Pour ce troisième Giant-Size X-Men (sur cinq), Jonathan Hickman, en compagnie de Ramon K. Perez, donne la vedette à un de ses mutants favoris, Magneto. Pourtant, rien dans ce on-shot n'est ce qu'il paraît : entre une réalisation chaotique et un propos finalement très anecdotique, la perplexité domine. Fallait-il consacrer tant de pages pour si peu à dire ?
Magneto se rend dans les îles Féroé. Il y rencontre un habitant et lui explique vouloir acquérir l'île mais l'homme n'en est pas propriétaire. Il s'absente pour prévenir ce dernier tout en prévenant le maître du magnétisme que cela risque de prendre du temps pour obtenir une réponse.
Auparavant, Magneto est invité à déjeuner chez Emma Frost dans sa demeure sur Krakoa. Elle sait que son convive a une lognue histoire avec les îles et souhaite qu'il lui en trouve une pour qu'elle l'achète.
Le propriétaire de l'île n'est autre que Namor qui accepte de négocier avec Magneto parce qu'il représente Emma Frost. Magneto doit en échange l'accompagner dans les profondeurs environnantes pour retrouver des scientifiques atlantes mystérieusement disparus...
... Et c'est tout ! La suite et fin de cette histoire ne présente ni surprise ni même un quelconque intérêt. Vous en êtes quittes pour savoir les raisons motivant l'acquisition d'une île par Emma Frost. Quant à Magneto, son rôle, se résume dans l'affaire à être son chargé d'affaire. En ce qui concerne Namor, il reste écrit comme une caricature.
Depuis qu'il a initié cette collection de Giant-Size X-Men, Jonathan Hickman a laissé bon nombre des fans de sa reprise de la franchise "X" franchement dubitatif. Si son premier récit avec Jean Grey et Emma Frost (qui sera complété et conclu avec le dernier chapitre de la série, consacré à Tornade) était un bel hommage à un fameux épisode muet du run de Grant Morrison, celui qui a suivi (publié il y a quatre mois, juste avant que la crise sanitaire n'impose un shutdown des parutions) avec Nightcrawler accusait déjà un sérieux coup de moins bien, mais sa lecture demeurait agréable entre la variation autour de la maison hantée, les fantômes d'Excalibur (version Claremont) et les dessins d'Alan Davis.
Mais cette fois-ci... Honnêtement, qu'est-ce qui est passé par la tête du scénariste ?
Peut-être, avant tout chose, faut-il retracer la conception de cet épisode. On remarquera que, contrairement aux fois précédentes, la couverture et les pages intérieurs sont l'oeuvre de deux artistes différents. Et pour cause : Ramon K Perez n'était pas prévu pour dessiner ces planches, Ben Oliver devait les réaliser. J'ignore pourquoi, mais le talentueux cover-artist a été remplacé et ne subsiste plus de son travail que ce portrait, vraiment magnétique, de Magneto.
Ramon K. Perez n'est pas un pis-aller : pour ceux qui le suivent, c'est un artiste certes volatile mais passionnant, dont l'adaptation d'un script inédit de Jim Henson (Tale of Sand) lui a valu une reconnaissance unanime et méritée. Il partage son temps entre projets pour les majors (surtout Marvel) et oeuvres indépendantes (il va collaborer avec Chip Zdarsky pour une série horrifique que Image Comics publiera cette automne). Son style est excellent, sa technique impeccable, et tout compte fait, c'est un bon choix pour suppléer Oliver car leurs registres graphiques n'ont rien à voir, donc pas de comparaison possible.
Mais il n'empêche que j'aurai bien aimé voir ce que Oliver aurait fait de ce matériau. En conservant sa couverture, Marvel a commis une erreur car cela rappelle qu'il était là le premier. Et qu'on s'interrogera toujours sur la raison de son remplacement et le potentiel de son travail.
Surtout, même si, donc, Perez ne déçoit pas, il n'épate pas non plus. On n'a pas des pages fulgurantes comme il en est capable, rien de ce qu'il dessine ici n'est transcendant et ne relève l'intérêt. Là où Russell Dauterman étincelait dans l'exercice 'Nuff said avec Jean Grey et Emma Frost, et même un Alan Davis en petite forme (sans encreur aussi) faisait plaisir en animant à nouveau Nightcrawler, Perez ne semble jamais aussi concerné par son épisode qu'il exécute sans forcer son talent. C'est même plutôt le coloriste David Curiel qui lui vole quelquefois la vedette avec une palette magnifique (bien que "mangeant" un peu trop l'encrage, notamment quand il s'agit des chevelures de Magneto et Emma).
Toutefois, la responsabilité de notre incrédulité face à ce récit incombe à Hickman. Dans ces trois Giant-Size X-Men, il y a une constante sur la légéreté du propos par rapport au nombre de pages qu'il y consacre. Soutenu par un artiste exceptionnel, investi dans l'exercice, comme le fut Dauterman, la faiblesse de Hickman est compensée. Mais avec un Davis en mode mineur ou un Perez transparent, le résultat s'en ressent plus fortement.
Alors que dans la série X-Men (et auparavant dans House of X-Powers of X), Hickman a montré un Magneto majestueux, ici il le réduit à une sorte de négociateur pour Emma Frost (à se demander pourquoi elle ne s'occupe pas de transiger directement avec Namor, une fois l'île choisie).
Ensuite, son face-à-face avec Namor tarde à se matérialiser : on devine la manoeuvre (Namor fait poireauter Magneto pour lui prouver qu'il est le maître des horloges), mais leur échange est bien plat alors qu'on est en présence de deux très forts caractères. Nulle tension ne vient alimenter leur dialogue où Namor est écrit comme un régent ombrageux bien peu nuancé (pas davantage en tout cas que ce qu'en a fait Jason Aaron) : quand on est fan du personnage, c'est une vraie misère de voir le traitement du roi atlante, un des individus les plus ambigüs de Marvel.
Enfin leur exploration dans les profondeurs marines, leur rencontre avec d'étranges créatures pour récupérer une clé, l'allusion au roi Ahura (premier monarque d'Atlantis), tout cela est survolé, esquissé, jamais développé (à moins que Hickman ne garde cela pour le futur). C'est vraiment dommage car dans House of X, on avait eu droit à un bref mais intense échange entre Xavier et Namor, invité à rejoindre Krakoa (offre rejetée séchement sur un argument prometteur). C'est tout de même curieux, la maladresse du scénariste vis-à-vis de ce personnage qu'il a pourtant abondamment employé dans New Avengers.
On pouvait encore espérer une révélation, un twist à la fin mais on ignore pourquoi Emma tient à avoir son île (tout au plus, quand Magneto le lui demande, répond-elle qu'elle va lancer des invitations et voir qui viendra). Hickman procéde souvent comme ça dans X-Men, semant des indices (ou plutôt des mines) : peut-être lira-t-on dans l'avenir ce qu'il prépare ici. Mais pour l'heure, c'est trop frustrant.
C'est donc une déception. Mais ne jetons pas tout car le prochain Giant-Size X-Men s'intéressera à un des grands absents de la refonte "X", Fantomex, dessiné par l'excellent Rod Reis. De quoi espérer bien mieux.
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