C'est déjà l'avant-dernier épisode de Kroma... Mais il faudra être patient pour lire le dernier, prévu seulement pour Avril prochain ! Lorenzo de Felici nous fait languir mais ça en vaut la peine car son récit est toujours ce mélange détonant de beauté et d'effroi. Dans ce numéro, on suit encore la jeune héroïne en territoire hostile, en proie à mille menaces... Mais peut-être tout près de découvrir la vérité sur ses origines.
Alors que Soristo allait la tuer, Kroma réussit à échapper à ce funeste sort et fuit. Doit-elle, au risque d'être à nouveau captive, rentrer à la Cité Pâle ? Ou s'en éloigner davantage et braver les dangers du monde extérieur ? Par ailleurs, Damog la traque toujours et le fantôme de Zet la hante encore. Un des amis de ce dernier doute d'ailleurs, à se funérailles, des circonstances exates de sa mort...
Alors, oui, ça fait ch... de devoir attendre quatre mois pour lire le dernier épisode de Kroma, qui ne paraîtra donc qu'en Avril prochain. Mais d'un autre côté, je n'aime pas me formaliser pour si peu car il faut reconnaître : 1/ que Lorenzo de Felici propose quelque chose de spécial, qui mérite donc un effort de patience de notre part, et...
... 2/ quand on sait que de Felici assure scénario, dessin, encrage et colorisation, on serait bien ingrat de lui reprocher d'avoir besoin de temps pour livrer des épisodes cinquante pages. Par ailleurs, enfin, on peut rappeler que Kroma est un comic-book en creaor-owned, donc c'est l'auteur qui supporte le premier les désagréments liés à ce retard, il ne perçoit (c'est une moyenne) que 30% du bénéfice total généré par les ventes de son comic-book.(il faut donc que ce soit un gro succès pour que l'opération soit profitable à l'artiste).
Kroma vaut vraiment la peine d'attendre et d'être indulgent. Et ce troisième et pénultième épisode le prouve encore une fois magistralement. On avait laissé l'héroïne en fâcheuse posture, sur le point d'avoir les yeux retirés à vif par Soristo. On apprend pourquoi ce vieil excentrique qui l'avait pourtant préalablement sauvé de Damog veut commettre cet acte.
En effet, Soristo avait expliqué qu'il avait été ministre dans la Cité Pâle avant d'en être banni pur sa conduite. Mais qu'avait-il fait au juste ? On en revient à la légende du Roi des Couleurs évoquée dans le premier épisode et qui amena les habitants de la Cité Pâle à vivre en reclus, sous la coupe de prêtres fanatiques entretenant de vieilles superstitions.
Donc, Soristo avait émis l'idée que le Roi des Couleurs avait eu une fille, Kroma, et qu'au lieu de la sacrifier, elle pourrait servir à l'amadouer ou le piéger. Mais depuis son exil, le vieillard a passablement perdu la tête et développé l'hypothèse que Kroma pourrait incarner une sorte de clé pour comprendre les couleurs et communiquer avec la faune si terrifiante qui vit hors de la Cité Pâle. C'est pourquoi il est désormais prêt à lui retirer les yeux qu'il voit comme la pièce manquante à cette lecture.
Kroma réussit à se sauver, en tuant Soristo. Son geste est désespéré et va l'entraîner dans un désarroi encore plus grand. Et si elle était effectivement aussi mauvaise que voulait le faire croire le prêtre Makavi de la Cité Pâle ? La confusion atteint des sommets chez elle quand au fantôme de Zet s'ajoute celui du prêtre, dans une apparition encore plus grotesque et terrifiante, et que les deux spectres la poussent à agir dans deux directions opposées.
Pourtant, c'est bien le prêtre qui va l'influencer de la manière la plus déterminante en désignant le Trône, une montagne de verre aux parois coupantes, qui serait l'endroit où vit le Roi des Couleurs. La voici partie pour une ascension risquée au terme de laquelle elle va faire une découverte étonnante...
Avant d'y arriver, elle devra encore une fois affronter Damog tout en ébranlant les convictions de cet adversaire fanatisé. Avec en prime de nouveaux crocodiles géants...
Lorenzo de Felici raconte quelque chose de puissant, de merveilleux et d'effrayant, qui a tout d'un conte en vérité, avec ses éléments naïfs et cauchemardesques à la fois. Il n'est pas difficile d'être fasciné, envoûté par ce récit fantastique, narré de manière simple, mais construit de façon complexe.
Kroma peut-il être toutefois lu par des enfants ? Sans doute pas car le dessin et les couleurs n'atténuent en rien les représentations les plus glaçantes de l'histoire. Les fameux crocodiles géants sont réellement impressionnants et chacune de leurs apparitions fait sursauter même un lecteur adulte, qui sait que quelque chose de spectaculaire et sanglant va suivre.
Mais c'est pourtant bien la mécanique du conte qui est à l'oeuvre. On rencontre dans les textes les plus connus des ogres, des monstres, le sort fait à certains personnages est absolument abominables, et pourtant les parents lisent ça à de jeunes enfants, qui sont à la fois épouvantés et captivés. La seule différence, mais elle est notable, est que Kroma est une bande dessinée.
Et le 9ème Art est la combinaison du texte et de l'image intimement liés. Ce qu'on peut imaginer avec les mots lus permet de provoquer des émotions très diverses en intensité chez l'auditeur. La BD, elle, montre ce que les mots suggèrent et peut donc plus directement choquer par la force de l'évocation, la figuration.
Si un enfant peut être sidéré par la beauté des images de de Felici, il sera aussi impressionné par leur puissance picturale et en suivant les pas de la jeune Kroma, menacée par des bestioles féroces, un chasseur fou, un vieux délirant, coupée par les arêtes d'une montagne, il sera apeuré car rien ne lui sera suggéré et tout lui sera montré. Il aura aussi peur de ce qu'il voit que de ce qu'endure l'héroïne.
C'est toute la qualité de l'eouvre de Lorenzo de Felici, qui avance en équilibre sur le fil d'une histoire aux aspects classiques de conte mais avec une maturité violente propre à bien des comics indés qui lésine rarement sur les effets les plus frappants. C'est donc un récit initatique brutal, et qu'on classera facilement comme adulte, même si la jeunesse de sa protagoniste et l'imagerie colorée la rend a priori plus grand public.
Dans cette ambiguïté se lit l'ambition de l'auteur, magistral narrateur et prodigieux artiste, qui raconte tout cela comme quelque chose d'éminement personnel, de longuement mûri, et produit à point. Toutes raisons encore une fois pour qu'on accepte, malgré la contrariété, d'attendre jusqu'à Avril pour savoir comment s'achévera cette aventure.
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