vendredi 4 février 2022

THE MAGIC ORDER 2 #4, de Mark Millar et Stuart Immonen


C'est un épisode charnière pour The Magic Order 2 car Mark Millar, après nous avoir fait passer du temps avec les méchants de sa série, revient à ses héros. Le scénariste a entretenu la crise et la situation, désormais vraiment critique, oblige Cordelia Moonstone et l'Ordre qu'ele dirige à changer de tactique. Pour mettre en image ce virage, Stuart Immonen éblouit avec une constance qui force toujours le respect.


A Glasgow, après avoir tué, sous l'emprise de la drogue, Harun Francis King repousse violemment Kevin Mitchell. Cordelia Moonstone neutralise son ex-amant et Regan, son frère, arrive à son tour sur les lieux pour constater la débâcle. Le gang de Victor Korne s'est éclipsé avec une nouvelle pierre.


L'Ordre Magique se réunit en session extraordinaire au château Moonstone. Francis King présente ses excuses et sa démission. Mais Kevin Mitchell n'entend pas qu'il s'en tire à si bon compte. Regan s'interpose avant que tout ne dégénère à nouveau.


De retour auprès de sa femme, Kevin est résolu à suivre les nouvelles dispositions dictées par Cordelia. Avec des hommes de main, les époux Mitchell font une descente dans les bas quartiers de Londres à la recherche d'informations sur le gang qui a sévi à Glasgow.


Victor Korne sait qu'on va les dénoncer, lui et son gang. Mais il a un temps d'avance et un plan. Il se coiffe avec la couronne de son ancêtre, Soren, et lève ses troupes pour un nouvel assaut qui devrait être fatal à l'Ordre Magique...

Mark Millar ne se force peut-être plus à trouver de nouvelles façons d'écrire ses histoires. Mais ce qu'il a à raconter, quand il est inspiré, il le fait bien. C'est bête à dire, mais pas si simple à réaliser. Et cela remet un peu l'église au milieu du village puisque ses détracteurs préférent retenir de lui le bâteleur bruyant plutôt que le narrateur accompli.

The Magic Order 2, comme toutes les suites, partait avec un handicap, le lecteur connaissait les personnages principaux et leur univers. Comment dès lors encore surprendre ? Avec de meilleurs méchants, une histoire plus intense, et des surprises.

Jusqu'à présent, malgré le plaisir qu'on pouvait retirer de sa lecture, ce volume 2 donnait quand même la part belle à ces nouveaux méchants. Peut-être un peu trop d'ailleurs, car on avait le sentiment que, du coup, ils devenaient les chouchous de Millar. C'est bien légitime : même un auteur peut préférer écrire des personnages inédits que de rester concentrer sur les héros qu'il a mis en avant dans la première mini-série.

Et Victor Korne est un fameux voyou, parce que ses motivations nous touchent, même si ses méthodes sont violentes. Millar a sensiblement altéré le regard que nous portions sur l'Ordre Magique en le désignant comme une sorte de club d'aristrocrates de la magie et de la sorcellerie, garants de la protection du monde. Mais, comme tous les clubs, n'est pas membre qui veut, et on avait bien compris depuis trois épisodes que des membres de droit n'étaient plus invités à la table des discussions.

Avec habilité et même de la rouerie, Millar a fait de ces exclus des prolétaires d'Europe de l'Est, sans la classe, le charisme des Moonstone et de leurs amis. En un mot : Korne et sa clique sont des ploucs, des barbares, des rustres. Parce qu'ils se sentent comme tels, déconsidérés, ils ont nourri une vieille rancoeur, ils sont aigris et revanchards. Et ils veulent la révolution. Ils la mènent donc comme des bandits, en tapant dur et vite. Forcément, l'Ordre Magique est dépassé par cet assaut qu'il n'avait pas anticipé (puisqu'il ignorait totalement ces sauvages roumains), et ils sont à présent acculés. Obligés de se salir les mains, de rendre les coups. Mais n'est-il pas trop tard ?

Millar réussit parfaitement à communiquer ce sentiment d'urgence qui s'empare des héros. Cordelia ordonne de riposter avec vigueur, de collecter des informations à tout prix. Elle sera exaucée. Mais un autre problème se pose et il porte le nom de Francis King, cet ensorceleur qui fut l'amant de Cordelia et qui a menti en racontant qu'il avait réglé ses problèmes d'addiction. Il a tué un des magiciens de l'Ordre et s'est attiré la foudre d'un autre. Il part de lui-même mais son démon le poursuit et le pousse à en finir. Scène intense garantie...

... Que Stuart Immonen dessine avec son génie coutumier. En une image à la composition superbe, il résume le désespoir de Francis King, dans sa chambre, une corde avec un noeud coulant laissé sur son lit. Cela résume tout ce que le dessinateur canadien sait si bien faire : une image, une seule, qui contient toute l'histoire d'un personnage, son passé, son présent, peut-être son futur (même si je n'ose croire que Millar en a déjà fini avec Francis King).

Ce qui précéde et suit mérite aussi, bien entendu qu'on s'y arrête car Immonen est en forme. Mais d'ailleurs, à quand ne l'a-t-il pas été ? C'est cela qui impressionne et que rappelle opportunément The Magic Order 2 : la constance stupéfiante de cet artiste, qui dessine avec une aisance parfois écoeurante, pour qui tout est si simple, facile (quand bien même se définit-il comme laborieux).

Qu'il s'agisse de mettre en scène une bataille qui tourne au vinaigre dans les rues en feu de Glasgow ou une réunion orageuse, Immonen place toujours l'action avec une justesse remarquable. La valeur des plans est impeccable. Le découpage est d'une fluidité irréprochable. Tout est à sa place, avec ce bonus qui fait les grands, le style.

Depuis qu'il s'encre, Immonen a renoncé à changer de style à chaque projet pour s'inscrire dans un classicisme réaliste, avec des éclairages contrastés, des noirs plus profonds, un zeste d'expressionisme. Il avait cité, il y a longtemps, dans une interview à "Comic Box", que son idéal dans ce registre était Stan Drake, l'auteur de Kelly Green, sorte d'archétype du dessin chic des années 50, dans la continuité d'un Alex Raymond.

The Magic Order n'est bien sûr pas une histoire taillée pour valoriser ce chic élégant et académique, mais la rigueur qu'il impose au dessin et qu'emprunte Immonen donne à ce type de récit une allure fantastique, une maturité qui contrebalance le goût de l'excès cher à Millar.

Avec de tels atouts, on attend la suite en toute confiance. 

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