Après un premier numéro envoûtant, Die devait confirmer les promesses avancées par Kieron Gillen. Le scénariste et sa dessinatrice Stéphanie Hans allait-il être capable de produire une histoire rivalisant avec Saga de Vaughan et Staples, son modèle évident ? On se gardera de tout jeter, mais c'est quand même une grosse déception. Ou du moins une question de sensibilité...
Dominic, Chuck, Matt, Angela et Isabelle ont été littéralement aspirés dans le monde du jeu de rôles "Die" comme vingt-sept ans auparavant. Leur ami, Sol, qui est resté dans cette dimension depuis, les y accueille et leur annonce qu'ils vont l'aider à terminer la partie.
Il explique avoir ainsi tué le Grand Maître mais veut à présent avec ses amis conquérir ce monde. Ils essaient de le raisonner en lui exposant leurs obligations quotidiennes mais il ne les écoute pas et disparaît.
Apparaît alors la Reine des Elfes du Concile des Terres Enchantées. Elle a les traits d'une vieille amie du lycée, Maria Wardell, et tente de gagner à sa cause Chuck. Mais il devine que c'est une ruse et il la tue sauvagement.
Cela provoque l'irruption des monstrueux Orcs. Chacun des joueurs doit invoquer ses pouvoirs pour les affronter, parfois à contrecoeur. Pourtant ils ne font qu'une bouchée de leurs adversaires. Et cela les décide à s'engager totalement dans la partie.
En franchissant l'étape suivante, Dominic retrouve Sir Lane, avec qui elle avait eu une liaison vingt-sept ans plus tôt. Délaissé, il a ruminé sa vengeance mais meurt avant de l'accomplir, promettant cependant une mort certaine à la jeune femme.
Je ne dirai pas que Die échoue complètement après un démarrage accrocheur et fascinant. Mais ça n'a pas pris sur moi, je suis resté constamment à côté pendant tout cet épisode, plus chargé que dense, plus lourd qu'inspiré, et surtout trop lugubre.
Certes, le mois dernier, Kieron Gillen ne promettait pas un récit où on allait rigoler, et je suis tout à fait disposé à lire quelque chose de sombre, dramatique. Pour peu que cela aboutisse à une émotion, à un résultat vibrant, poignant. Et je n'ai pas eu ce frisson-là. Pire : je n'ai pas l'impression que le scénariste en fasse son objectif. Le lecteur que je suis et l'auteur qu'il est ne prennent pas la même direction, n'aspirent pas à la même fin.
Je me garde de tout jugement hâtif quand je découvre une BD, qu'il s'agisse d'une création originale ou d'une production plus traditionnelle. Mais il y a dans toute lecture une part inévitable d'instinct : on "sent" une histoire, on devine vite si ça va marcher avec soi, si c'est fait pour soi. Lorsque quelque chose cloche, c'est comme une résistance qui s'opère. On peut faire tous les efforts qu'on veut, c'est inutile, c'est comme marcher avec le vent de face. On lutte alors contre une évidence.
Ce qui m'avait plu dans le premier épisode, c'était le portrait d'un groupe rongé par la culpabilité, un secret tragique, et les allusions fantastiques, ce que Gillen a résumé en définissant Die comme un "Jumanji gothique". En prenant le parti de situer uniquement son histoire dans le monde du jeu qui donne son titre au projet et en progressant très vite dans une nouvelle partie, dont la finalité garantit d'être plus sinistre que divertissante (plus "goth" que "Jumanji" donc), je ne suis tout simplement pas d'humeur pour ça.
Il y a des éléments séduisants, intenses, dans cette série et Gillen les convoque habilement, prestement : les pouvoirs des joueurs très originaux, l'inéluctabilité de la partie, le poids du destin, la découverte même du monde du jeu... Mais il n'empêche que c'est pesant.
La faute n'en incombe pas seulement au script. Le style de Stéphanie Hans ne saurait passer à côté d'un reproche certain : l'artiste donne à la fois à cet univers une puissance esthétique impressionnante, les planches irradient de couleurs incroyables avec une dominante de rouge saisissante. Elle change de technique, pour un résultat à la fois plus sobre, simple et brut, quand elle illustre les flash-backs (très brefs). C'est très beau.
Mais cette force graphique finit par se retourner contre elle. Le regard se fatigue sur des pages saturées, la palette est parfois lourde. C'est ce qu'on pourrait appeler un "effet Chantilly" '(ou "mayonnaise" comme disaient les artistes de pin-ups des années 50) : c'est-à-dire qu'on a l'impression que l'artiste en rajoute des couches pour obtenir l'effet désiré, et en définitive c'est trop. Limite criard. Hans ne laisse pas ses images respirer, toute la surface est noyée, la lumière est artificielle.
On est d'abord happé par ce qu'on voit avant de devoir le décrypter (d'autant plus que, donc, l'histoire s'appuie sur des motifs pictoraux fantastiques). C'est massif, plein, mais trop. Ce qui fonctionne superbement sur une couverture devient usant sur vingt pages, plus suffocantes que belles. Un artiste comme Cyril Pedrosa, dans son dernier album (L'Âge d'Or, écrit par Roxanne Moreil), fait un usage autrement mieux dosé de la couleur direct, et varie les techniques avec une maturité qui manque à Hans. C'est la différence entre un narrateur graphique et une peintre qui doit raconter visuellement une histoire.
Dans ces conditions, je tenterai donc la lecture du prochain numéro, sans être sûr d'en rédiger la critique. C'est comme ça, ça arrive, parfois ce n'est simplement pas le bon moment ou ce qu'on aurait aimé. Il ne faut pas lire une BD à reculons.
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