La nostalgie est une faiblesse dont on se délivre avec difficulté. Ainsi ai-je acquis ce recueil comprenant les cinq épisodes de la mini-série The Unworthy Thor en souvenir des plaisirs de lectures associant le dieu du tonnerre au dessinateur Olivier Coipel qui, il y a pile dix ans, le rétablit dans toute sa superbe (avec la contribution essentielle du scénariste J. Michael Straczynski).
Dix ans après, troublant parallèle, il ne reste plus grand-chose du superbe dessinateur qu'était Coipel et Thor a pareillement chuté à force de passer entre les mains d'auteurs peu inspirés jusqu'à échouer entre celles de Jason Aaron, qui a consacré son déclin. Cette mini-série est un clou supplémentaire planté dans le cercueil - avant, cependant (le film Thor : Ragnarok oblige), que le fils d'Odin ne soit pas, la force des choses remis sur le devant de la scène...
Odinson a tout perdu depuis des mois (depuis la saga Original Sin, en 2014, précisément) : il n'est plus le dieu du tonnerre, son bras gauche amputé a été remplacé par une prothèse forgée dans le métal magique Uru, il ne peut plus brandir son marteau Mjolnir (désormais en possession de Jane Foster) ni même user du nom de Thor. Dépressif et alcoolique, retiré des Avengers (pour leur épargner la honte de sa présence en leur sein), il accepte des missions ponctuelles. La dernière le conduit sur la Lune où ont été remarquées des chutes d'objets célestes et où il déniche des Trolls à qui il inflige une raclée. C'est alors que surgit le successeur du défunt Gardien Uatu, l'Invisible (jadis Nick Fury), qui lui déclare qu'un autre marteau, provenant d'un autre univers, attend d'être pris. Odinson se rend là où il doit logiquement se trouver, à Agardia, mais l'ancien royaume des dieux a disparu comme le lui confirme Beta Ray Bill, prêt pour rétablir la situation à offrir son marteau Stormbreaker à son ami.
Odinson refuse ce présent, préférant que Beta Ray Bill l'aide à retrouver Asgardia, qui a été en vérité ravie par le puissant Collectionneur. Mais celui-ci attend les deux guerriers et capture Odinson pour qu'il lui dise comment brandir le marteau du défunt Ultimate Thor. Comme seul un être digne peut le soulever, l'ancien dieu du tonnerre est tabassé et emprisonné. Cependant sur Terre, au Triskelion, un visiteur accède discrètement jusqu'à la cellule où est retenu Thanos pour lui proposer une alliance : le titan accepte contre un tribut, le marteau récupéré par le Collectionneur.
Beta Ray Bill libère Odinson des geôles du Collectionneur avec son bouc Crissedent et le chien de l'enfer, Thori. Au même moment, le visiteur de Thanos s'introduit dans le vaisseau du Collectionneur avec les deux exécutrices du titan, Black Swan et Proxima Midnight. La bataille est alors imminente entre les trois parties sur place.
Tandis que le combat fait rage entre Odinson, associé à Beta Ray Bill, son bouc Crissedent et Thori ; le visiteur de Thanos, Black Swan et Proxima Midnight ; et le Collectionneur, trois moments du passé éclairent la relation complexe entre Mjolnir et ses détenteurs : encore jeune homme, Odinson était obsédé par le moment où il serait digne de le soulever ; adulte il confie sa peur de le perdre à Jane Foster ; récemment il sombrait dans l'alcoolisme et l'amertume alors que Jane Foster atteinte d'un cancer incurable héritait du marteau.
Odinson est désormais sur le point de saisir l'Ultimate Mjolnir... Mais il s'y refuse finalement, comprenant que ce n'est pas son arme. Il chasse Black Swan, Proxima Midnight et le visiteur de Thanos, puis reprend Asgardia au Collectionneur. A présent, il jure à Beta Ray Bill de devenir le gardien de l'ancien royaume des dieux et de veiller à ce que le marteau de l'univers Ultimate revienne à un être digne. Pourtant, en son absence, un prétendant se présente et brandit l'arme en se proclamant le Thor de la guerre...
Il y a de vraies bonnes choses dans ces cinq épisodes, un souffle évident, une réflexion aussi sur le mérite d'un dieu guerrier à gagner une arme magique, des graines plantées en vue d'une floraison prochaine qui va restaurer Odinson comme seul Thor. Surtout, et avant tout, il y a la volonté de faire le point sur le fils d'Odin, errant comme une âme en peine depuis des mois, privé de son titre, de son marteau, de ses pouvoirs, tout cela à la suite d'une confidence murmurée par Nick Fury transformé en Invisible, successeur du Gardien Uatu au terme de la saga Original Sin.
On apprend enfin ce qui a été glissé à l'oreille de Thor pour expliquer sa déchéance brutale : dans les deux premiers arcs de la série Thor God of Thunder, le dieu du tonnerre affrontait une sorte de tueur en série de dieux, Gorr, prétendant que ses victimes étaient des êtres capricieux, pourris par la vénération des hommes (et toutes les créatures de l'univers croyant en des forces supérieures). Ce jugement, selon l'Invisible, était juste et Thor, par conséquent, ne pouvait plus soulever Mjolnir, devenu indigne d'un tel pouvoir et de la foi de ceux qui croyaient en lui.
L'explication vaut ce qu'elle vaut, elle suffira à certains, mais je ne parierai pas qu'elle en convaincra beaucoup. Mais le procédé est une astuce familière désormais à ceux qui lisent Jason Aaron. Je ne veux pas paraître injuste ni trop sévère avec lui, c'est un auteur doué, qui a gagné les faveurs du public (actuellement c'est certainement le scénariste le plus vendeur de Marvel). Mais il se répète en s'emparant fréquemment d'un personnage pour le dévaster, le ruiner. Si encore au bout de ce chemin de croix, le héros dont il s'occupe en ressortait changé mais grandi, pourquoi pas ? Mais en vérité, on peut facilement constater que ce n'est pas le cas.
Récemment, par exemple, Dr. Strange a subi un traitement de choc dans son run, brutalement attaqué, défait, démuni : ce qui aurait pu être une saga mémorable s'est mué en une espèce de farce aigre dont le sorcier suprême a fait les frais. Avec Thor, le calvaire dure depuis encore plus longtemps (et n'est apparemment pas prêt de s'achever puisque Aaron a été confirmé sur la série alors que son passage est déjà conséquent, tous volumes confondus) : il n'est désormais plus que l'ombre de lui-même, infirme, dépressif, alcoolique, obsédé jusqu'au grotesque par son marteau (alors que sa prothèse sculptée dans le même métal mystique que Mjolnir lui permet de produire de la foudre, et il se défend aussi avec la hâche Jarnbjorn). Où sont passées la fierté du personnage, sa majesté ?
J'ignore ce qui motive Aaron pour maltraiter ainsi un personnage (et d'autres avant lui), quand sa réputation a largement été bâtie sur sa capacité à produire des récits autrefois plus divertissants (souvenez-vous de Wolverine & the X-Men et sa fantaisie) ou exaltant la combativité de ses héros (les aventures de Wolverine en solo ou dans le titre Weapon X). Peut-être, sous la pression des editors et du succès prévisible du film Thor : Ragnarok, aurons-nous quand même bientôt droit à un retour plus frais du fils d'Odin...
L'intrigue de The Unworthy Thor ne méritait de toute façon pas cinq épisodes quand on compte le nombre grotesque de pages où le héros geint de manière pathétique sur sa gloire passée (tout en ne faisant aucun effort pour se ressaisir) ou ses hésitations à empoigner le marteau provenant de feu l'univers Ultimate (au prétexte que ce n'est pas le sien, puis s'assignant quand même la tâche de veiller à ce qu'il ne tombe pas entre de mauvaises mains... Mais absent quand un mystérieux prétendant le dérobe avec des intentions manifestement belliqueuses - quoique le pire restant l'identité de ce "War Thor", qui s'avère être une nouvelle invention foireuse de Aaron, ayant transformé un des seconds rôles asgardiens les plus attachants en un fou de guerre...). L'addition de Thanos puis de Héla à l'affaire est tellement sous exploitée qu'elle ne mérite aucune indulgence (le titan réclame le marteau en tribut à la déesse de la mort qui veut s'allier à lui puis, quand elle ne le lui ramène pas, déclare que de toute façon il s'en fichait car ce n'aurait été qu'un jouet pour lui !).
Enfin, cette mini-série établit un parallèle troublant, mais accablant, avec son dessinateur principal. Enfin... "Principal", il faut rester mesurer. Cinq épisodes de 20 pages, cela nous fait un recueil de 100 pages, et Olivier Coipel n'en dessine (si j'ai bien reconnu ses planches) que 64 au total (la totalité des deux premiers chapitres + trois pages du chapitre III + 13 pages du IV + 8 du V). Le français se passe désormais des services d'un encreur (alors qu'il avait avec Mark Morales un partenaire parfait), sachant qu'il était déjà limite avec les délais quand il était soutenu vous comprendrez qu'il ne peut plus les tenir tout seul maintenant. Le résultat n'est pas déshonorant au demeurant, le trait s'est un peu épaissi, la puissance est toujours là... Mais au détriment des décors (souvent masqués par des effets pratiques - fumée produite par les dégâts des combats), et d'un découpage inégal (quoiqu'il s'est repris depuis Mighty Thor et surtout Avengers vs. X-Men).
Mais on ne peut s'empêcher de constater à quel point la chute de Odinson correspond à celle de Coipel : il y a dix ans, quand il dessinait pour la première fois le personnage, l'artiste était l'étoile montante de Marvel, auréolé du succès de la saga House of M, rêvant à une carrière à la Marc Silvestri (son idole). Hélas ! comme ce dernier, il n'a pas tenu ses promesses (Silvestri ayant de toute façon été un dessinateur bien plus productif et régulier lorsqu'il fut révélé à la fin des 80's). Coipel abat de moins en moins de pages, ces pages étant de moins en bonnes, et sa participation annoncée à des titres DC suggèrent qu'il n'est donc plus exclusif chez Marvel, sans doute las de ses retards. Résidant à Rio, l'artiste se la coulerait-il trop au Brésil au détriment de sa carrière (ne donnant même plus suite aux appels du pied répétés de Mark Millar, qui est prêt à lui écrire quelque chose depuis longtemps) ?
Pour suppléer Coipel, Marvel a donc rusé : adroitement d'abord en s'adressant à Kim Jacinto qui imite le style du français (sans faire illusion), puis en découpant le 4ème épisode avec des guests artists (Frazer Irving et Russell Dauterman deux pages chacun, Esad Ribic pour trois pages) et des flash-backs bien utiles pour rallonger une sauce déjà bien délayée par le scénario. Pascal Alixe intervient aussi sur le 5ème épisode, ajoutant à ce qui ne ressemble plus alors qu'à un grand WTF esthétique.
Réduit à trois épisodes (amplement suffisant pour un plot aussi famélique), avec juste les planches de Coipel (et un planning aménagé pour lui permettre de travailler suffisamment en avance), The Unworthy Thor n'aurait pas suffi à justifier le traitement pénible de Jason Aaron mais aurait meilleure allure. Ne reste plus qu'à espérer (sans conviction pour ma part) de meilleurs lendemains pour le dessinateur et ce héros qu'il sut si bien animer...
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