vendredi 27 novembre 2020

X OF SWORDS, CHAP. 22 : DESTRUCTION, de Jonathan Hickman, Tini Howard et Pepe Larraz


Nous y sommes, c'est l'ultime chapitre de X of Swords, et avec lui, son cortège de promesses, dont la plus importante est sans doute de justement bien conclure cette saga qui m'a captivé pendant deux mois et demi. Pas évident, et pourtant, cette fin, Jonathan Hickman, Tini Howard et Pepe Larraz en font une réussite indéniable, incroyablement épique, mais aussi émotionnelle. Un exploit.


Mais... Vous savez quoi ? Je ne vais pas rédiger le résumé de cet épisode, long de 44 pages, et abondant en rebondissements, en morceaux de bravoure. Je n'ai pas envoie de spoiler, de "divulgâcher", même si, quand je reprendrai les critiques des séries "X" que je suis, je serai certainement forcé de faire référence à ce qui se passe dans ce numéro.


Nous assistons à une bataille gigantesque, dans ses proportions, dans le nombre de ses participants, dans l'intensité psychologique et physique, entre la horde d'Amenth aux ordres d'Annihilation/Genesis, les champions d'Arakko, ceux de Krakoa, et d'autres invités, dont les images choisies pour illustrer cet article vous donnent un aperçu éloquent).


C'est, à ce titre, certainement, le plus grand déchaînement que j'ai lu depuis un bail (depuis le dernier épisode d'Ultimates vol. 2, par Mark Millar et Bryan Hitch ?). Il y a quelque chose de grisant dans tout ça, en quelque sorte l'essence des comics de super-héros quand ils sont bien faîts, une sorte de BD totale (comme il y eût du football total), une partition si bien exécutée qu'on ne peut qu'y succomber.


Ce plaisir, le cinéma peut le procurer quand on voit sur un grand écran un déferlement de figurants, dans des décors somptueux, avec une mise en scène parfaite. C'est David Lean, John Ford, Cecil B. De Mille, Steven Spielberg, toute une tradition d'entertainment. La BD joue avec des moyens encore plus illimités, puisqu'il n'y a pas de budget pour freiner les ambitions des auteurs, mais encore faut-il que les intentions narratives soient converties graphiquement.


Et c'est la leçon que donne X of Swords : Destruction à tous les events, celle d'un alignement des planètes, d'une coordination entre scénaristes et artistes. On voit bien ici que toute l'équipe créative est sur la même longueur d'ondes, animée par la même envie d'en découdre, mais en le faisant intelligemment, pas seulement dans un rapport de force. Le plus fort, c'est qu'elle le fait sur un motif vertical, véritable enseigne de cet épisode.

Qu'entends-je par là, par cette notion de verticalité ? Hé bien, d'abord, parlons de Hickman, écrivain vertical par excellence. On parle souvent de ce scénariste comme d'un grand architecte, échafaudant des plans à très long terme pour les séries qu'il écrit, des machines bien huilées. Moi, j'emploie à son endroit le terme de jardinier car dans la refonte de la franchise "X", il me fait penser à quelqu'un qui sème beaucoup, laisse germer, et récolte le moment venu. En un an, depuis la parution de House of X - Powers of X, Hickman n'a pour ainsi dire fait "que" ça, planter, au risque de frustrer des lecteurs plus avides d'action que de discours, et réticents à l'idée des corrections parfois radicales que l'auteur a appliquées à cet univers mutant.

Tout cela est facilement vérifiable car X of Swords a démarré, on s'en aperçoit désormais, très en amont, avec l'apparition du personnage de l'Invocateur, petit-fils d'Apocalypse. Hickman a ensuite longtemps laissé cet étrange albinos originaire d'Arakko, la moitié de l'île de Krakoa, en retrait, quasiment invisible, comme oublié. On l'a revu vraiment lors des épisodes tie-in à Empyre, cet event malade, chétif en comparaison, comme une piqûre de rappel, pour qu'on se souvienne qu'il était toujours là.

Apocalypse, lui, était un personnage animé plus franchement par Tini Howard dans les pages d'Excalibur, où il manoeuvrait avec l'Outremonde via le royaume d'Avalon, sans qu'on puisse deviner la nature exacte de son agenda (la narration, lente, de Howard ne facilitait guère la résolution de cette énigme). Mais il était évident que, le moment venu, choisi, par Hickman et Howard, l'Invocateur et Apocalypse seraient à l'origine de ce crossover.

La verticalité encore se traduit par l'expansion qu'a connu X of Swords, prévu initialement pour compter neuf chapitres et qui s'est retrouvé à en avoir vingt-deux. Sur ce point, on peut désigner l'influence éditoriale de la franchise "X", jamais en reste pour développer la marque (contre, souvent, toute mesure, toute raison). Dans ce cas de figure, le risque aurait été que l'entreprise échappe à ses architectes, mais Hickman et Howard ont su en maîtriser la conduite et partager la conception avec les autres scénaristes de la franchise (Gerry Duggan, Benjamin Percy, Zeb Wells, Vita Ayala, qui on su se comporter en soldats dociles et inspirés à la fois).

Tout est affaire de haut et de bas dans cette histoire : le ciel tombe sur la tête des insulaires de Krakoa quand ils apprennent qu'Apocalypse a voulu retrouver les siens, les gens d'Arakko, qu'il avait dû laisser aux prises avec une horde démoniaque il y a très longtemps. La situation s'emballe lorsque les retrouvailles dans l'Outremonde tourne au drame car les enfants d'Apocalypse tentent de le tuer et expriment leur projet d'envahir Krakoa et le reste de notre monde. On saisit les sacrifice, la souffrance qu'ils ont endurés. Cela permettra au lecteur de comprendre sinon leurs méthodes en tout cas les raisons de leur comportement.

Dans une configuration plus spatiale, Arakko est le monde d'en bas, une sorte d'enfer pour des mutants d'un autre temps, d'un autre âge, d'une autre mentalité, avec une autre culture, une autre apparence, etc. Krakoa en retour est à la surface, en haut, littéralement, puisque c'est une île. L'esthétique créée par Pepe Larraz est fascinante car le dessinateur espagnol a soigné les designs des Arakki autant que ceux des X-Men, en en faisant des créatures majesteuses, impressionnantes, étranges, et ce qu'on peut voir d'Arakko mérite aussi notre attention car il ne s'agit d'un décor bâclé mais bien du lieu d'une légende aussi évocatrice.

Dans son premier Acte, qui court durant ses onze premiers chapitres, X of Swords impose encore et toujours sa ligne verticale. Les champions de Krakoa doivent trouver les épées qu'ils brandiront durant les duels que Opal-Luna Saturnyne leur a imposés pour désigner qui de Krakoa ou Arakko aura accès au passage entre l'Outremonde et notre dimension. Très souvent, on va assister, de titre en titre, d'épisode en épisode, à des quêtes improbables, où il s'agit de s'enfoncer, de plonger, ou de s'élever pour obtenir son arme. Wolverine ira jusqu'en enfer avec Solem, Tornade dans un temple du Wakanda, Captain Britain dans un cachot de la citadelle de Saturnyne, Cable dans la station le Pic du S.W.O.R.D. (qui est en quelque sorte la dixième épée de Krakoa - une idée jouissive), Cypher ira au plus profond de lui-même pour participer dignement au tournoi, etc.

Dans le second Acte, qui court durant les dix épisodes suivants, on assiste aux joutes des champions des deux nations mutantes. Et là, nous nous confrontons, comme lecteur, à une autre expérience de la verticalité car les duels ne se déroulent pas en respectant la logique traditionnelle. C'est somme toute logique car l'arbitre de ces parties est aussi celui qui les organise (Saturnyne) et elle inflige aux lutteurs des épreuves folles, délirantes, absurdes, ridicules, humiliantes - qui correspondent à des scores tout aussi grotesques. Mais surtout on voit les personnages chahutés dans des espaces défiant toutes les lois de la nature, des dimensions insensées, des décors foutraques, des arènes improbables - de quoi, littéralement, perdre tout repères, être, selon l'expression, cul par dessus tête. Le haut devient le bas et vice-versa.

Et nous voilà à la fin de cette histoire et toujours aux prises avec la verticalité obsessionnelle des auteurs. Vous vous en rendrez compte en regardant les images que j'ai choisies pour illustrer ma critique et plus encore quand vous aurez l'épisode en main (si ce n'est déjà fait), mais le nombre de scènes où tout tombe, au sens le plus littéral, du ciel est incroyable. Le Corps des Captain Britain (mais toujours sans Betsy Braddock), les X-Men, les aliens contenus dans la station du Pic du SWORD, le dragon Shogo chevauché par Saturnyne, et d'autres éléments encore, c'est un véritable déluge, une pluie quasiment ininterrompue qui s'abat sur le champ de bataille.

Et quand ça ne tombe pas, ça monte des entrailles de l'Outremonde, comme les démons d'Amenth, les explosions qui éventrent le terrain du conflit, les flammes qui succèdent aus déflagrations...

Au fond, pourquoi cette verticalité est-elle à ce point étonnante ? Parce que l'art séquentiel de la BD s'appuie plus volontiers sur la bande horizontale qui elle-même est souvent découpée en vignettes. Rarement la narration graphique guide sa lecture par la verticalité car un cadre qui occupe toute la hauteur d'une page est souvent convertie en une case pleine page, comme une ponctuation surlignée. Construire tout un épisode, ou presque, dans le sens vertical, est surprenant, presque contre-nature. Nos yeux n'y sont pas habitués : on lit de gauche à droite, pas de haut en bas. Qui plus parce que le fait même de montrer quelque chose qui tombe produit un double effet perturbant : on a l'impression de subir cette pluie autant que les personnages et ensuite on ignore comment et quand cela va s'arrêter, c'est donc oppressant.

Mais bien pensé et représenté comme ici, ce même effet déstabilisant est aussi imparablement efficace, très spectacualire, et traduit parfaitement l'intention des auteurs. Le titre de l'épisode exige cela : il s'agit de destruction, il faut donc montrer de manière évocatrice cette destruction, et comment le faire ? A la manière d'un bombardement, et on bombarde par les airs, en larguant en permanence des obus, en parachutant des soldats. C'est tout ce qu'on voit ici et que Larraz, sans s'économiser, produit par son dessin : ce sentiment exténuant, terrible, d'un bombardement, au point qu'on ne sait vraiment pas quand ça va cesser et ce qui restera ensuite de l'aire de jeu.

Une fois le sort de la guerre entendue, l'horizontalité reprend ses droits dans les dernières pages, composées de vignettes larges, apaisées. Les épées retournent où elles étaient, les vaincus sont assignés à des postes divers, parfois ingrats. Des relations se renouent, d'autres semblent brisées à jamais, des personnages sont morts, d'autres séparés. Saturnyne observe ce théâtre avec morgue mais aussi une pointe d'insatisfaction (car elle n'a pas obtenu ce qu'elle convoitait).

Tout est bouclé. Rien n'est bouclé. Car tout cela va laisser des traces, profondes, et à cet effet, un teaser a déjà été communiqué pour annoncer le nouveau mouvement de la franchise "X". Fini Dawn of X, place à :



Reign of X ! On sait déjà que des auteurs vont partir (Ed Brisson), d'autres arriver (Vita Ayala qui reprend New Mutants, Si Spurrier). Un titre comme Cable semble être annulé car son héros intègre S.W.O.R.D. de Al Ewing et Valerio Schiti. On peut reconnaître sur cette image des figures familières, dans l'ombre ou au premier plan, et l'editor Jordan White a prévenu qu'il y aurait des mouvements de personnages d'un titre à l'autre, des évolutions à surveiller (Kid Omega, Tornade). Bigre ! Cela voudrait donc dire qu'un event va vraiment avoir des répercussions tangibles... En somme : les mutants continuent de bouger. Ils continuent donc de muter.

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