Jacob Kurtzberg alias Jack Kirby
Hier était un jour mémorable pour tout fan de bandes dessinées américaines (et de BD en général) : le 28 Août 1917 naissait un certain Jacob Kurtzberg alias Jack Kirby, le "King of comics".
Je ne me risquerai pas à résumer la carrière de ce géant, un des artistes majeurs du média, au même titre que Will Eisner, Alex Toth, Winsor McCay, André Franquin, Jean "Moebius" Giraud, pour ne citer que quelques-uns de ses pairs ayant eu autant d'influence et produit un tel volume d'"illustrés".
Sa productivité, d'abord, défiait toute mesure et amateur comme connaisseur découvrent encore aujourd'hui des images ou planches de Kirby. Le génie de ce créateur est aussi de s'être exprimé avec un tel foisonnement que, même si vous êtes un expert de son oeuvre, la relire permet de déceler des détails nouveaux, de révéler des arborescences permanentes. Kirby, c'est d'abord cela : une énergie explosive dont les éclats scintillent par-delà les pages et les ans.
La puissance, ensuite, est sans doute ce qui définit le mieux ce dessin si particulier, qui était l'extension d'un imaginaire fécond, baroque, traversé de fulgurances et parcouru d'obsessions. Kirby était passionné par les récits mythologiques et il a recyclé cette inspiration originelle dans des histoires de surhommes, de communautés cachées du reste de l'humanité mais dotés de pouvoirs extravagants (Les Inhumains, Les Eternels) quand il n'inventait pas une nouvelle cosmologie ("Le Quatrième Monde" unissant les séries The New Gods, Mister Miracle, Forever People et Superman's Pal Jimmy Olsen). Ce qui frappe encore aujourd'hui, c'est le formidable dynamisme, la spectaculaire grandeur de ses histoires : le King était à son aise dans la démesure et la BD lui permettait de pousser les murs, de franchir les frontières, d'abolir les limites.
Enfin, même si les crédits de ses nombreuses séries ne le citaient souvent que comme simple dessinateur, Kirby était un narrateur au même titre que les scénaristes avec lesquels il collaborait. Il ne faut rien retirer aux mérites de ses illustres partenaires comme Joe Simon (avec qui il mit au monde Captain America) ou Stan Lee (avec lequel il fournit à Marvel la quasi-totalité de ses personnages quand l'ex-maison Timely Comics fut rebaptisée et repositionnée), mais la méthode d'écriture brouillait les repères : en effet, l'auteur soumettait une intrigue à l'artiste (qui y participait souvent déjà), lequel produisait les planches auxquelles étaient ensuite ajoutés les dialogues. Kirby imprima ainsi sa marque à plus d'un script, d'un personnage, d'une série, qu'il avait établi initialement avec Lee, en lui conférant une direction, un ton reconnaissables entre mille.
La trace que laisse un authentique génie dans sa discipline s'estime aussi au nombre de ses disciples, du simple émule au scénariste et/ou dessinateur exploitant ses créations à la fois en les revisitant et en les réinterprétant de façon telle qu'elles restent valables pour de nouvelles générations de lecteurs. De ce point de vue encore, Kirby a inspiré une multitude innombrable d'acteurs des comics. Parfois cela vous saute aux yeux, par la similitude du trait, le souffle des récits ; parfois c'est plus subtil mais l'héritage trouve sa source dans les pages du "King". Ses descendants sont en tout cas si abondants qu'il est quasi-impossible d'échapper à la griffe du maître.
Personnellement, je ne prétends pas être ni un fan absolu, encore moins un fin connaisseur de Kirby. Longtemps même son art m'a échappé, je ne comprenais pas sa popularité ni même son expression. Trop fou, trop atypique, trop fourni aussi pour l'appréhender correctement - par où commencer, et comment le savourer, le "digérer" ? Il y a quelque chose de monstrueux chez Kirby, lui-même aimant représenter des créatures physiquement grotesques (voyez la Chose dans Fantastic Four par exemple) même s'il leur donnait une humanité complexe. Lorsqu'il disparut en 1994, je ne lisais d'ailleurs plus de comics traditionnels (entendez avec des super-héros), et même lorsque adolescent j'en consommais beaucoup, Kirby ne figurait pas parmi les artistes que je suivais attentivement. Mais la fréquence des citations de son nom, de son oeuvre, l'influence incomparable qu'il avait des deux côtés de l'Atlantique, le respect qu'il suscitait suffirent à modifier mon premier avis : on ne passe pas à côté de Kirby car on ne peut l'éviter, ce serait comme occulter - et donc se complaire dans l'ignorance - un pan entier de la BD.
On peut quand même ne pas (tout) aimer de Kirby - et c'est heureux, normal. Mais on ne peut pas ne pas s'y intéresser car il est une sorte de pionnier, de père fondateur de la BD, moins par son ancienneté que par ce qu'il a légué au 9ème Art, comment il l'a fait alimenté et progresser.
Cent après sa naissance, 23 ans après sa mort, rien de plus aberrant que de dire que Kirby a disparu : il est au contraire toujours aussi présent, généreux, inspirant. Vive le Roi !
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Les "enfants" de Kirby ont été nombreux, hier, à rendre hommage à leur "père". Voici quelques dessins en son honneur par de brillants admirateurs :
Jack Kirby par Alex Ross
Captain America par Enrico Marini
La Chose des Fantastic Four par Nick Derington
Orion des New Gods par Paolo Rivera
Orion des New Gods par Steve Epting
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