vendredi 26 février 2016

Critique 825 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 55 - LA COLERE DU MARSUPILAMI, de Fabien Vehlmann et Yoann


SPIROU ET FANTASIO : LA COLERE DU MARSUPILAMI est le 55ème tome de la série, écrit par Fabien Vehlmann et dessiné par Yoann, publié en 2016 par Dupuis.
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A la fin de leur précédente aventure, Spirou et Fantasio ont reçu de Don Cotralto des photos les montrant où ils capturaient le Marsupilami. Mais ils n'ont aucun souvenir d'avoir fait cela.
En se rendant au carnaval de Champignac-en-cambrousse, Spirou remarque que la simple évocation du Marsupilami déplaît au Comte. Des images du passé refont surface et il aboutit à une déduction simple mais extraordinaire : on leur a volé leurs souvenirs !
Grâce à une amie hacker en Aswana (voir tome 54, Le Groom de Sniper Alley), Spirou et Fantasio localisent Zantafio qui, traqué par la mafia rouge, avoue avoir utilisé la Zorglonde pour manipuler les deux amis.
Direction : la Palombie. En interrogeant des braconniers, Spirou apprend que le Marsupilami, ayant échappé à ses geôliers, se cache à nouveau dans la jungle. Avec Fantasio, Spip et Zantafio, ils s'y enfoncent, rencontrent les terribles indiens Awaks, affrontent le tsunami local (le Pororoca), et perdent la trace de Zantafio.
Le Marsupilami, lui, a senti que ses amis approchaient et part à leur rencontre. Mais l'animal est partagé entre deux sentiments : la joie des retrouvailles et une rancune tenace envers eux qui l'ont piégé. Va-t-il leur pardonner ? Et que prépare Zantafio, déterminé à le capturer pour le vendre à des laboratoires pharmaceutiques ?

Lorsque Franquin avait arrêté de produire la série, il avait conservé les droits d'auteur du Marsupilami, sa créature fétiche, avant d'en confier l'exploitation à un homme d'affaires, Jean-Claude Moyersoen. Pour des raisons qui n'avaient donc rien d'artistique, un des compagnons emblématiques de Spirou et Fantasio ne pouvait plus être utilisé par les équipes artistiques du titre depuis, tandis que l'animal a eu droit à sa propre (et souvent médiocre) série !

Finalement, en 2013, les éditions Dupuis ont à nouveau la permission d'intégrer le Marsupilami au sein des aventures de Spirou et Fantasio, et Fabien Vehlmann ne perd pas de temps pour annoncer qu'il va s'en servir pour le 55ème tome de la série. Néanmoins, pour ne pas doublonner avec la production de Colman et Batem, il précise qu'il ne s'agit pas de la même bestiole (on sait de toute façon qu'il existe plusieurs Marsupilamis depuis Le Nid des Marsupilamis, où Seccotine projetait le documentaire qu'elle avait réalisé sur ces animaux), et comme l'arrangement entre Marsu Productions et Dupuis est un contrat complexe, le lecteur est prévenu que la créature ne reviendra que ponctuellement dans les aventures de Spirou et Fantasio...  

Comme il le fait depuis qu'il écrit la série, Vehlmann avait donc glissé un cliffhanger à la fin du tome 54, suggérant que Spirou et Fantasio avaient, sans en avoir le moindre souvenir, ramené le Marsupilami en Palombie dans une cage. Il fallait pour le scénariste justifier l'absence de l'animal depuis 1970 et l'album de Fournier, Le Faiseur d'or (bien que Tome et Janry ont joué avec sa présence dans La Vallée des bannis en 1989, où on entendait dans la jungle le cri "Houba"... Mais en vérité exprimé par un animal au physique répugnant).

L'explication ne tarde pas dans cette histoire au rythme effrenée, qui marque, selon la volonté de Vehlmann, un retour au récit d'aventures au premier degré. Zantafio est passé par là et l'emploi de la Zorglonde a été son instrument (même si Zorglub ne figure pas dans l'intrigue). Le cadre de l'action se situe très majoritairement en Palombie, dans la jungle, après quelques pages à Bruxelles, Champignac-en-cambrousse et au Canada.

Dans le journal de "Spirou", Vehlmann a défini les contraintes de son projet : évoquer l'âge d'or de la série tout en restant accessible pour des lecteurs qui n'ont pas lu les albums de Franquin (et dans une moindre mesure de Fournier). De ce point de vue, le défi n'est pas complètement respecté car l'histoire abonde en références à des épisodes mémorables du passé, parfois de manière très précise (Spirou et les héritiers, Le Dictateur et le champignon, Le Nid du Marsupilami), parfois plus rapide (Le Faiseur d'or).

De même, il fait intervenir des personnages secondaires emblématiques comme Prunelle, le rédacteur en chef du journal de "Spirou", le dessinateur Lebrac, et De Mesmaeker (l'hommes d'affaires qui ne réussit jamais à finaliser la signature de contrats avec Fantasio). Il ne manque guère que Gaston et Mam'zelle Jeanne pour que la galerie soit complète ! Leur présence reste cependant souvent anecdotique et n'aboutit pas à des gags aussi drôles qu'espérés (même s'il y a une scène savoureuse dans la jungle où Spirou et Fantasio sont empêtrés dans leur hamac et parlent sans savoir que De Mesmaeker les entend, via une connexion vidéo internet, et croit qu'ils s'adressent à lui en le comparant au Marsupilami en colère).

En revanche, le coeur du récit avec la recherche du Marsupilami, les interactions entre Spirou (enthousiaste et entêté), Fantasio (fataliste et distrait) et Zantafio (déchu mais toujours en train de réfléchir à un mauvais coup), le subplot avec Spip (dont les réflexions sont toujours jubilatoires), est plus réussi et très entraînant. Le suspense a été habilement déplacé (l'enjeu n'est pas de savoir si on va revoir le Marsupilami mais quel accueil il réserve à Spirou et Fantasio) et aboutit même à un dénouement émouvant (mais que je ne vous dévoilerai pas) - un joli moment, à la fois logique et sensible, qui éclipse le cliffhanger glissé comme d'habitude dans la toute dernière case.

Yoann, critiqué par les fans qui lui ont reproché notamment son encrage un peu bâclé précédemment, a voulu soigné les finitions de ce nouvel album. Le résultat demeure pourtant inégal car son trait, nerveux, influencé par le Franquin des années 70, s'accommode mal du découpage plus rigoureux auquel il s'est astreint.

En effet, la quasi-totalité des planches est disposée sur quatre bandes et plus d'une dizaine de plans par page : cette densité empêche quelquefois à des scènes spectaculaires de bénéficier de l'espace qu'elles nécessitaient (notamment dans la dernière partie de l'histoire où l'action s'accélère au moment où le Marsupilami fait feu de tout bois, livrant une bataille épique contre une foule d'animaux de la jungle palombienne). C'est une petite régression après la narration graphique maîtrisée du tome 54, et alors que Yoann renouait avec des décors naturels qu'il apprécie pour les avoir appréhendés à l'époque où il illustrait Toto l'ornithorynque.

La colorisation de Laurence Croix est excellente, mis à part quelques erreurs bénignes parfois (la scène dans l'avion où, visiblement, des erreurs ont été commises pour distinguer les bras de Spirou et Zantafio).

Le bilan est donc un peu mitigé : La Colère du Marsupilami est un divertissement très satisfaisant et le script jongle avec adresse entre les contraintes du sujet (le retour de l'animal, sa situation entre le début et la fin et pour la suite de la série) et une vraie sensibilité (le traitement de Zantafio est une vraie réussite par exemple), mais graphiquement inégal. Compte tenu de la pression pesant sur les auteurs (en charge d'un titre important, dont c'est le 55ème tome, avec la réapparition du Marsu), c'est honorable, mais l'entreprise était en quelque sorte condamné à ne combler qu'à moitié pour un album aussi attendu. 

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