lundi 22 février 2016

Critique 822 : MOON PALACE, de Paul Auster


MOON PALACE est un roman écrit par Paul Auster, traduit par Christine Le Boeuf, publié en 1990 en France par les Editions Actes Sud.

Marco Stanley Goff s'installe à New York en 1965 pour y suivre des études universitaires. Né de père inconnu, il a perdu sa mère lorsqu'il était encore enfant, quand elle a été renversé par un bus. Elevé par son oncle Victor, un clarinettiste qui joue dans divers orchestres, il découvre grâce à lui l'amour des livres, mais aussi de la musique et du base-ball.
Adolescent, Marco voit son oncle s'éloigner quand il s'engage dans un groupe en tournée tandis que le jeune homme rejoint donc New York. Peu sûr de lui, il n'a pas de grandes ambitions et et peu de foi en l'avenir, mais son oncle lui lègue tous ses biens, avant qu'ils ne séparent - soit sa collection de 1492 livres, un costume en tweed et sa clarinette.
Quand son oncle meurt, Marco a 20 ans et débute alors pour lui une lente et inexorable descente aux enfers : incapable de surmonter ce deuil, il délaisse et abandonne ses études, sombre dans la misère jusqu'à vendre tous ses livres, quitter son modeste appartement et se réfugier dans Central Park. Cette progressive clochardisation a valeur de test pour le jeune homme qui, pourtant, une nuit d'orage, croit sa dernière heure venue.
C'est dans ce triste état que le retrouvent son meilleur ami, David Zimmer, et Kitty Wu, une jeune femme rencontrée lors d'une méprise (dans l'ancien appartement de Zimmer, reloué à un autre étudiant, entouré ce jour-là d'amis parmi lesquels elle se trouvait). Il se rétablit et accepte l'amour que lui donne Kitty.
Pourtant, le destin de Marco bascule en 1969 : il perd de vue Zimmer après lui avoir rendu service pour le remercier de son amitié et entre au service d'un vieil excentrique fortuné, paraplégique et aveugle, Tom Effing, à qui il fait la lecture et la promenade. Cet employeur atypique, lunatique, est aussi servi par son infirmière et gouvernante, Rita Hume.
Durant cette période d'un an, Marco vit une idylle passionnée et harmonieuse avec Kitty avec laquelle il retrouve la joie de vivre, et sa relation avec Effing lui permet d'exploiter au mieux sa culture. Le vieil homme, sentant sa fin proche (bien qu'il se porte encore bien) décide de lui confier la rédaction de sa notice nécrologique et, pour cela, lui raconte son incroyable passé : né Julian Barber, il a été peintre et marié avant de partir pour l'Utah pour exercer son art. Là-bas, l'expédition tourne mal : son ami Edward Byrne meurt atrocement et lui-même survit en ermite dans une grotte. Convaincu que tout le monde le croit décédé, il saisit cette opportunité pour refaire sa vie à San Francisco où, victime d'une agression, il perd l'usage de ses jambes, et craignant d'être reconnu, part pour la France.
Avant de mourir, Effing a une idée farfelue pour dilapider une partie de sa fortune, léguant quand même la plus grosse part à Salomon Barber, son fils qu'il n'a jamais connu, et deux autres parts à Rita Hume et Marco. Le jeune homme s'installe avec Kitty mais leur couple implosera quand elle tombe enceinte : elle ne veut pas d'un enfant si tôt, il est accablé qu'elle veuille avorter.
Marco rencontre entretemps Salomon Barber : cette ultime découverte aura des conséquences bouleversantes pour eux deux quand le lien qui les unit sera mis à jour par le fils de Effing. Marco entreprendra, finalement seul, de retrouver la grotte où périt Julian Barber et naquit Tom Effing - un périple qui aboutira en Californie, face à l'océan Pacifique et la renaissance du jeune homme, le début de nouvelle vie, pour lui aussi...

La première fois que j'ai eu ce roman entre les mains remonte à une vingtaine d'années, quand j'ai, donc, découvert l'oeuvre de Paul Auster : je m'en souviens très bien, je venais de lire La Musique du Hasard, Mr Vertigo et La Trilogie New Yorkaise. J'entamais donc, plein d'enthousiasme, Moon Palace... Et pourtant je n'en vins jamais à bout !

M'étais-je précipité en enchaînant tous ces romans d'un même auteur ? Ou l'histoire ne prit-elle pas sur moi ? Cela, par contre, je ne m'en rappelle plus, mais je me promis qu'un jour je reprendrai ce livre avec la ferme intention de le terminer. Ce que j'ai donc fini par faire récemment.
Bien que son héros porte un nom chargé de références, Paul Auster ne propose pas tant un roman d'aventures classique qu'une aventure initiatique où le voyage est plus intérieure que géographique. Marco Stanley Fogg : voilà une identité peu commune, qui renvoie donc au marchand italien Marco Polo (1254-1324), auteur du Livre des Merveilles ayant rencontré l'empereur mongol Kubilai Khan ; au journaliste anglais Henry Morton Stanley (1841-1904), qui retrouva le missionnaire écossais David Livingstone parti à la recherche de la source du Nil ; et à Phileas Fogg, le héros du Tour du monde en 80 jours écrit en 1872 par Jules Verne. Peut-être pas l'idée la plus inspirée de Auster, mais une manière comme une autre de promettre au lecteur un récit effectivement dépaysant, même s'il l'est de façon inattendue.
 Marco Polo
 Henry Morton Stanley
Phileas Fogg

Ce qui rattache pourtant le héros de Moon Palace à ces personnages réels ou fictifs qui composent son nom, c'est que son existence est définie et transformée par les rencontres qu'il fait, dans le cadre de l’Amérique des années 60. Toutes ces expériences - avec d'autres personages, des livres, des lieux, des sentiments - vont forger son identité et lui révéler le secret de ses origines et le possible de son futur.

Auster inscrit ces étapes dans des motifs, qui deviendront récurrents dans son oeuvre :

- le dueil : Marco apprend davantage par ce/ceux qu'il perd. Ainsi, fils sans père, ayant à peine connu sa mère, élevé par un oncle qui mourra loin de lui, se détachant des livres dont il a hérité, perdant la femme qu'il aime, il assiste aussi aux décès de Tom Effing et Salomon Barber, dont il apprendra à quel point ils lui étaient proches après leur disparition. Son meilleur ami, David Zimmer, quitte aussi la scène et il ne le reverra que fugacement des années après.

- les éléments naturels : le titre du roman trouve son explication avec la découverte d'un néon de restaurant, mais la lune (moon) revient régulièrement dans son parcours (citation du voyage de Cyrano de Bergerac sur la lune, contemplation du satellite sur une plage californienne, et l'oncle Victor se produit avec un orchestre, les "Moon Men"). La nature sauvage des canyons est le cadre du passé de Tom Effing et sera celui du périple final de Marco. Central Park devient à la fois un refuge et un décor lugubre dans le premier chapitre.

- le destin : M.S. Fogg est un rêveur, il se laisse porter par les événements jusqu'à les subir, espérant qu'en les traversant, en leur survivant, il accédera à plus de maturité, aspirant à une sorte d'illumination, de miracle. Il est chanceux à plusieurs reprises (quand Zimmer et Kitty le récupèrent à Central Park, quand il échappe au service militaire, quand il trouve le job chez Effing), mais fataliste, souvent passif, presque auto-destructeur. En vérité, il met sa lucidité et sa capacité de rebond à l'épreuve, en misant sur le hasard pour lui indiquer la route à suivre.
Auster joue d'ailleurs, sans subtilité, sur le mot "fog" (et celui de "zimmer" qui signifie chambre en allemand, lieu où Marco se rétablit chez son ami David), le brouillard, pour signifier la démarche de son héros, avançant à tâtons dans sa propre vie, sans but préétabli.
Cette destinée se fait répétitive, comme si elle rattrapait Marco et ceux qu'ils rencontrent : fils sans père, il servira un homme qui n'a pas connu son fils (Effing et Salomon), ce dernier découvrant lui-même sa descendance providentiellement. Marco connaîtra lui aussi un rapport à la paternité dramatique quand Kitty avortera.
Enfin, il faut mentionner le rôle fantomatique que joue Nikola Tesla (1856-1943), cet ingénieur génial, idole de Effing, qui a peut-être fait se croiser à leur insu Salomon Barber, son père et l'oncle Victor, et dont un des aphorismes ("Le Soleil est le passé, la Terre est le présent, la Lune est le futur") poursuivra Marco.
Nikola Tesla

- Le fantastique : l'histoire abonde en situations incroyables mais qui se révèlent des transitions, des traits d'union possibles entre les protagonistes. Ecrit à la première personnage du singulier et au passé, tout laisse penser que le roman est comme l'autobiographie de M.S. Fogg (procédé repris dans Mr Vertigo), et Auster intègre à l'intrigue principale des récits connexes (la notice nécrologique de Effing, les essais de Salomon Barber), tous plus extraordinaires les uns que les autres, en particulier pour ce qu'ils disent sur ce qu'ont vécu/vont vivre les protagonistes. Mais tout cela est-il toujours à prendre pour argent comptant ? Fréquemment, le lecteur doute et s'interroge sur la limite entre vérité et fabulation : la caverne de Effing, l'obésité de Salomon, la clochardisation de Marco, tout cela est tellement extravagant, extrême, que, à l'instar de Fogg qui avoue ne pas toujours se souvenir de certains détails, on a le sentiment d'être baladé par Auster (selon qu'on y soit disposé, le plaisir de la lecture est intense ou pas - c'est sans doute cela qui m'a découragé la première fois que j'ai voulu lire Moon Palace). 

- L'Histoire : le roman évoque, de manière étonnamment détachée souvent, de hauts faits de la mythologie américaine, pour situer temporellement les événements. Ainsi entend-on parler, en arrière-plan, des premiers pas de l'homme sur la Lune, de la guerre au Vietnam, du festival de Woodstock...

Tout le livre passe ainsi de l'extérieur évoqué (les grands espaces, les grandes conquêtes, la grande ville...) à l'intérieur détaillé (les expériences de Marco, les secrets de famille, les tourments amoureux...), soulignant que pour chaque personnage son monde interne est aussi (sinon plus) grand que celui qui l'entoure.

Roman foisonnant, n'ayant pas encore la maîtrise d'oeuvres postérieures de son auteur, Moon Palace mérite qu'on s'y plonge, qu'on s'y abandonne : le mouvement de son héros correspond en quelque sorte à celui que doit réaliser le lecteur - se laisser emporter par cette histoire extravagante, à la fois dramatique et trépidante, profonde et épique, sensible et palpitante.
Tout comme son héros dont le nom emprunte à des aventuriers, c'est un texte explorateur et initiatique, caractéristique de l'oeuvre de Paul Auster, et souvent grisant malgré quelques faiblesses (le manque de développement du personnage de Kitty, des parallèles un peu trop appuyés).
*
Bien que, à ma connaissance, il n'est jamais été question d'une adaptation pour le petit ou grand écran de Moon Palace, malgré la matière qu'offre son contenu, il est tentant d'imaginer un "fan-cast", et je m'y suis amusé, tout en reconnaissant que la démesure de certains rôles est difficile à distribuer.
 Hugo Becker : Marco Stanley Fogg
 Pom Klementieff : Kitty Wu
 Marius Colucci : David Zimmer
 Michel Bouquet : Tom Effing
 François Damiens : Salomon Barber
Josiane Balasko : Rita Hume

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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SANDMAN