Je me suis sérieusement demandé si j'allais entamer ce nouvel arc de Thor. En effet, si le premier ne manquait pas d'intérêt, il souffrait d'une construction déséquilibrée. Puis Donny Cates a sombré dans un diptyque (#7-8). La perspective du retour de Nic Klein m'a rassuré. Et finalement, même si je ne veux pas m'emballer trop vite, le début de cette nouvelle histoire est troublant. Comme un autoportrait possible de son scénariste ?
Au début de ses exploits, Thor a été puni pour son arrogance par son père Odin, qui, pour lui enseigner l'humilité, a infligé à son fils un alter ego mortel, le Dr. Donald Blake. Mais, même après que les deux entités aient eu conscience l'une de l'autre, une question est restée : où passait Blake quand Thor reprenait sa place ?
Le bon docteur vivait dans une réalité parallèle créée par Odin, une sorte de paradis, immuable. Où Donald Blake a fini par s'interroger sur son retour dans notre dimension. Le temps a passé, il est resté là-bas. Tandis que Thor a fini par succéder à Odin...
Tourmenté par ce qu'il a vécu et testé récemment (l'avenir sombre que lui a montré l'Hiver Noir, le fait que n'importe qui peut désormais brandir Mjolnir), Thor a besoin de prendre du recul. Il demande l'aide de Loki pour veiller sur Asgard en son absence. Et sur Donald Blake qu'il veut rappeler.
Loki accepte, à contrecoeur, car Thor refuse de lui confier ses secrets et que chaperonner Blake ne l'enchante pas. Thor frappe Mjolnir à terre pour rejoindre le royaume des anciens rois morts d'Asgard et laisser la place à Blake.
Commençons par parler dessin. Nic Klein, après deux mois d'absence, revient et il est en forme. L'épisode lui permet de mettre en valeur d'autres aspects de son talent puisque, contrairement au premier arc qu'il a illustré, il y a peu d'action cette fois. Quelque cases spectaculaires, une bagarre à la fin, mais rien de tonitruant comme pouvaient le réclamer les présences de Galactus et l'Hiver Noir.
On est davantage séduit par la subtilité du découpage puisque le script oblige l'artiste à répéter une même séquence deux fois, avec des différences notables dans l'ambiance et les éléments composant les images. Klein parvient brillamment à diffuser un climat anxiogène à souhait en étant très sobre. Le lecteur sent tout de suite que quelque chose cloche, et en fin de compte le dialogue entre Thor et Loki à Asgard semble moins abouti visuellement, à cause d'un décor beaucoup trop sommaire (l'austérité de l'intérieur de la salle du trône de Thor est en vérité assez misérable si on considère que c'est là que siège le nouveau Père-de-tout).
J'émettrai aussi un bémol sur la représentation de Loki par Klein. Je trouve qu'il le dessine sans attrait alors que la particularité du personnage réside dans sa séduction (si on excepte son apparence initiale). Depuis, qu'il ait été dans un corps de femme (durant le run de J. Michael Straczynski, dessiné par Olivier Coipel), d'un gamin (durant l'ère Matt Fraction-Kieron Gillen, avec les dessins de Pasqual Ferry ou Doug Braithwaite entre autres) ou d'un jeune homme (au sein des Young Avengers de Gillen et Jamie McKelvie ou dans la série Loki agent of Asgard, par Al Ewing et Lee Garbett), on s'est habitué à un Loki plus beau, plus troublant que celui de Klein.
Toutefois, le dessinateur se rattrape au moment de signer le retour de Donald Blake (voir la planche di-dessus), visiblement inspiré par le look de Tom Hanks dans Seul au monde (de Robert Zemeckis). C'est très probant et raccord avec ce qu'il est devenu, telle que cet épisode le suggère.
Car Donny Cates a eu une idée sinon géniale en tout cas prometteuse pour ce nouvel arc. Cela faisait très longtemps que Donald Blake avait disparu du tableau de la série. Jason Aaron considérait qu'il était devenu inutile. Je pense le contraire : Donald Blake n'est pas seulement une création d'Odin pour apprendre à son fils l'humilité, c'est son talon d'Achille, sa part d'humanité. S'en priver, c'est cantonner Thor à sa seule dimension mythique, divine. Et rares sont les auteurs chez Marvel à être à l'aise avec les héros surpuissants (l'exemple de Sentry reste dans toutes les mémoires : un concept intéressant, rarement bien exploité, et qui aujourd'hui ressemble à une blague qu'on redoute de voir revenir).
L'idée de Cates, c'est que Blake n'a jamais complètement disparu, il était ailleurs, attendant que Thor le fasse revenir. Il séjournait dans une réalité parallèle conçue par Odin, un petit paradis. Qui est devenu insupportable à force d'y vivre, sans nouvelles de son alter ego. On devine alors que faire revenir Blake dans notre dimension va être une terrible idée. Et cela se confirme avec la dernière page, qui semble condamner Thor à vivre le même calvaire que celui enduré par le docteur.
Mais j'ai vu autre chose dans cette idée, peut-être une extrapolation exagérée, mais tout de même plausible. Par un hasard du calendrier,Donny Cates est doublement dans l'actualité cette semaine, avec la sortie de cet épisode de Thor et le lancement de son nouveau titre en creator-owned chez Image, intitulé Crossover.
J'ai pu lire le premier épisode de cette nouvelle production (je ne vais pas m'y attarder car je n'ai pas été convaincu). Grosso modo, l'argument repose sur l'arrivée dans notre monde (enfin presque notre monde, disons une uchronie où les principes de Frederic Wertham auraient triomphé, c'est-à-dire où les comics seraient considérés largement comme une littérature néfaste, corruptrice, pour les jeunes, et condamnée à être brûlée) d'un personnage issu d'un comic-book où les surhommes ont fini par déclencher une guerre sans fin destructrice. Ce personnage de fiction n'est pas un surhomme, simplement une jeune fille témoin des actions ravageuses des surhommes, mais néanmoins aussitôt désignée comme une aberration dangereuse.
Là où je veux en venir, relativement à l'argument développé dans Thor, c'est qu'il y a deux Donny Cates, comme il y a Thor et Donald Blake, à la manière du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde. D'un côté, il y a ce scénariste mainstream qui travaille pour la major Marvel sur des séries à succès (Thor et Venom), et qui compose avec les codes en vigueur chez son éditeur (l'univers partagé, le fait de ne pas être propriétaire des personnages qu'il écrit, etc). De l'autre, il y a un auteur indépendant, qui se défoule chez Image Comics, mais en utilisant dans sa dernière création l'univers des super-héros comme d'un postulat.
Et là où ça devient, disons, étonnant, c'est quand on lit les déclarations de Cates pour présenter Crossover. Il dit que les super-héros (et donc les comics de super-héros par extension) sont comme des virus, qui rendent fous les fans, prêts à encenser les scénaristes quand les histoires leur conviennent mais à les vilipender quand ce n'est pas le cas (il a raison). Il ajoute aussi qu'il a eu l'idée originale, nouvelle, d'écrire une histoire du point de vue de "l'homme de la rue" pour examiner ce qu'il ressentirait dans un monde effectivement peuplé de super-héros, en étant témoin, peut-être victime de leurs batailles...
Le souci, c'est que, non, Donny, ton idée n'est ni originale, ni nouvelle. Demande à Kurt Busiek ce qu'il en pense. Tu sais, l'auteur de Marvels et Astro City, deux comics où "l'homme de la rue" vit dans un monde peuplé de super-héros, où il est le témoin de leurs exploits et de leurs dégâts. Ou alors relis 1985 de Mark Millar, où un jeune garçon se trouve propulsé dans l'univers Marvel.
Et donc ? Donc Donny Cates a peut-être déraillé, pas aussi radicalement que Donald Blake, mais suffisamment pour prétendre avoir inventé quelque chose qui a existé bien avant lui, de manière suffisamment mémorable. Peut-être se croit-il arrivé, ou trop malin. C'est d'ailleurs un peu le mal de beaucoup de ses confrères (tels Al Ewing, Scott Snyder, James Tynion IV, Chip Zdarsky...) qui semblent en ce moment voulor faire croire qu'ils ont inventé la poudre, alors qu'ils ne font que la recycler. Il faudrait redescendre un peu, les gars,et vous rendre compte que non, vous n'êtes pas les nouveaux Alan Moore ou Frank Miller, mais seulement les héritiers de Stan Lee. Vos concepts ne sont ni inédits, ni novateurs. Vos discours méta sur les comics sont déjà explorés depuis les années 80, soit la décennie où vous êtes nés ou avez commencé à lire des comics.
On assiste donc avec Thor #9 à une sorte de collision, de singularité (comme les affectionne Hickman, qui tape plus haut et réussit plus sûrement), entre les intentions et la réalité. Cet épisode (et probablement tout l'arc à venir, puisqu'il va de déployer sur cette fondation) apparaît comme un dommage collatéral des déclarations d'intentions de son scénariste, trop sûr de lui, qui se plante en jouant au plus malin. Comme Thor, Donny Cates va devoir apprendre l'humilité. Mais qui jouera le rôle d'Odin chez Marvel pour la lui enseigner ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire