ESTEBAN : TRAQUES ! est le deuxième tome de la série, écrit et dessiné par Matthieu Bonhomme, publié en 2006 par Dupuis.
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Engagé à 12 ans sur le "Léviathan", un baleinier, car le capitaine connaissait sa mère, Esteban s'est illustré lors de sa première sortie en mer en tuant au harpon une baleine bleue.
Accepté dès lors comme un membre à part entière de l'équipage, le garçon apprend par Le Goff dans quelles circonstances le capitaine a perdu son oeil droit. Puis le bateau repart pour une campagne de collecte de lard de baleines qui sera ensuite raffiné en huile.
La traversée se déroule bien jusqu'à ce qu'un baleinier à vapeur soir repéré dans les parages. Le capitaine déteste ces navires et leur manière de pêcher. Lors d'un approvisionnement sur l'île Pedrosa, le capitaine décide de saboter l'autre bateau en lui volant une pièce de son moteur.
Mais le baleinier à vapeur rattrape malgré tout le "Léviathan" et le piège dans les glaces de l'Antarctique...
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ESTEBAN : LA SURVIE est le troisième tome de la série, écrit et dessiné par Matthieu Bonhomme, publié en 2009 par Dupuis.
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Pris dans les glaces du pôle Sud, le "Léviathan" est immobilisé. Le capitaine se résigne à abandonner son bateau après avoir mis sa cargaison à l'abri. Les hommes prennent des canots pour s'engager en mer mais rapidement le courant et les icebergs les séparent.
Errant, tournant en rond pendant plusieurs jours et nuits, le canot à bord duquel se trouvent notamment le capitaine et Esteban est voué à sa perte. Le capitaine confie alors au garçon comment, lorsqu'il était jeune matelot, il s'éprit d'une jeune indienne, Kajila, à qui il promit de la retrouver un an après.
Passé ce délai, il découvrit la tribu décimée par des rancheros avant que Tonto, le cousin de Kajila, ne le mène jusqu'à elle, veuve et enceinte, rebaptisée Suzanna après avoir été christianisée par des missionnaires. L'enfant qu'elle mit au monde était Esteban.
Les hommes du canot sont récupérés, à bout de forces, par des villageois d'Ushuaïa mais aussitôt arrêtés par l'armée pour piraterie contre le "Matador", la baleinier à vapeur. Esteban échappe aux soldats grâce à l'intervention de son oncle Tonto...
Pour lire la critique du premier tome, vous pouvez cliquer sur ce lien : Esteban, tome 1 - j'ai mis longtemps avant de continuer la lecture de cette série, mais je vais pouvoir la reprendre grâce à l'acquisition des tomes du premier cycle par la bibliothèque municipale (un petit peu de lobbying, ça sert...).
Alors que Matthieu Bonhomme prépublie actuellement dans les pages du journal de "Spirou" son one-shot consacré à Lucky Luke (L'homme qui tua Lucky Luke), dans le cadre des festivités autour du 70ème anniversaire du lonesome cowboy, et qu'il prévoit un nouveau cycle d'aventures de son jeune héros baleinier, la lecture d'Esteban reste un régal, confirmant le talent de son auteur.
D'abord publié chez Milan, les deux premiers tomes de la série ont bénéficié, en paraissant chez Dupuis, d'albums augmentés de prologues de six pages, permettant d'abord de mieux définir la situation du héros puis de résumer ce qui lui arrivait lors son premier embarquement à bord du Léviathan.
Dans le tome 2, Bonhomme excelle dans un récit sous forme de course-poursuite entre le baleinier à voiles du capitaine et celui à vapeur de son concurrent : la tension de cet affrontement est parfaitement traduite et permet de souligner le caractère absolutiste du chef du Léviathan. Pourtant, l'issue est dramatique pour l'équipage et aboutit à une diatribe d'Esteban contre ce supérieur qui a agi sans se soucier de ses hommes.
L'ambiance est rendue encore plus électrique par les conditions climatiques extrêmes - le froid, la mer démontée - et même dans les moments plus calmes, le lecteur ressent de manière intense que tout est réuni pour que cela se termine mal. La silhouette menaçante, lointaine, du baleinier à vapeur, lui donne aussi un aspect presque fantastique, contrepoint à la faculté qu'a Esteban de communiquer avec les oiseaux et à établir des parallèles éloquents entre des histoires qu'on lui a raconté quand il était enfant et ce qu'il vit avec ses compagnons de bord aujourd'hui.
Dans le tome 3, le sort s'acharne sur le capitaine et Esteban après que le Léviathan ait été fait prisonnier des glaces de l'Antarctique. Leur dérive à bord d'un frêle canot, sur des flots toujours spectaculairement déchaînés puis sur une mer calme comme le Styx, est développée avec un art consommé par Bonhomme, qui sait encore une fois faire partager au lecteur l'expérience traumatisante de ces pêcheurs à travers les yeux d'Esteban.
Le flash-back expliquant la romance brève et tragique entre le capitaine, encore matelot, et Kajila, qui n'est autre que Suzanna, la mère d'Esteban, s'intègre remarquablement au récit, sans le ralentir ni céder à la facilité d'une révélation téléphonée (le capitaine n'est donc pas le père d'Esteban). Il permet aussi d'introduire le personnage de l'oncle Tonto, qui est effectivement tel le géant décrit par le jeune héros à l'équipage moqueur du "Léviathan" et dont le rôle sera crucial à la fin de cet épisode.
Visuellement, la série est toujours aussi impressionnante et impose Bonhomme comme un artiste exceptionnel (comme on a pu le constater par ailleurs avec Messire Guillaume : L'esprit perdu ; Le Marquis d'Anaon et Texas Cowboys).
La qualité du trait tient évidemment à la technique atypique de Bonhomme : celui-ci dessine au crayon sur une première feuille et, ensuite, sur une table lumineuse, par transparence, il reproduit l'image directement à la plume et au pinceau, se passant ainsi de l'étape du gommage. Le résultat permet d'avoir un graphisme dépouillé et détaillé à la fois, d'une grande élégance, avec des contrastes profonds, qu'il nuance en rajoutant des niveaux de gris au crayon estompés.
Bonhomme est à l'aise partout, qu'il s'agisse d'animer des personnages, tous très expressifs, aux physiques immédiatement mémorables, que pour figurer les bateaux et les éléments naturels, les décors sauvages. Tout cela fait en vérité de Esteban une série héritière du magnifique Jérémie dans les îles de Paul Gillon (que Les Humanoïdes Associés seraient bien inspirés de rééditer...).
La colorisation de Delphine Chedru respecte les parti-pris graphiques de Bonhomme en cela qu'elle ne les recouvre pas mais les met en valeur, avec une palette réduite mais correspondant aux atmosphères, aux lumières.
Magnifique série produite par un auteur complet, Esteban est un plaisir pour les yeux mais aussi un récit initiatique et d'aventures palpitant et touchant.
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