Avec trois numéros au programme de sa pénultième semaine de publication, X of Swords rue plus que jamais dans les brancards. Au risque de complètement larguer une partie de ses lecteurs, qui se plaindront de ne pas avoir eu ce qu'ils attendaient. Mais, en vérité, ce crossover ne joue-t-il pas sur l'absurdité même de l'exercice ?
Les épreuves du tournoi s'enchaînent sans répit pour les champions de Krakoa et Arakko - qui mènent largement. Saturnyne s'amuse visiblement à les entraîner dans des matchs de plus en plus vides de sens, où parfois deux membres d'une même équipe doivent s'affronter.
Les Hellions menés par M. Sinistre pour subtiliser les armes des champions d'Arakko traversent le territoire conquis et désolé de Dryador, mal en point. Ils croisent Tarn l'indifférent à qui Sinistre prélèvent des échantillons, provoquant ainsi sa colère.
La bataille qui s'ensuit en laisse beaucoup sur le carreau mais Psylocke réussit à rapatrier Havok, Greycrow et Empath dans le royaume d'Avalon. Empath contraint les prêtresses de Saturnyne de les laisser rejoindre Krakoa.
M. Sinistre se présente devant le Conseil de Krakoa avec de mauvaises nouvelles : il prévient ses pairs que les arakki dominent le tournoi et vont envahir leur île sous peu. Cable, défait par Bei la Lune Sanglante, avertit, lui, ses parents de la déroute, confirmant le présage de Sinistre.
Les jeux semblent être faits et Cyclope est accablé. Mais Jean Grey le réconforte et le convainc de réagir en préparant une riposte à l'invasion. L'ultime duel dans l'Outremonde se présente...
Le tableau ci-dessus détaille les matchs et les points gagnés au cours de leur déroulement. Mais plus que ça, il raconte autre chose, qui a à voir avec l'essence même de X of Swords et qui, je crois, en révèle le véritable sens.
Quand il reprend en main la franchise "X", Jonathan Hickman procède à un relaunch radical via les deux mini-séries House of X - Powers of X, au coeur duquel on trouve le personnage de Moira McTaggert dont il fait une mutante capable de ressuciter en conservant la mémoire de ses vies passées. Elle met ses connaissances au profit de la cause mutante pour tenter d'éviter son extinction par les machines (Sentinelles, Nemrod, Phalanx). Cela aboutit à l'établissement d'une nation mutante sur l'île de Krakoa et sa reconnaissance par l'ONU, mais aussi à l'instauration d'une société sur cette île avec des codes spéciaux et des atouts vertigineux (dont celui, crucial, de la résurrection).
Si l'entreprise de Hickman se solde par un succès critique et commercial, elle divise les fans qui reproche à l'architecte le fait d'avoir fait de Moira une mutante et de Krakoa une société proche d'une secte. Ces mêmes fans critiquaient souvent avec la même fougue le fait que depuis des années (des décennies) la franchise "X" manquait de direction, ne brillant que par intermittence, au gré de l'inspiration d'un scénariste qui sortait du lot.
Un an après HoX - PoX, la perspective d'un crossover massif, courant sur 22 épisodes, faisait peur. N'était-ce pas trop tôt ? Et trop gros ? Et pour les plus confiants, cela allait-il bouleverser vraiment le statu quo ? Ou créer de la confusion ?
Dans son premier acte (sur les 11 premiers épisodes), X of Swords a paru jouer la montre en même temps qu'il préparait un second acte convenu, à base de duels entre champions de Krakoa et d'Arakko, sur fond de quêtes d'épées. Et puis tout a basculé - ou dérapé, selon l'humeur.
En guise de duels, on a eu droit à des affrontements souvent expéditifs et au dénouement surprenant, à la logique absurde, dans des cadres chaotiques, avec un comptage des points sidérant. Il devenait clair que ce tournoi ne prenait pas un tour logique, qu'il était manipulé par Saturnyne, à la fois l'instigatrice et l'arbitre de l'événement. Dans quel but ? Mystère. Mais c'était justement cela qui rendait l'ensemble passionnant. Ou rebutant.
La lecture de X-Force #14, qui ouvre les hostilités de cette semaine, renforce cette impression avec une cascade d'épreuves de plus en plus non-sensiques, où parfois des champions de la même équipe sont engagés l'un contre l'autre ou alors où on assiste à des matchs idiots, aberrants, où les participants ne se servent pas de leurs épées mais se trouvent à danser, faire des puzzles, et autres activités incongrues.
Benjamin Percy mène son affaire à toute allure et Joshua Cassara produit des planches déchaînées qui témoignent du maelström dans laquelle sont aspirés les champions. Tout cela les dépasse et ils jouent quand même chaque partie avec abnégation, convaincus qu'ils peuvent sauver Krakoa ou emmener Arakko à la victoire. Ce n'est qu'à la toute fin de l'épisode qu'on a droit à un vrai combat, entre Tornade et Mort, pour une nouvelle danse envoûtante et féroce, dont la déesse mutante sort gagnante grâce à sa pugnacité et son ingéniosité - elle est littéralement plus forte que la Mort.
Le retour des Hellions (pour leur 6ème épisode et leur deuxième apparition dans la saga) augure d'un changement de registre - un de plus. Il y a de la casse et Zeb Wells va lui aussi jusqu'au bout de l'idée en donnant à ses héros leur rôle de commando-suicide. Plusieurs restent sur le carreau dans l'Outremonde, donc il est suggéré qu'ils ne seront pas ressucités et que la composition de l'équipe dans la série une fois la saga terminée pourrait être bouleversée.
Si le ton reste encore humoristique dans ce titre, la noirceur l'emporte et la violence, sèche, domine. Le final de l'épisode est même glaçant, confirmant que Sinistre a son propre agenda et profite du chaos pour duper tout le monde - même si ensuite il prévient le Conseil de Krakoa que l'issue du tournoi préfigure un danger plus grand. Carmen Carnero livre des planches excellentes, dommage qu'elle ne reste pas sur la série (elle aurait pu me convaincre de continuer à la lire).
X of Swords a transformé les séries en véhicule d'une intrigue globale. Pourtant, Cable #6 est un peu épargné puisque le personnage-titre est bien présent, mais tout de même davantage comme spectateur que comme acteur - il subit une défaite humiliante (et Cypher lui épargne un sort plus funeste encore). En fait les jeux sont faits, depuis longtemps. Gerry Duggan abandonne tout ironie pour mettre en scène la fin de Gorgone de manière cruelle et poignante (alors qu'il s'agissait pourtant d'un personnage cher à Hickman) et si les dessins de Phil Noto manquent un peu d'énergie, le lecteur ressentira bien l'inéluctabilité de l'affaire. Contre toute attente, les X-Men ont été totalement submergés par les Arakki. Ce crossover aura été une longue descente aux enfers pour les héros.
Et finalement, si ça avait été ça, le vrai projet de cette saga ? Dans les events, que nous raconte-t-on d'habitude ? On suit des héros compromis dans une situation explosive puis se ressaisissant in extremis face à l'ennemi pour l'emporter au finish. Tout ça à grand renfort d'explosions, de bagarres et de grand spectacle. Raté ou réussi, un event n'est jamais souvent que ça.
Mais situez l'histoire dans un environnement fou, avec des règles faussées dès le départ, face à des adversaires objectivement supérieurs, et observezle résultat. Il ressemblera à celui de X of Swords, un tournoi des champions parfaitement absurde, où les héros n'ont aucune chance et où le lecteur est confronté à ses envies et ses frustrations par des auteurs qui veulent d'abord démontrer la stupidité de l'ensemble, comme on démonte un mécano patiemment assemblé mais fragile parce qu'usé.
C'est ainsi, en tout cas, pour ma part, que je considère ce crossover obèse et délirant : comme une leçon de narration, certes parfois pas très subtile ni assez concise, sur les codes mêmes des events, ces blockbusters gavés par les editors pour conquérir un maximum de fans avides de sensations fortes. Comme Arakko rêve de conquérir Krakoa - plus par avidité et rancune que par nécessité. Et au terme de duels idiots mais avec des personnages qui ne connaissent au fond que le plaisir abrutissant de se battre, même selon des règles ineptes.
Ce que Hickman, Duggan Howard, Percy, Wells ont fait avec X of Swords, c'est une déconstruction des events. Ils en montrent les rouages, pour mieux en pointer les mécanismes usés, périmés. Ils l'étirent jusqu'à le déchirer pour prouver que cela a trop duré. Ils animent ses acteurs comme des marionnettes dans un théâtre artificiel. Ils déjouent nos attentes pour en souligner la vacuité.
Il se pourrait bien que tout cela ne laisse pas que des traces parmi les rangs des X-Men. Sans doute des fans vont en vouloir aux auteurs de leur avoir mis le nez sur la grossiéreté de ce genre d'entreprises et donc de leur avoir prouvé qu'ils réclament des histoires insensées. Les lecteurs de comics ont peu d'humour et encore moins le sens de la dérision (il suffit pour s'en convaincre de lire les réactions outrées des fans de Zack Snyder quand on ose critiquer le futur nouveau montage de Justice League, pour lequel il a dépensé une fortune alors que dans le même temps Warner licencie à tout-va).
Mais on peut aussi choisir d'être lucides et adultes en considérant que toute déconstruction n'aboutit pas une destruction : elle peut aussi redonner un élan salvateur à un genre, à un exercice, comme HoX - PoX a su redonner une colonne vertébrale aux mutants il y a un an. C'est un remède de cheval, je vous l'accorde, mais c'est mieux qu'un pansement sur une jambe de bois. Ou des lamentations sans écho.
Suite et fin la semaine prochaine. Tenez-vous prêts : tout est vraiment possible !
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