Il y a, aujourd'hui, dix ans et dix jours exactement, disparaissait Mike Wieringo. Ce triste anniversaire n'est guère célébré, vous ne trouverez guère d'hommage ou d'article pour vous le rappeler. S'il nous reste ses comics, c'est, en revanche, comme si l'artiste avait été effacé...
J'étais un fan de celui qui se surnommait (et signait) 'Ringo, même si je l'ai vraiment découvert après sa mort à 44 ans. J'ai eu, cette année, moi-même, 44 ans et me voici donc aussi âgé que ce dessinateur que j'adorais quand il est parti. Récemment, je lisais une interview de l'écrivain Paul Auster qui, à 70 ans, constatait qu'il était désormais plus âgé que son père quand il décéda et en le remarquant, un trouble le saisit : celui que, désormais, il était en quelque sorte en train de prolonger l'existence de son père.
Je crois qu'il s'agit un peu de la même chose avec les lecteurs qui perpétuent l'oeuvre des auteurs après leur mort, ils deviennent des passeurs, leurs avocats, ceux qui restent pour garder vif le souvenir des disparus. Rien de macabre ou de nostalgique là-dedans, mais plutôt une forme de devoir de mémoire envers ceux qui nous ont fait rêver, qui nous instruits - ces inestimables présents.
J'ai donc voulu me rappeler de Mike Wieringo et, si je ne l'ai pas fait le 12 Août dernier précisément, c'est parce que je cherchais un moyen de le faire simplement mais personnellement, en évoquant quelque chose qui me touchait spécialement chez lui.
Et c'est alors que j'ai pensé à Fantastic Four #60 (2003), premier épisode de son run sur cette série - qui, comme 'Ringo, n'existe plus aujourd'hui... - , écrit avec son ami Mark Waid (voir ci-dessus). Je ne poste que quelques planches, situées au début et à la fin de cette histoire.
Quand Waid prend le titre en main, il veut le rendre accessible et accrocheur pour les lecteurs, mais de façon originale. Les Fantastic Four sont les plus anciens héros de Marvel (une fois que la maison d'édition a pris ce nom après avoir été Timely Comics), créés par Stan Lee et Jack Kirby. Et il faut insister sur le terme "héros" car il suggère une nuance avec les "super-héros".
Effectivement, les FF sont d'abord une famille : ses membres sont Reed et Sue Richards, mariés ; Johnny Storm, le frère cadet de Sue ; et Ben Grimm, le meilleur ami de Reed. Reed et Sue ont deux enfants, Franklin et Valeria.
Ensuite, ce ne sont pas des justiciers ou des soldats ou des super agents de l'ordre, ce qui les distinguent de Spider-Man, Captain America, les Avengers. Ce sont pas non plus une tribu atypique comme les X-Men ou les Inhumains. Non, ce sont des aventuriers, des explorateurs, dont les adversaires sont des individus ou des groupes que leurs recherches contrarient (Dr. Fatalis, l'Homme-Taupe, Annihilus, Galactus...). Waid inventera pour l'occasion un néologisme : "Imaginauts", des serviteurs de l'imaginaire, des curieux.
Dans Fantastic Four #60, Waid a donc une idée simple mais géniale pour (ré)introduire ces personnages au public : Reed loue les services d'une agence de communicants pour restaurer l'image des FF, les rendre plus populaires. Le groupe vit des brevets scientifiques déposés par Mr. Fantastic, mais souffre d'un déficit de visibilité car ils sont moins cool que Spider-Man, moins héroïques que Captain America, moins spectaculaires que les Avengers (tout en étant moins étranges que les mutants ou retirés que les Inhumains). Ce que l'histoire sous-entend, c'est que les FF sont méconnus du peuple de New York (et donc des lecteurs) parce qu'ils vivent dans un building, y pratiquent des expériences (aux conséquences parfois directes sur les civils), ce sont un peu des outsiders, sympathiques, un peu bizarres, mais aussi communs (une famille - presque - comme tant d'autres). Et sans identité secrète : ils ne portent même pas de masques, ont tous le même uniforme, et leurs pseudonymes désignent davantage leurs pouvoirs qu'ils ne dissimulent leurs vrais noms.
L'agence envoie Shertzer, un jeune publiciste (qui s'occupe habituellement de rock stars), passer une semaine avec les FF pour trouver un moyen de rendre l'équipe plus sexy, plus commercial - comme Waid doit rendre le comic-book plus vendeur. Shertzer passe donc les jours suivants avec la Torche Humaine (qui vient de rompre avec l'actrice Jennifer Garner), la Chose (qui dénigre le rap mais reçoit d'admirateurs un CD avec un rap en son honneur), la Femme Invisible (qui élève ses enfants, assiste son mari mais surtout s'assure de la cohésion de toute la famille en assignant un rôle à chacun - quelques épisodes plus tard, elle confiera la gestion financière à son frère, qui fuit toute responsabilité, pour le faire mûrir)... Mais sans comprendre au fond pourquoi Mr. Fantastic tient tant à la célébrité.
Réponse dans les ultimes pages du n°.
Quand Shertzer livre son rapport aux graphistes de l'agence, il découvre, consterné, qu'ils ont maquetté un comic-book qui les travestit. Il corrige le tir en expliquant que ce ne sont justement pas des super-héros : "ce sont des astronautes, des aventuriers, des explorateurs. OK, si Galactus débarquent, ils répondent à l'appel. Mais leur boulot, ce n'est pas ça, ça va juste avec. Comme tout pionnier." Et il ajoute : "C'est vrai qu'ils sont là depuis un bail, mais les Fantastiques n'en restent pas moins des novateurs." Donc : "Si vous voulez faire un comic, faîtes-le sur eux, pas sur leurs costumes."
Pour moi, Fantastic Four #60 est et reste le meilleur épisode introductif d'une série que j'ai lu. C'est intelligent, drôle, entraînant, simple. Mark Waid signe un chef d'oeuvre qui devrait servir de modèle à n'importe lequel de ses collègues quand il reprend une série et doit inviter les lecteurs, anciens ou nouveaux, à la lire, à la suivre, à la soutenir. Lorsque, une fois Shertzer et ses collègues sont partis, on assiste à une scène magnifique où Reed Richards va coucher sa fille Valeria en lui expliquant pourquoi il veut corriger l'image de l'équipe : c'est parce qu'il se sent responsable d'avoir bouleversé la vie de sa famille en les entraînant dans l'expérience qui les a dotés de pouvoirs. Par orgueil. Et la célébrité évitera que les gens aient peur d'eux, elle les transformerait en héros. Et peut-être alors ils leur pardonneraient qu'il les ait privés d'une existence normale.
La bande dessinée, beaucoup de lecteurs, quand ils la commentent ensuite, oublient qu'il s'agit du produit des efforts communs d'un auteur et d'un artiste. Et c'est là qu'intervient le talent unique de Wieringo. Observez la rondeur, l'élégance, l'expressivité, la justesse de son trait, de son découpage, des émotions diffusées, des ambiances (l'épisode alterne moments mouvementés et calmes avec maestria). Examinez avec quel brio il s'approprie ces personnages comme s'il les dessinait depuis toujours, les rend vivants, attachants, amusants, complices, sympathiques. Cette famille, malgré la folie qui l'entoure (et que, parfois, elle provoque), on a envie d'en faire partie aussi parce que 'Ringo la représente ainsi.
Son style est à la croisée de plusieurs tendances : un peu réaliste (mais pas photo-réaliste), un peu cartoony (mais pas trop caricatural), précis (sans être chargé), et admirablement encré par Kark Kesel et colorisé par Justin Ponsor.
Cette combinaison - un script formidable, un dessin à la fois humble et donnant une plus-value au texte, valorisé par l'encrage et la couleur - , c'est cela qui fait une bonne BD. Pas simplement un bon texte, ou de jolis images. Wieringo était un grand angoissé, craignant toujours que son style ne plaise pas, ne convienne pas, ne refusant jamais une commande, s'exerçant chaque jour (en postant un dessin original sur son blog chaque matin, comme une gymnastique), mais le soin et le sérieux avec lequel il pratiquait rendait ses efforts invisibles : son dessin respirait la facilité, la marque des grands.
C'est pour son humilité et son intemporalité qu'il ne faut pas oublier 'Ringo. Il avait encore tant à donner (il grouillait d'ailleurs de projets). Mais ce qu'il a laissé nous rappelle toujours une manière de dessiner des comics souriante, aimable, gracieuse. Comment ne pas remercier, dix ans après son forfait, quelqu'un qui nous a fait un tel cadeau ?
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