elle remet ce dictaphone à son amie Sandy, barmaid au "Rowdy Rooster" où elle trouve aussi Winston à qui elle demande de veiller sur Red en son absence.
Avant de partir, Glory apprend par Sandy que son ex-mari, Toby, cherche à la contacter depuis plusieurs jours - aucun problème, répond-elle : elle a l'intention de lui adresser un message très clair. En vérité, la jeune femme sait que son ancien conjoint est mêlé à un deal de drogue important avec Kobra Joe et, pour obtenir la came, il charge deux policiers ripoux, Virgil et Darren, de livrer une mallette d'argent à son interlocuteur.
Alors qu'ils quittent la propriété de Toby, Virgil se dispute avec Darren qui souhaiterait doubler Toby en gardant l'argent pour eux. Mais leur échange est interrompu quand une voiture leur fait un tête-à-queue puis cherche à provoquer leur sortie de route. Leur agresseur n'est autre que Glory, casquée pour assurer son anonymat.
Quand elle a réussi à stopper les deux flics, sous la menace d'un pistolet, elle arrache la mallette des mains de Darren et retourne à sa voiture. Mais Virgil en profite alors pour lui tirer dans le dos. Heureusement, elle porte une protection sous sa combinaison et n'est pas blessée. Mais elle est cependant obligée de fuir à pied en direction d'un hangar proche.
Glory y est surprise par un troisième homme qui s'apprête à la tuer avec un pistolet relié à une bonbonne de nitrogène liquide, responsable quelques jours auparavant de plusieurs meurtres dans un dinner. Elle se débat suffisamment pour retourner l'arme contre lui mais la mallette et les billets à l'intérieur sont alors glacés.
Virgil s'approche et tire à nouveau dans la direction de Glory qui, ayant perdu son casque, est identifiée par le policier. Elle parvient à le semer en prenant le volant d'un camion garé pas loin et s'éloigne à vive allure.
Mais lorsque des coups sourds retentissent depuis l'arrière du véhicule, elle sursaute et s'arrête. Son pistolet en main, elle va ouvrir le chargement du camion et découvre, horrifiée, des migrants à bord, demandant son aide...
La première qualité qui saute aux yeux est le rythme, effréné, de ces quarante pages. La situation est rapidement posée, après un prologue intriguant (un mystérieux tueur commet un massacre dans un snack après avoir passé une extravagante commande juste avant la fermeture), puis les scènes s'enchaînent pour culminer dans une longue et jubilatoire course-poursuite assortie d'un braquage foireux, et un dénouement sidérant.
La volonté de Rick Remender est claire : ne pas nous laisser souffler, juste nous livrer les informations nécessaires à la compréhension de ce qui se passe. Mais, si le divertissement est solidement assuré, Death or Glory n'est pas qu'une production futile destinée à nous donner ce qu'elle nous promet. Encore une fois, on est saisi par le thème qui parcourt cette série et qui semble actuellement travailler plusieurs auteurs, chacun à leur façon, sans concertation : il s'agit de la famille et plus précisément de la paternité ou de la filiation, en tout cas du rapport particulier qui unit un parent à son enfant et vice-versa (voir Doctor Star... de Lemire, Captain America de Waid, et bientôt je vous parlerai aussi de la nouvelle version d'Avengers par Aaron).
Ce qui distingue sans doute Remender de ses collègues par rapport à ce thème est que, chez lui, c'est une véritable obsession, la clé de voûte de la majorité de ses oeuvres aussi bien indépendantes que pour les majors. Dans Uncanny X-Force puis Uncanny Avengers, puis Black Science, Low, et avant tout cela dans Fear Agent, il est toujours question d'enfants et de parents, de leurs relations difficiles, des fautes dont ils héritent, des événements avec lesquels ils doivent composer, avec une nette dominante pour la notion de sacrifice (pour le bien de sa descendance, même si cela n'est pas toujours compris par l'intéressée).
Glory Owen est la dernière version en date de ces histoires de passation. Comme dans Low, c'est une héroïne qui fait des choix discutables et qu'elle paie rapidement cher, mais auxquels elle va devoir faire rapidement face. Le programme de la série est donc prometteur quand on compte tout ce que la jeune femme laisse derrière elle à la fin de ce premier épisode - un mari dangereux, des flics corrompus, un tueur cinglé, un père agonisant... En fait Glory gagne notre sympathie moins pour ce qu'elle décide de faire (elle fait de mauvais choix) que pour les raisons pour lesquels elle fait ce qu'elle fait (tenter de sauver son père en lui fournissant des soins) et parce qu'elle est seule.
Bengal a tenté tant bien que mal de creuser son trou aux Etats-Unis ces dernières années en acceptant du work for hire pour les "Big Two" (Marvel et surtout DC - par exemple en fill-in artist sur Batgirl version "New 52"). Mais curieusement, il n'a pas réussi à percer alors qu'il tenait les délais et que son talent charmait le public et les editors. Une injustice.
Par ailleurs, son envie de travailler avec Remender remontait à plusieurs années et était réciproque, mais tardait à se concrétiser à cause des nombreux titres animés par le scénariste (qui, chez Image Comics depuis son départ de Marvel, produit comme jamais). La faute aussi peut-être à la désillusion de l'auteur connue avec Paul Renaud (leur série Devolution a tourné court et a été finalement réalisée par un autre dessinateur, sans connaître le retentissement espéré)...
Mais tout vient à point à qui sait attendre et Death or Glory devait être ce qui scellerait leur partenariat tant la série apparaît taillée sur mesure pour Bengal. Il coche toutes les cases requises pour accomplir ce que le titre réclamait : savoir représenter des voitures, une héroïne (dont les mensurations sont réalistes), composer des décors (majoritairement extérieurs et naturels), rendre les personnages expressifs, le découpage nerveux mais lisible. L'artiste s'occupe, pour maîtriser tout le processus visuel, du dessin, de l'encrage et de la mise en couleurs : ce qu'on voit est donc à 100% de sa main et le résultat est dynamique, vivant, très abouti. Le plaisir pris par Bengal est communicatif et ajoute une légèreté bienvenue à l'intrigue (on sait que Remender est plutôt un scénariste attiré par les ambiances sombres et violentes, on le redécouvre plus trépidant et ludique).
Comme je le disais en ouverture, il faut se méfier des pages mises à disposition des lecteurs pour les inciter à se jeter sur un comic-book, mais quand on atteint un tel taux de satisfaction à l'arrivée (l'épisode bénéficie déjà d'un deuxième tirage, une semaine après sa sortie), alors il garantit un développement très alléchant, solide, durable (Bengal aurait déjà achevé seize épisodes !). Pas de doute, on reparlera de Glory Owen.
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