Arrivée à son premier tiers, la série écrite par Ethan Sacks, révèle sa vraie nature et se pose, à sa manière, comme une concurrente au Mister Miracle de Tom King et Mitch Gerads chez DC, avec lequel elle partage le même nombre d'épisodes (douze). Mais là où les aventures de Scott Free se jouent sur un niveau mental, l'épopée de Clint Barton se distingue par son aspect physique et terminal, à l'image du dessin de Marco Checchetto. Old Man Hawkeye est bien, à mon sens, ce que Marvel produit actuellement de mieux, de plus puissant, et de plus poignant.
Kree Haven. Abe Jenkins travaille dans une usine de Doombots (les répliques robotiques du Dr. Doom), méprisé par ses collègues - qui se souviennent vaguement qu'il a appartenu au groupe de super-vilains repentis des Thunderbolts (première génération) sous les identités successives de Beetle et Mach-X. Il est vieux, en piteuse condition physique, incapable même d'achever la rédaction d'une lettre pour Melissa Gold alias Songbird, son ancienne complice. C'est alors que surgit Clint Barton qui le provoque en duel.
A ce moment précis, Hawkeye est dans la ligne de mire du marshall Bullseye. Mais il est distrait par les trois enfants de Kraven le chasseur qui le traquent depuis qu'il s'est soustrait à l'autorité de Crâne Rouge. Le tueur se débarrasse d'eux, non sans être blessé, mais en perdant de vue Barton.
Au Mémorial de Korath, Clint se souvient, quarante-cinq auparavant, avoir battu le rappel des Thunderbolts en compagnie de Back Widow pour contrer l'attaque des super-vilains. Elle doutait de leur loyauté, pas lui - elle avait raison. Beetle arrive mais avant d'engager le combat veut expliquer à Hawkeye que s'il l'a trahi, c'était par amour pour Songbird, pour que Crâne Rouge l'épargne.
Les deux hommes s'affrontent et leur combat est disputé. Barton est dominé mais réussit in extremis à piéger Jenkins avant de l'achever au corps-à-corps. Il trouve sur lui la lettre écrite à l'attention de Melissa Gold - sans savoir s'il lui en a envoyée une copie.
Cependant, les Venom trouvent Blink au Murderworld d'Arcade. Mais elle refuse de leur donner la position de Hawkeye et se suicide. Toutefois un des symbiotes a le temps en recueillant son dernier souffle d'intercepter son ultime vision et sait où se trouve l'archer...
Comme je le disais en ouverture, à ce point du récit, le véritable thème de Old Man Hawkeye se révèle et nuance notre sentiment. Il ne s'agit effectivement pas tant d'une histoire de vengeance, comme pouvait le faire croire le plan suivi par Clint Barton contre les Thunderbolts : il est surtout question de confiance et de trahison, donc de ce qui provoque cette vengeance.
Ethan Sacks n'est pas du genre à souligner son propos par de longs flash-backs (même si dans un des prochains épisodes, on aura droit à un retour en arrière éclairant comment la guerre entre super-vilains et héros a décimé ces derniers). En jouant sur les mots, il ne nous a offerts que quelques flashes, des visions de ce passé terrible, mais à peine de quoi, en vérité, savoir ce qui s'est produit. Tout ce qu'on sait, c'est que Clint Barton va perdre la vue, qu'il mène son expédition punitive en urgence avant d'être aveugle, et qu'il a dressé une kill list.
Dans ce quatrième chapitre, encore une fois, le scénariste ne nous en dit guère plus mais en lisant bien chaque mot, en interprétant bien chaque image de l'unique flash-back, il y est question de confiance. Et en recoupant cela à la situation présente, on déduit facilement que cette confiance a été trahie, et que cette trahison est à la source de la mission que s'est fixé Hawkeye.
Barton ne part pas en guerre contre l'autorité qui régit ce monde futuriste, une sorte d'opération commando suicide, qui viserait Crâne Rouge, le leader. Non, il cible quelques personnes en particulier qu'il juge responsable des gens qu'il aimait, et principalement de Black Widow. Sacks fait le choix du couple originel formé par Hawkeye et Black Widow à celui, plus récemment établi, entre Black Widow et Bucky Barnes/Winter Soldier - ce faisant, il revient aux bases des comics puisque, quand ces personnages sont apparus dans les pages des revues Marvel, il s'agissait de deux criminels (une espionne russe et son homme de main-amant) contre Iron Man. On pourra discuter du rétablissement de l'union amoureuse entre Barton et Natasha Romanov (alors qu'elle a été plus longtemps en couple avec Bucky), mais cette option reste valide.
Après avoir vaincu Atlas, Hawkeye défie Beetle/Mach-X. La série ne se limitera certainement pas, alors qu'il reste encore huit épisodes, à enchaîner les combats entre l'archer et les anciens Thunderbolts, mais grâce à Marco Checchetto, ces empoignades, entre adversaires qui doivent bien avoir entre soixante et soixante-dix ans, restent palpitantes, formidablement chorégraphiées.
Le dessinateur traduit parfaitement le fait que les cibles de Barton ne sont pas résignées à l'idée de se faire liquider rapidement, et de façon très nuancée, on observe que l'archer a des difficultés déjà croissantes à éliminer ses ennemis (ici, il manque un tir à l'arc a priori anodin). L'issue de la bagarre a quelque chose de brouillon, sale, aigre. Elle se joue au corps-à-corps, et révèle chez Hawkeye un manque total de pitié, une volonté d'en finir peu importe la manière. L'inspiration d'Impitoyable de Clint Eastwood (déjà cité par Millar dans Old Man Logan) est manifeste : comme William Munny, tuer n'a rien de noble, c'est une tâche pénible, cruelle, déshumanisante.
Mais, ce qui diffère avec le "match" contre Atlas dans l'épisode précédent, c'est aussi la raison pour laquelle donc Abe Jenkins a trahit Barton il y a 45 ans. Et là, ce post-western super-héroïque se nuance d'une teinte sentimentale étonnante, qui suscite presque notre indulgence. En même temps qu'elle révèle une des prochaines éventuelles cibles de Hawkeye en la personne de Melissa Gold/Songbird (pourtant certainement une des Thunderbolts dont la conversion positive a été la plus sincère - même dans le run de Warrens Ellis, elle était le membre le plus réticent à réintégrer l'équipe alors aux ordres de Norman Osborn pour traquer les super-héros refusant d'être recensés durant Civil War).
Enfin, Sacks et Checchetto glissent une séquence effrayante avec les Venom, toujours sur la piste de l'archer, comme le marshall Bullseye (qui, pour ne plus prendre les appels de Crâne Rouge, a désormais sa tête mise à prix). De manière sarcastique et sinistre, l'intrigue est donc celle d'un justicier pistant des traîtres sans se douter qu'il est lui-même traqué par des monstres et un tueur. Tout cela donne au récit des allures de poudrière et promet à un moment ou un autre (dans le cas des Venom, le #5 pourrait être décisif, si on en croit la couverture du prochain épisode) des explications musclées...
Old Man Hawkeye est un coup de maître : une ambiance intense, un récit oppressant et poignant, des personnages forts, une montée en puissance maîtrisée, un graphisme puissant. En dehors des relaunchs et des changements de statu quo actuels chez Marvel, cette production tire tous les avantages de son autonomie.
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