jeudi 9 juillet 2020

X-FORCE #10, de Benjamin Percy et Joshua Cassara


Nous avions quitté la X-Force avec Quentin Quire fuyant un temple Olmec de la Terra Verde, l'air horrifié par ce qu'il avait vu à l'intérieur. Et le moins qu'on puisse dire est que ce que nous révèle Benjamin Percy et Joshua Cassara justifiaient cette panique. Conclusion d'un dyptique particulièrement efficace, l'épisode vaut aussi (surtout ?) par ce qu'il dit à la marge.


Wolverine, Domino et Kid Omega ont pénétré dans un temple Olmec de la Terra Verde envahie par une végétation incontrôlable suite aux expériences menées sur place par les scientifiques et ce qu'y a ajouté, secrétement, le Fauve. Très vite, la situation échappe à leur contrôle et ils sont dispersés.


Sur l'île de Krakoa, le Fauve est incapable de communiquer avec le trio et Jean Grey décide de reprendre les choses en main en reprochant vertement à son ami ses décisions hasardeuses. Black Tom Cassidy est d'abord envoyé en renfort mais Jean le rejoint avec Sage pour finir le boulot.


Son plan : introduire une sorte de virus psychique dans la végétation de la Terra Verde afin de la stopper, voire de la tuer. Avant que Wolverine, Domino et Kid Omega ne soient éliminés... Une stratégie radicale qui va interroger Jean Grey sur les méthodes de la X-Force et son souhait d'en faire partie.


La X-Force, selon Benjamin Percy, est une équipe de barbouzes divisée en deux : d'un côté, la tête avec le Fauve, Sage et Jean Grey, qui planifient les missions ; de l'autre, le bras armé avec Wolverine, Domino et Kid Omega, chargé de la sale besogne. C'est une brigade volontiers pro-active, mais dans la première section, tout le monde ne voit pas les choses de la même manière sur la façon de faire.


De ce strict point de vue, il est aisé de constater que le trio formé par le Fauve, Sage et Jean Grey est plus passionnant que celui composé par Wolverine, Domino et Kid Omega, parce que ces derniers sont dans l'action, sans se poser de questions, tandis que, en amont, il devient évident que le Fauve et Jean Grey s'opposent. C'est intéressant parce que Hank McCoy et Jean Grey ont été ensemble dans la toute première formation des X-Men, que leur parcours ont été très chaotique (entre transformations et résurrections). Entre ces deux "historiques", Sage a un rôle plus (trop ?) discret, presque arbitral. Et Black Tom Cassidy (dont on apprend qu'il est l'amant de Sage au passage) celui d'un électron libre (hélas ! un peu sous-exploité).

Cet épisode souligne ce malaise prégnant et c'est pour cette raison qu'il est captivant car de leur côté, Wolverine, Domino et Kid Omega sur le terrain mais en grande difficulté ne font finalement que jouer une partition plus convenue. Cela met en lumière la curiosité de la X-Force dans la nouvelle donne mutante depuis que Krakoa est devenue une nation souveraine : il s'agit d'une unité comparable à la CIA, autrement dit la série donne à voir le côté le plus crapoteux de la politique orchestrée par Charles Xavier. Que se passe-t-il quand ces agents secrets commettent l'irréparable ?

Car c'est bien de cela dont il s'agit : le Fauve a commis rien moins qu'un génocide en trafiquant la végétation de la Terra Verde, condamnant le pays et ses habitants à être consumés par la flore mutante de ce pays aux ressources potentiellement équivalentes à celles de Krakoa. Aujourd'hui, ses tripatouillages ont abouti à une catastrophe qu'il a envoyée Wolverine, Domino et Kid Omega tenter de juguler. Mais c'est trop tard et les agents de terrain sont dépassés. Jean Grey l'apprend et décide de faire le ménage.

Le récit, dans sa partie mission, est déjà efficace, mais en vérité ce qui est le plus palpitant ici, c'est ce qui se dit et se joue dans la marge, comme quand au début Wolverine interroge Domino sur le fait qu'elle ait accepté qu'on efface une partie de sa mémoire lors de sa récente résurrection (alors que lui, longtemps amnésique à cause des lavages de cerveau du Projet Arme X, sait mieux que quiconque qu'on ne doit pas s'amuser avec ses souvenirs). Puis il y a ce dialogue sec, implacable, entre McCoy et Grey sur l'arrogance du premier et les conséquences terribles de ses machinations, ses mensonges, la manière dont il a brisé la relation de confiance entre eux. Et enfin, il y a les deux dernières pages de l'épisode...

Elles vont faire parler, enrager ceux qui n'approuvaient déjà pas ce que Hickman suggérait depuis House of X-Powers of X, ou combler ce qui attendaient que se confirment leurs soupçons. Jean Grey rejoint dans son bain Logan et plus aucune ambiguïté n'est désormais possible sur le fait qu'ils sont amants - et par ricochet que Jean se partage entre Logan et Scott Summers (qui doit aussi faire ses affaires, avec le consentment de Jean, avec Emma). Cette sexualisation est inédite par sa franchise : on s'en doutait, mais il est désormais acquis que sur Krakoa, ça baise de tous les côtés, sans tabou ni limite, pour se reproduire (selon l'encouragement de Kurt Wagner) mais aussi pour le plaisir. D'un coup, c'est comme si toutes les barrières volaient en éclats, après des décennies à jouer avec le lecteur sur qui couche avec qui, cette fois on y est. Et c'est tout de même une révolution car ça se passe dans un comic mainstream comme les X-Men. Surtout, enfin, ça confirme que Percy semble bien être le seul à savoir vraiment ce que Hickman a en tête (quand les autres séries X avancent à tâtons, et même parfois même franchement à côté - cf. Marauders ou Excalibur).

Joshua Cassara revient, mais ne vous emballez pas, le prochain épisode sera dessiné à nouveau par l'inspide Oscar Bazaldua. Cassara a imprimé tant et si bien sa marque graphique à la série qu'il est désormais impossible de l'apprécier autant sans lui. Même quand cette fois-ci, il n'est pas mis en couleurs par Dean White (c'est le studio Guru qui s'en charge, avec qualité), ses pages traduisent parfaitement la vision, les ambiances glauques, intenses de Percy. 

Pourtant Cassara n'est pas d'une folle audace dans le découpage, souvent il se contente de peu (quatre cases maximum), mais son sens du détail, sa capacité à composer des images chocs (comme celles où Kid Omega est totalement envahi par la végétation de la Terra Verde, à la fois écoeurant et poétique), le muscle organique de ses plans sont bluffants. Ce n'est pas du beau dessin, mais c'est un dessin qui colle idéalement au propos. Il faudrait donc que Marvel confie à un artiste un peu dirty comme lui les épisodes fill-in, plutôt qu'à un Bazaldua dont le style n'a rien à voir.

Il est donc possible que je zappe à l'avenir les chapitres sans Cassara (d'ailleurs le dyptique centré sur Domino était dispensable), en espérant que ne s'y écriront pas des rebondissements importants.

X-Force, en tout cas, n'est pas un titre de tout repos, il est même inconfortable, dérangeant, mais fort. Le complément des X-Men plus cérébraux de Hickman. 

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