Sous-titrée Et Brigitte créa B.B., ce biopic déguisé en "fiction basée sur des faits réels" a été annoncé comme un événement sur France 2, mais le résultat déçoit énormément. Fallait-il y croire quand on savait que c'étaient Danièle et Christopher Thompson aux commandes ? Pas vraiment. Mais il était permis d'espérer. En vain. Car ces six épisodes manquent cruellement de saveur.
1949. Brigitte Bardot n'a pas 15 ans quand elle fait la couverture d'un tout nouveau magazine pour femmes, "Elle". C'est ainsi que la repère Roger Vadim, alors assistant du prestigieux réalisateur Marc Allégret qui cherche justement une jeune actrice pour son prochain film. Brigitte convainc ses parents, des bourgeois stricts, de la laisser passer des essais au cours desquels elle tombe amoureuse de Vadim. Ils entretiennent une liaison secrète jusqu'au jour où le père de Brigitte l'apprend. Vadim lui demande d'attendre ses 18 ans et il l'épousera.
Deux ans après son mariage, en 1956, après avoir enchaîné les petits rôles, Brigitte est la vedette du premier long métrage réalisé par Vadim : Et Dieu... créa la femme, produit par Raoul Lévy. Le personnage de Juliette est fortement inspirée par elle : libre, belle, jeune, impudique, mélange de provocation et de naïveté qui rend les hommes fous d'elle. Sur le tournage, elle s'éprend de son partenaire, Jean-Louis Trintignant et Vadim se résigne à la laisser partir avec lui.
1958. Trintignant mobilisé en Allemagne, Brigitte a peur qu'il parte en Algérie. Grâce à son amie, la productrice Christine Gouze-Rénal, elle rencontre le Ministre de la Défense de l'époque, François Mitterrand pour que son amant soit muté à Versailles. Elle enchaîne les tournages et son entourage - son agent, son secrétaire, le producteur Raoul Lévy - jubile. Avec un naturel désarmant, elle se joue des journalistes jusqu'à ce que le patron de "Paris Match", Pierre Lzareff, la jette en pâture aux paparazzi. Son couple avec Trintignant n'y résiste pas quand il apprend qu'elle le trompe avec Sacha Distel.
1959. Brigitte, cherchant à se protéger des paparazzi, acquiert une maison sur les hauteurs de Saint-Tropez, la Madrague et peut toujours compter sur Vadim pour la veiller sur elle quand elle quitte Sacha Distel, dont elle estime qu'il profite d'elle pour gagner en reconnaissance. La mort de son grand-père bien-aimé la plonge aussi dans un chagrin immense. Elle s'éprend de Gilbert Bécaud mais celui-ci, contrairement à ses promesses, ne quittera jamais sa femme pour elle. Sur le tournage de Babette s'env-t-en-guerre, elle donne la réplique au jeune premier Jacques Charrier qui est follement amoureux d'elle, au point de la présenter à ses parents et de vouloir fonder une famille avec elle alors que Brigitte songe à arrêter sa carrière.
Enceinte de Charrier, Brigitte tente de cacher son état sur le tournage de Voulez-vous danser avec moi ? mais le secret est vite éventé. Elle songe à avorter puis se ravise quand Charrier lui promet d'être là constamment pour la soutenir. Il renonce même au premier rôle dans Plein Soleil de René Clément (au profit d'Alain Delon) pour le lui prouver puis fait une tentative de suicide pour ne pas partir combattre en Algérie. Après la naissance de leur fils Nicolas, Brigitte néglige Jacques et leur fils pour renouer avec une existence insouciante. Raoul Lévy, lui, veut absolument que Henri-Georges Clouzot la choisisse pour La Vérité.
1960. Au cours des essais pour La Vérité où elle donne la réplique à plusieurs jeunes comédiens, elle s'amourache de Sami Frey. Furieux de ne pouvoir auditionner et des infidélités de sa femme, Charrier sombre. Le secrétaire de Brigitte la trahit par amour pour un paparazzi et livre des secrets intimes à son sujet. Le tournage de La Vérité s'achève et Frey est envoyé en Algérie. Brigitte est désespérée et tente de mettre fin à ses jours le jour de son anniversaire. Rétablie, elle gagne la Madrague où ses parents, Vadim et Sami Frey la rejoignent.
Comment dire ? C'est mauvais, c'est raté. Et pas qu'un peu. Il y a quelques mois, quand Netflix a mis en ligne Blonde, le biopic adapté du roman de Joyce Carol Oates par Andrew Dominik sur Marilyn Monroe, le film divisa critique et public, mais c'était en somme prévu car le matériau source fit déjà polémique à l'époque de sa parution.
Moi-même, j'en avais rédigé une critique dans laquelle je déplorai surtout que Blonde montre exclusivement une Marilyn accablée, malheureuse, abusée, parfois complaisamment. Mais je reconnaissais la force de la démarche, du parti-pris de cette adaptation, son point de vue.
Or un point de vue, c'est précisément ce qui fait cruellement défaut à Bardot. Et c'est un comble avec un tel personnage. Chacun a sa Bardot, pourrait-on dire : certains ne retiendront que la vieille femme aigrie, aux propos infâmes ; d'autres préféreront se souvenir de la jeune actrice qui révolutionna les moeurs à la fin des années 1950 ; et les derniers se contenteront de ses plus rôles (dans Et Dieu... créa la femme, En cas de malheur, La Vérité, Vie Privée, Le Mépris, Viva Maria !, L'ours et la poupée - de quoi se rappeler qu'elle a quand même une belle filmographie).
Quoiqu'il en soit, on ne peut se contenter d'une soupe tiède quand on veut raconter Bardot. Fallait-il se méfier ? Sans doute. Pourquoi ? Parce qu'aussi bien Danièle Thompson que son fils Christopher, aux commandes de cette série, ne sont pas vraiment des auteurs qui ont brillé par leur audace jusque-là. Danièle Thompson a quand même de l'expérience en tant que scénariste, mais c'est comme si elle n'avait choisi que de retenir le plus anecdotique dans Bardot, le plus superficiel.
Elle réalise la moitié des six épisodes, laissant la direction des autres à son fils, qui les a co-écrits. Il a de la chance puisqu'il dispose des meilleurs morceaux et se montre un chouia plus inspiré, mais sans non plus faire d'étincelles. Je ne sais pas si, en France, actuellement, il y a l'équivalent d'un Andrew Dominik, avec un sens esthétique et un goût assumé pour la provoc', mais en tout cas c'est d'un vrai cinéaste qu'il manque à cette série, pour transcender un script mou, sans audace, sans courage.
Les Thompson ont pris le parti de construire leur projet autour d'un casting majoritairement composé d'inconnus, avec quelques seconds rôles solidement tenus par des comédiens aguerris. C'est heureux que ces derniers soient là, ils empêchent le naufrage complet du vaisseau, en particulier Yvan Attal, extraordinaire dans le rôle du producteur Raoul Lévy. Je pense aussi à Laurent Stocker, parfaitement infect en Pierre Lazareff, ou Anne Le Ny dans le rôle de l'agent de BB, Olga Horstig. Et bien entendu le couple Géraldine Pailhas-Hippolyte Giradot, qui jouent les parents de Brigitte, sans fausse note.
Mais pour le reste, c'est souvent catastrophique. Bardot a connu bien des hommes dans sa vie sentimentale, elle incarnait la libération de la femme bien avant la fondation du M.L.F. et se fichait d'être jugée pour ses conquêtes, même si elle jurait ne pas pouvoir vivre seule. Les jeunes acteurs ayant la charge d'incarner des amants comme Jean-Louis Trintignant, Sami Frey, Sacha Distel, Gilbert Bécaud, sont tous épouvantables, sans aucun charisme, sans aucun talent, sans aucune ressemblance - sur ce dernier point, passe encore, mais bon. Comment croire que ces freluquets sans présence à l'écran puissent faire tourner la tête de le femme qui rendait tous les hommes fous et toutes les femmes jalouses ? A part Oscar Lesage, qui campe Jacques Charrier, le deuxième mari de BB, qui a le rôle le plus étoffé, il n'y en a pas un pour sauver l'autre.
Seul surnage Victor Belmondo. Le petit-fils de "Bébel" est réellement formidable dans le rôle de Vadim, à qui il prête ses traits et une sorte de légèreté blessée épatante. Présenté dans l'histoire comme le premier amour de Brigitte et son plus fidèle soutien après leur divorce, il est radieux et prouve qu'il est capable d'exister dans l'ombre immense de son prestigieux aîné.
Et puis il y a Julia de Nunez, choisie pour jouer Bardot, la femme, l'actrice, le mythe. Un premier rôle écrasant que cette comédienne franco-argentine s'approprie avec un joli naturel. Elle reste un peu brut de décoffrage, son jeu manque de nuances, parfois elle est un peu fausse, mal dirigée aussi, mais elle traverse les épisodes avec une étonnante assurance, un peu crâneuse. Si des cinéastes lui en donnent la chance et savent la manipuler comme Clouzot le fit avec la vraie BB, alors elle a de beaux jours devant elle. Brigitte Bardot était féline, une panthère, alors que Julia de Nunez est une lionne, moins gracieuse, mais avec du tempérament aussi.
Il ressort de tout ça une impression bizarre. Déjà, cette précaution inscrite sur l'écran : "fiction basée du des faits réels", comme pour se protéger des fans hardcore, de Bardot elle-même peut-être (même si elle ne s'est pas impliquée dans le projet tout en ne l'empêchant pas). Ensuite, parce que trop peu souvent, on sent que BB n'a pas été bien intentionnée (elle a ruiné la carrière de Charrier avant de le jeter sans scrupules, n'a pas été une bonne mère pour son fils - élevé par Charrier, ses parents et ceux de Bardot). Et surtout échouant piteusement à nous faire ressentir le sentiment que BB avait de vivre dans une prison (référence à une interview fameuse donnée à l'obséquieux François Chalet), jusqu'au dénouement grotesque de la série où on la voit se suicider puis la scène suivante sourire au soleil du Midi.
C'est ce qui s'appelle passer à côté de son sujet. Mais peut-être, plus simplement, que Bardot ne peut être résumée à six épisodes (d'ailleurs pourquoi avoir privilégié une période si courte alors que c'est après La Vérité que Brigitte a vraiment inventé Bardot ?). Dommage vraiment. Mais prévisible hélas !
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