Avec ce troisième épisode de Kick-Ass nouvelle version, Mark Millar arrive à la moitié de son arc narratif et il sait donc que le moment est venu de faire basculer son récit (et son héroïne) dans une aventure dont l'enjeu devient plus délicat. C'est ce qu'il s'emploie avec savoir-faire à exécuter en compagnie de John Romita Jr. avec un chapitre dont la chute, certes convenue, est un modèle d'efficacité.
Hoops Lucero, le boss de Maurice (le beau-frère de Patience Lee) et de Bronco (le gérant du night-club visité par Kick-Ass), a décidé d'organiser la riposte contre la justicière qui s'en prend à son business. Il recrute pour cela Violencia dont la réputation le précède - au point que son professionnalisme et sa cruauté font dire que, même lors de ses séjours derrière les barreaux, la prison avait plus peur de lui que lui n'avait peur de la prison.
Patience Lee, ignorant tout de ces manoeuvres contre elle, prépare son nouveau coup. Mais pour aider sa communauté autant qu'elle-même, elle sollicite son fils, Jordy, afin de savoir qui est le plus dans le besoin. Ceci fait, grâce à quelques rapides recherches sur Internet, elle se rend dans un entrepôt avec l'intention de le braquer selon un plan qu'elle pense bien mieux préparé que ses premières sorties.
Mais une fois sur place, la situation n'est du tout celle à laquelle elle s'attendait. Si elle vient facilement à bout d'un gardien, elle découvre dans une remise un agent de police tabassé après avoir été capturé par le propriétaire de l'endroit. Et la voix de celui-ci ne tarde pas à se faire entendre, reconnue immédiatement par Patience...
Il s'agit de Maurice, son beau-frère, accompagné par Violencia et plusieurs hommes de main, qui barrent la sortie à Kick-Ass. Le tueur se montre impressionné par le culot de la femme masquée au point de lui accorder une chance de s'en tirer, à la manière de Two-Face, l'ennemi de Batman.
C'est donc à pile ou face que va se jouer le sort de Kick-Ass... Et, miracle ! La chance lui sourit. Elle commence à s'éloigner en soutenant le flic. Mais Violencia s'est amusé avec elle et lui fracasse une bouteille sur le crâne. Groggy, elle entend le psychopathe ordonner à Maurice de la démasquer...
Mark Millar pâtit d'un malentendu, alimenté par son goût à vendre chacun de ses projets comme des productions révolutionnant le média dans lesquelles elles s'inscrivent : ce bateleur promeut ses séries avec des armes qui sont pourtant les mêmes que celles des "big two" (Marvel, DC) mais c'est comme si les esprits chagrins ne voulaient pas accepter que lui, l'ancien scribe au service des majors, emploie les mêmes méthodes, soit si enthousiaste.
Et puis il y a ce procès souvent répété comme quoi, justement parce qu'il en promet beaucoup, il faut le juger sans modération. Comme il ne livre guère de comics révolutionnaires, mais simplement (et c'est déjà beaucoup et très honorable) divertissants, cela suffirait à justifier pour l'accabler. Ajoutez-y qu'il est aussi coupable de pré-concevoir ses BD pour de futures adaptations cinéma et l'affaire est pliée.
Mais, en vérité, pour moi, Millar n'est ni un scénariste visant à renouveler le support ni autre chose qu'un auteur défendant avec vivacité ce qu'il est le seul à écrire - une sorte d'indépendant que son succès a permis d'être racheté par Netflix et donc d'être autonome, sur la base d'un univers qui a créé entièrement.
De toutes ses créations, Kick-Ass reste la plus emblématique car elle résume à la fois l'art et la manière de son auteur, artistiquement et commercialement. Millar y donne à ses lecteurs ce qu'ils attendent, avec précision et même roublardise, mais non sans efficacité. Point. Il pourrait certainement faire plus (plus original entre autres), il n'en est pas incapable, mais il s'amuse aussi et surtout avec ce qu'il sait bien faire comme un musicien répète ses gammes.
Ainsi, qu'observe-t-on dans ce troisième chapitre de la série ? Le moment où la situation de l'héroïne prend un tournant à son désavantage, celui où, péchant par excès de confiance, elle se perd et rencontre en même temps son adversaire. Violencia est un archétype : un homme cruel, brutal, effrayant - moins un individu qu'un concentré caractéristique, le méchant par excellence, celui qui n'a pas de circonstances atténuantes, celui qui fait mal et aime ça. Il théorise d'ailleurs lui-même son emploi dans un dialogue : si Kick-Ass est une héroïne, il lui faut un méchant, et il le sera parce qu'il aime ça.
Ce n'est pas original, d'accord. Mais il n'empêche qu'à la fin de l'épisode, on frémit pour l'héroïne, en (vraiment) fâcheuse posture. L'intrigue est relancée, classiquement, certes, mais efficacement. Et celui qui n'est pas accroché par cette formule est soit blasé, soit un menteur.
John Romita Jr. prend un plaisir manifeste avec ce récit simple où il a de place pour s'exprimer, où il peut représenter un vilain instantanément mémorable, dont il a soigné le design, qu'il sait rendre flippant sans se forcer. Le dessinateur est vraiment régénéré par Millar au point qu'il n'expédie pas les scènes plus quotidiennes comme lorsque Patience fait ses courses en famille ou cherche sur le Net des gens dans le besoin avec son fils, tous ces moments qui permettent à l'histoire de respirer avant de replonger dans l'aventure.
L'autre élément salutaire pour Romita Jr., c'est, il faut le répéter, la contribution de Peter Steigerwald à l'encrage et aux couleurs, qui fait un bien fou à son trait en lui conservant la spontanéité du crayonné tout en lui ajoutant des effets nuancés (on est bien loin des couches que tartinait un Dean White). Ainsi, quand l'artiste se fend d'une double page, il surprend presque le lecteur qui avait oublié avec quel soin il pouvait organiser la disposition des éléments d'une image comme celle-ci, en traduisant l'aspect oppressant tout en la laissant lisible au premier regard.
Kick-Ass tient tout entier dans cela : son ambition n'est pas de renverser la table, à peine d'étonner, mais d'offrir un comic-book qui vise juste parce qu'il sait ce qu'il veut raconter et comment.
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