Une fois n'est pas coutume, je vais vous parler d'un téléfilm qui est l'adaptation d'un manga. Or les mangas me tombent des mains et ma consommation de téléfilms est plus que réduite. Alors que reste-t-il pour motiver à regarder Un Ciel radieux diffusé Vendredi dernier sur Arte ?
L'essentiel, sûrement : l'histoire. Et l'attrait du défi que s'est lancé le réalisateur Nicolas Boukhrief, dont c'est la première production pour le petit écran.
Léo (Léo Legrand)
Léo est un jeune homme qui réfléchit aux études universitaires qu'il va entreprendre. Mais un soir, il se dispute avec sa copine, Emma, lors d'une virée en moto et la débarque en pleine course. Il roule durant encore quelques mètres puis s'arrête, visiblement tourmenté par son attitude. Alors qu'il choisit de faire demi-tour, il est percuté par un automobiliste. Conduit à l'hôpital, il plonge dans le coma alors que l'homme responsable de l'accident meurt au bloc opératoire.
Vincent (Dimitri Storoge)
Lorsqu'il reprend connaissance, Léo comprend tout de suite que quelque chose ne tourne pas rond : déjà, pourquoi le personnel soignant et ce couple de visiteurs l'appellent-ils par ce prénom alors qu'il affirme s'appeler Vincent ? Et d'où lui viennent, par flashes, ces images de l'accident depuis l'intérieur de la voiture et non de la moto ? Il tait pourtant ce qui s'impose comme une extravagante évidence pour lui : l'âme de Vincent occupe le corps de Léo, dont l'esprit est encore en sommeil.
Emma et Léo (Armande Boulanger et Léo Legrand)
Léo/Vincent compose comme il peut avec ses parents, son ex-petite amie, qui tous remarquent pourtant qu'il a changé mais mettent cela sur le compte du traumatisme. Profitant de ses moments de liberté, il s'inquiète pour sa veuve et sa petite fille qu'il aimait et entretenait financièrement. Et il découvre en les épiant que la compagnie d'assurances pour laquelle il travaillait veut acheter leur silence car sa mort est considéré par Sandrine, sa femme, comme un suicide consécutif à un burn-out pour lequel elle entend recevoir des indemnités en attaquant l'employeur en justice.
Sandrine et Vincent (Marie Kremer et Dimitri Storoge)
L'esprit de Léo revient à la surface et accepte physiquement d'aider l'âme de Vincent, qui lui apparaît brièvement sous une forme spectrale désormais. Se confessant sur son état à Emma, il monte un dossier accablant contre la compagnie d'assurances afin que Sandrine bénéficie d'une indemnisation. Vincent demande alors à Léo une dernière faveur en lui permettant de faire ses adieux à sa femme.
Sandrine, sa fille et Léo
Léo le lui permettra à l'occasion d'une journée à la plage où Sandrine, bouleversée, comprendra cette étonnante situation.
Il y avait tout dans ce projet pour que le résultat soit une catastrophe : traiter de la mort, de la renaissance dans la peau d'un autre, via un jeune homme qu'on devine progressivement avoir été un petit merdeux et un père de famille marié dépressif, l'inscription du récit dans le genre fantastique, l'action de la bande dessinée originale transposée du Japon en France... Autant de pièges à éviter avec, en plus (ou en moins) un budget réduit (puisque tourné pour la télé, et Arte en particulier qui ne bénéficie pas des moyens d'une grosse chaîne). Nicolas Boukhrief n'a pourtant pas hésité à se lancer dans cette entreprise : au contraire, tout cela le galvanisait, adoubé qui plus est part l'auteur Jiro Taniguchi, mort en Février dernier.
Alors, certes, tout n'est pas parfait au final : par exemple, le premier acte - la convalescence de Léo, sa prise de conscience d'être "occupé" par l'âme de Vincent - traîne un peu trop, et le troisième - avec la dénonciation et la constitution d'un dossier sur le burn-out de Vincent par Léo et Emma - arrive à la fois tardivement et prend trop de place (l'histoire n'avait pas besoin d'être ainsi lestée d'un sujet de société, même si Taniguchi, selon Boukhrief, aurait glissé cela en étant content que le réalisateur le remarque dans sa BD).
Mais il n'empêche, on ne voit pas ça tous les jours. Traiter de la réincarnation et questionner philosophiquement les notions de deuil et de disparition, ce n'est pas banal dans un paysage télé envahi par des polars souvent affligeants (même s'il existe des pépites occasionnelles, comme Les Petits Meurtres d'Agatha Christie) et pléthore de comédies imbuvables (aussi fades que pas drôles, formatés par les chaînes comme les films de cinéma conçus pour une diffusion en prime time, à l'adresse d'un public familial qu'il ne faut pas choquer).
Boukhrief fait baigner son récit dans une ambiance très prenante sans souligner ses effets : il a réduit drastiquement et volontairement les apparitions du fantôme de Vincent (pour ne pas courir le risque que ce soit interprété comiquement), et a soigné l'esthétisme de l'ensemble (une photo qui progresse de tons froids à plus lumineux, jusqu'à ce plan final sur un ciel effectivement radieux, correspondant à la paix retrouvée des protagonistes). La mise en scène est à la fois sobre et abonde en cadrages étudiés pour créer un déséquilibre dans l'irréel sans verser jamais dans l'outrance. On est désarçonné par l'énormité de la situation mais on l'accepte car elle nous est présentés de façon directe, presque indiscutable.
Enfin, le cinéaste a su trouver des comédiens parfaits pour incarner cette intrigue si spéciale : Le duo que forme Dimitri Storoge, tout en tension fragile, et Léo Legrand (qui, par ailleurs, avait déjà joué, il y a huit ans dans une autre adaptation de Taniguchi, Quartier lointain), hanté et pugnace, aboutit à des moments formidablement troublants. Vers la fin, on regrette même que, plutôt que d'avoir creusé la question du harcèlement professionnel, le scénario n'ait pas préféré sonder l'histoire d'amour impossible entre Sandrine et Léo, dont on ne sait pas s'il la réconforte au nom de Vincent ou parce qu'il la désire (et Marie Kremer joue d'ailleurs superbement cette ambiguïté, femme seule et débordée par ses sentiments).
Pas parfait donc, mais sacrément troublant.
1 commentaire:
Je t'encourage â lire le manga et même â découvrir l'œuvre de Tanigushi qui est au delà du manga. J'avais été déçu par l'adaptation de Quartier Lointain. Pas encore vu ce téléfilm mais cela ne serait tarder (arrowsmith)
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