C'est déjà (presque) la fin de King of Spies et Mark Millar est toujours aussi déchaîné. Au risque de flirter avec la ligne rouge car ce troisième épisode démarre de façon très trash. Néanmoins, le scénariste ne prend personne en traître, comme son héros, on était prévenus. Matteo Scalera s'amuse comme un fou à dessiner ce script complètement fou et nous livre des scènes d'action virtuoses.
Les exécutions sommaires commises par Roland King se succèdent et l'ancien espion condamné par la maladie n'épargne personne, de l'ecclésiaste haut placé au Vatican au producteur de Hollywood. Le Premier Ministre anglais, qui reçoit le rapport de Figgy, lui donne carte blanche pour arrêter King.
Mais ce dernier sait que ses actions vont lui attirer des ennuis et a prévu une issue de secours. Pourtant, alors qu'il se débarrasse d'un nouveau nom sur sa liste, à Paris, Atticus King, son fils, est à ses trousses. Le père ne lui fait pas de cadeau et s'enfuit avec pertes et fracas.
Déboulant dans le cortège d'une manifestation, entre protestaires et policiers, Roland King est pris à parti par les jumeaux panaméens aux ordres d'Atticus. Leur affrontement déborde de la manif pour se poursuivre sur le périphérique, en plein coeur de la circulation.
Mark Millar est incorrigible. Il ne peut s'empêcher de sombrer dans ses excès. C'est pour eux que ses fans l'aiment, mais franchement, en s'en passant, ses scripts ne perdraient pas malgré tout en puissance. C'est le sentiment qu'on a en débutant la lecture de ce troisième et pénultième épisode de King of Spies.
Roland King s'en prend cette fois à un proche du pape au Vatican, qu'il accuse d'avoir couvert des agressions pédophiles de prêtres. Le sort qu'il lui réserve, non pas en le tuant lui-même, mais en le livrant aux victimes, est absolument abominable et dégénère en scène d'horreur. Je ne suis pas spécialement délicat mais j'ai trouvé ça too much, d'un mauvais goût total, gratuit et donc inutile. Millar n'est pas le plus doué pour évoquer le problème des crimes sexuels de l'église qu'il transforme en une farce macabre, en éloge de l'auto-défense.
Il n'est guère mieux inspiré pour châtier un producteur de cinéma qui a abusé d'actrices (référence explicite à Harvey Weinstein) en détaillant par le menu comment Roland King l'élimine. Deux scènes donc pour pas grand-chose sinon pour choquer bêtement, enfoncer le clou. Après l'exécution grand-guignolesque du Président des Etats-Unis dans le précédent épisode, était-il bien la peine de souligner une fois encore la cruauté et la brutalité dont peut faire preuve le héros ? Je ne le crois pas.
C'est d'autant plus dommage que la suite relève le niveau et montre bien que l'enjeu de l'histoire n'est plus dans la démonstration mais dans la fuite en avant de Roland King. L'étau se resserre pour lui, avec son fils à ses trousses et les pages vont se succèder à un rythme haletant dans une longue séquence folle, échevelée, où l'art consommé de Millar pour ce genre d'exercice n'est plus à prouver.
La situation provoque même un sourire amusé chez le lecteur français puisque l'action se situe à Paris en pleine manif, chose bien connue. Millar et surtout Matteo Scalera, débridé comme jamais, tirent parti de ce cadre avec maestria. Le dessinateur se montre, comme à son habitude, généreux dans l'effort, mais surtout virtuose dans le découpage.
En effet, à partir de ce moment, ça tire à tout va, des innocents civils tombent comme des mouches, fauchés par les tirs de gens qui se moquent de ce qui les entourent parce qu'ils veulent règler définitivement leurs comptes. Il n'empêche, la manière dont Scalera cadre tout ça est grisante, chaque mouvement, chaque expression vous emportent, on tourne les pages à la fois admiratifs du savoir-faire de l'artiste et enivrés par l'intensité du script.
Pour quelqu'un comme Millar, qu'on accuse souvent de n'écrire des comics que comme des storyboards de luxe pour de futures adaptations en films ou en séries télé, King of Spies démontre au contraire que le média bande dessinée est son langage de prédilection, qu'il en maîtrise les codes à la perfection et que l'artiste qu'il a choisi pour l'illustrer est le meilleur dans sa partie.
Scalera a cette énergie nécessaire pour dessiner ce type de scènes, la fluidité de ses enchaînements est redoutable, la manière dont il fait ressentir les impacts des coups, des balles, des chocs est formidable. Les visages des personnages sont le reflet d'émotions brutes, de souffrances, de frustrations et de délivrances vertigineuses. C'est absolument épatant.
Le dénouement de cet épisode laisse augurer d'un ultime chapitre paroxystique. On n'en attend pas moins des deux auteurs qui ont littéralement écrasé la pédale de l'accélérateur !
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